Collectif des prisonnièr(e)s des
Cellules Communistes Combattantes
Interview à l’ABC / Gent & De Nar, juin 1998
1.
La lutte armée
révolutionnaire a quasi disparu en Europe depuis la fin des années 1980 ( exceptés l'IRA et ETA ). AD, les GRAPO, les
BR et les CCC ont cessé d'agir. La RAF a déclaré qu'elle suspendait ses
opérations politico-militaires. Êtes-vous au courant de cette évolution ? Qu'en pensez-vous ? Traduit-elle une réflexion nouvelle dans la gauche
révolutionnaire ?
Nous sommes bien entendu très attentifs à l'évolution du
mouvement révolutionnaire en Europe, et nous pensons que les choses ne sont pas
si simples que la question le sous-entend.
Certaines luttes se sont arrêtées pour des raisons diverses.
Les Cellules et AD, par exemple, parce qu'elles ont été battues militairement.
Les BR parce que la répression a parachevé une incapacité de rectification
politique. La RAF parce qu'elle a politiquement dégénéré et s'est auto-liquidée.
Le PCE(r) et les GRAPO sont toujours actifs, des guérillas communistes et anti-impérialistes
sont puissantes en Turquie, en Grèce.
La lutte révolutionnaire ne se développe jamais d'une façon
uniforme et linéaire. C'est un phénomène d'une grande complexité, relevant de
déterminants multiples, soumis à des influences conjoncturelles et locales,
etc. Une grande vague de lutte a pris son essor en Europe de l'ouest fin
des années 1960, début des années 1970, elle a périclité à la moitié des années
1980, c'est un fait. Mais nous pensons que la nouvelle vague qui se prépare et
s'annonce sera forte à la fois d'un contexte socio-économique nettement plus
favorable et d'un héritage d'expériences et de réflexions largement enrichi par
la vague précédente.
L'apport principal du combat de la RAF dans les années 1970,
des BR, du PCE(r) et des GRAPO, des Cellules, etc., est d'avoir fait les
premiers pas dans l'orientation politique et stratégique révolutionnaire
qu'exige notre époque dans les pays impérialistes. Ce n'est qu'en s'appuyant
sur un bilan critique, constructif, de ces quinze années de lutte et en
valorisant leurs apports décisifs que le mouvement révolutionnaire sera à même
de reprendre l'offensive pour le renversement du capitalisme et la liquidation
du pouvoir de la bourgeoisie.
2.
Qu'est-ce qui
vous fait dire qu'il y aura une nouvelle vague de lutte armée en Europe ? Et cela en particulier quand on vient d'apprendre l'auto-liquidation
de la RAF, quand ont lieu des négociations de paix en Irlande du Nord ?
Ces deux exemples nous éloignent du sujet : la RAF a commencé à perdre de vue l'objectif
révolutionnaire ( et a tourné au radical-réformisme ) depuis plus de quinze ans, et le but de l'IRA n'a
jamais été la révolution sociale mais la fin de la domination britannique en
Irlande du nord. Nous parlons seulement de la lutte armée comme expression des
contradictions révolutionnaires de la société capitaliste.
Nous sommes marxistes, nous pensons que les phénomènes sociaux
et historiques sont dictés par l'évolution des conditions objectives et, en
dernière analyse, par la contradiction entre le développement des forces
productives et le mode de production. Ces contradictions, aujourd'hui, déterminent
l'exigence du dépassement du capitalisme et l'avènement du socialisme.
La question centrale, c'est : comment s'effectuera le saut du capitalisme au socialisme ? L'étude de l'histoire et Engels répondent : « La
violence ( est ) l'accoucheuse de toute vieille société qui en porte une nouvelle dans
ses flancs ! ( Elle est ), l'instrument grâce auquel le mouvement
social l'emporte et met en pièces des formes politiques figées et mortes ».
La question pratique, c'est : quelle stratégie de lutte pour accumuler les forces nécessaires à cet
accouchement ? L'expérience de la lutte des
classes de ce siècle et les caractères de la situation répondent : la guerre révolutionnaire prolongée — dont la première
phase est la propagande armée.
Dès le moment où une issue révolutionnaire ( certes, dans ce cas, difficile ) existe à une situation qui paraît par ailleurs
totalement bloquée, on peut être certain que cette issue sera empruntée tôt ou
tard. Elle le sera d'abord par des éléments d'avant-garde puis, la voie frayée,
par des pans de plus en plus importants des groupes sociaux intéressés au
dépassement du capitalisme.
Ceci pour dire les choses très rapidement car la question
est complexe. Entre les tendances qui estiment seulement opportun de prendre
les armes lorsque les larges masses les ont déjà prises, et les partisans du « ici et tout de suite » sans aucun préalable ( ni
programmatique, ni organisationnel ),
on trouve un grand éventail d'analyses. La nôtre se situe à un niveau
intermédiaire, et on peut aussi citer celle qui fixe la fondation d'un vrai
Parti léniniste comme préalable au déclenchement de la lutte armée. Nous
invitons les camarades intéressés par notre point de vue sur le sujet, et par
les diverses conclusions auxquelles nous sommes arrivés, à prendre connaissance
des documents que nous avons échangés avec l'organisation révolutionnaire
française Voie Prolétarienne lors du débat consacré à la question.
3.
Pouvez-vous
faire un petit historique du pourquoi
et du comment de votre choix de la
lutte armée ? Êtes-vous toujours convaincus de ce choix, de vos
analyses d'alors ?
La lutte des Cellules se situe dans le prolongement de la
rupture avec le révisionnisme soviétique amorcée dans les années 1960. À cette
époque, la Révolution chinoise et les luttes de libération dans le tiers-monde
stimulent un nouveau courant révolutionnaire dans les pays impérialistes,
courant qui dénonce les PC inféodés à l'URSS, et toute orientation réformiste.
Dès le début des années 1970, en Allemagne Fédérale puis en Italie, émergent
les premiers mouvements qui reposent ouvertement la question de l'exercice de
la violence révolutionnaire, de la pratique politico-militaire pour le
renversement du pouvoir bourgeois.
Les CCC sont les héritières de ces premières expériences,
elles ont bénéficié du chemin parcouru tout au long des années 1970 et elles
ont cherché à aller plus loin encore en tâchant d'apporter leur part de
réponses aux questions que seul le combat révolutionnaire fait surgir. À cet
égard, il vaut d'ailleurs la peine de remarquer que les plus grandes avancées
théoriques sont souvent nées des échecs :
le bolchevisme est l'héritage critique de la Commune de Paris, la Révolution
Culturelle est l'héritage critique du triomphe des forces bourgeoises en URSS
dans les années 1950, etc.
Au niveau de l’engagement militant, nous n'avons jamais été
attirés par la violence ou la lutte armée pour elles-mêmes. Le communisme c'est
la paix, la fraternité, c'est pour ce monde-là que nous nous battons. Si nous
voulons vraiment un monde sans guerre et sans arme, un monde fraternel, il faut
commencer par battre la bourgeoisie — armée jusqu'aux dents — dans la guerre
des classes. Le reste n'est qu’hypocrisie.
4.
On fait parfois
remarquer que les CCC semblent sorties du néant. C'est une différence avec les
militants de la RAF qui ont opté pour la lutte armée après une longue évolution
dans les rangs du mouvement extraparlementaire radical. Votre réponse est assez
abstraite, elle avance seulement des considérations d'ordre purement théorique.
Pourriez-vous être un peu plus concrets ?
II est exact que les Cellules n'ont pas été le fruit
mi-spontané, mi-empirique de la radicalisation d'un mouvement non armé, extraparlementaire
ou autre. Mais pourquoi devrait-il en être toujours ainsi ? L'histoire du mouvement communiste international
est faite non de l'éternelle répétition des mêmes processus mais, au contraire,
de l'assimilation des leçons des expériences précédentes, et c'est tant mieux !
Parler concrètement
de la constitution des Cellules reviendrait à préciser : untel ( avec
tel parcours politique ) a rencontré untel ( avec tel autre parcours ) qui connaissait untel ( avec un
troisième parcours ) etc. Nous pensons que
l'intérêt de la chose est médiocre mais nous pouvons, si vous le souhaitez
vraiment, présenter des éléments de cet ordre.
Pierre : Voici ma trajectoire militante.
Participation informelle à de très nombreux mouvements de lutte et de protestation
dès 1972 : agitations lycéennes et
étudiantes, dénonciation du coup d'État au Chili, opposition aux budgets
militaires, réaction aux derniers crimes du franquisme, soutien aux
travailleurs de Glaverbel, etc. En 1975, investissement dans le Collectif
pour la liberté d'expression ( lutte
contre le projet Van den Poorten ) et premiers
procès politiques. Cofondateur en 1976, puis animateur principal du Comité de
soutien aux prisonniers de la RAF ( qui
prendra le nom de Comité de défense des prisonniers politiques en RFA au début
de 1978 ). Organisateur de l'occupation de
l'ambassade des Pays-Bas à Bruxelles pour dénoncer l'extradition de trois
combattants de la RAF vers la RFA au printemps 1978. Arrêté à Zürich lors
d'achats de munitions à l'été de la même année et interdit de séjour en Suisse
sous le soupçon de « soutien à une association terroriste » ( en l'occurrence : la RAF ).
Initiateur de l'imprimerie militante Georgi Dimitrov. Cofondateur en 1981 de la
revue Subversion ( Revue internationale pour le
Communisme ) et à la même époque de la
structure DOCOM ( Documentation Communiste ) avec notamment des militants d'Action Directe — qui
venaient de sortir de prison. Engagé activement dans la solidarité avec le
révolutionnaire français Frédéric Oriach une nouvelle fois emprisonné en 1982.
Cofondateur de la revue Ligne Rouge. Participation au processus politique et
pratique de construction des Cellules Communistes Combattantes et engagement
exclusif dans cette lutte dès 1983. Passé à la clandestinité complète début
1984, huit mois avant l'ouverture de la première campagne politico-militaire de
l'organisation. Arrêté armé le 16 décembre 1985.
Bertrand : Ma trajectoire
est plus courte mais elle illustre bien ce que nous disions en commençant.
J'avais quinze ans lorsque la RAF enlevait HM Schleyer et seize ans lorsque les
BR enlevaient Aldo Moro. La question de la lutte armée, pour un militant de ma
génération, se posait en d'autres termes que pour les militants de la
génération précédente. Eux avaient d'abord dû réfléchir à la lutte armée dans
un pays impérialiste comme une hypothèse, puis ils ont dû en faire les
premières expériences. Pour moi, la guérilla urbaine fait d'emblée partie du
paysage politique. J'ai rallié en 1978 le comité fondé par Pierre pour soutenir
les prisonniers de la RAF et en 1982 je passais à la clandestinité
révolutionnaire.
Pascale : Détailler mon parcours politique
et militant ( qui débute aussi en 1972 avec ma
participation au mouvement lycéen contre le projet VDB ) n'ajouterait rien à ce qui vient d'être exposé. Je
pourrais toutefois préciser, si cela vous intéresse, que je n'ai pas participé
à la construction des Cellules. En fait, je n'ai rejoint les Cellules et leurs
structures clandestines qu'à l'automne 1985. À l'époque de la construction et
des premières actions de l'organisation, je militais publiquement dans le
collectif de la revue Ligne Rouge qui faisait de la propagande en faveur des
organisations communistes combattantes. À Ligne Rouge, entre autres activités,
nous reproduisions les communiqués des Cellules sous forme de tracts et nous
allions les distribuer dans les manifestations, les rassemblements, etc.
5.
Dans leurs
communiqués, les CCC se présentaient comme une avant-garde. Beaucoup de gens
ont critiqué ce rôle d'avant-garde, ce leadership que revendiquait votre
organisation. Les CCC étaient toujours prêtes à critiquer et à condamner, mais
ont-elles réellement cherché le dialogue avec le mouvement ( comme la RAF l'a fait après un certain temps ) ? Êtes-vous toujours attachés au principe de la « juste ligne » ? Si le pouvoir est au bout
du fusil, cela vaut-il aussi pour la vérité ? En d'autres
termes : n'y a-t-il pas danger à faire dépendre la
révolution populaire de la lutte armée et de la ligne politique qu'une minorité
choisit ?
Il y a beaucoup de malentendus. Les CCC n'ont jamais
prétendu à la responsabilité, ni revendiqué l'autorité du Parti d'avant-garde
tel qu'il est conçu par le léninisme. Le vocable « Cellules »
désigne une réalité modeste, partielle, encore incapable d'entreprendre la
tâche unificatrice première de l'Organisation. D'autre part les Cellules ont
souligné d'emblée qu'un des devoirs prioritaires du courant révolutionnaire,
devoir auquel elles entendaient contribuer, était de reprendre la réflexion, l'élaboration
théorico-politique.
Cela dit, nous pensons que le succès révolutionnaire
requiert une organisation d'avant-garde. Qu'entendons-nous là ? Une structure de lutte rassemblant et valorisant
les meilleures forces de notre camp et prenant la tête de l'ensemble des forces
prolétariennes dans le combat de classe. La révolution n'est pas une
abstraction, c'est un affrontement historique dont il faut sortir vainqueur.
Nous devons nous donner les moyens objectifs, matériels et idéologiques de
cette victoire, et le premier qui ouvre la porte à tous les autres, c'est le
Parti révolutionnaire d'avant-garde. Parce que l'organisation est supérieure à
l'inorganisation, la conscience à l'inconscience, etc.
Les Cellules n'étaient donc pas le Parti ... parce qu'elles entendaient œuvrer à sa construction,
qu'elles visaient à terme sa fondation. Cet objectif de construction organisationnelle,
leur pratique de la propagande armée et leur recherche de confrontation
politique avec tous les courants se réclamant de la lutte de classe, ont amené
les Cellules à penser qu'elles occupaient la position la plus avancée — une
position objectivement d'avant-garde — sur le terrain théorique et pratique
dans le pays. Pour notre part, nous le pensons toujours — malgré la défaite.
Les campagnes politico-militaires des Cellules en 1984 et
1985 s'inscrivaient dans le cadre de grandes mobilisations populaires et
prolétariennes, elles étaient soutenues par une importante production
théorico-politique qui appelait au débat contradictoire, critique, au triomphe
des analyses et idées justes sur les fausses. Par exemple, sur la question de
l'implantation des missiles US à Florennes en 1985, les Cellules décrivaient la
guerre impérialiste comme une manifestation inévitable du capitalisme et elles
dénonçaient les illusions contraires répandues par les pacifistes
petits-bourgeois. Mais il n 'y a pas eu de débat. En retour, seulement des
injures, des calomnies et même des attaques policières de la part des
formations brandissant des drapeaux rouges ou noirs.
« Le pouvoir est au bout du fusil », oui, c'est une vérité. Mais il ne faut pas tout
confondre. La vérité, c’est le reflet exact du monde objectif et de ses lois
dans les idées humaines. La vérité, c'est la juste compréhension de la réalité ... qui permet d'agir sur elle avec efficacité. Les
marxistes n'œuvrent pas en fonction de leurs rêves ou selon leurs préférences
subjectives. Ils cherchent à connaître la situation historique et sociale telle
qu'elle est, à maîtriser la meilleure façon d'y intervenir ( « la juste
ligne » )
pour hâter et qualifier son mouvement vers la Révolution socialiste,
l'abolition de l'esclavage salarié, la fin de l'exploitation et de l'injustice.
6.
Pourquoi ne
réagissez-vous pas sur des thèmes d'actualité, comme par exemple la lutte des
Zapatistes au Chiapas, le Congrès des Autonomes à Berlin ou, plus proches, la
grève aux Forges de Clabecq, Renault-Vilvoorde ?
En règle générale, quand des camarades nous demandent de
réagir à tel évènement ou de donner un avis concernant tel sujet, nous
répondons à leur demande. Mais il n'y aurait pas grand intérêt à nous exprimer
systématiquement sur tout et le reste ...
Notre emprisonnement — et sa durée — nous éloigne des luttes et des réalités
particulières, cela limite sérieusement la connaissance que nous pouvons en
avoir et, par là, notre capacité à une contribution créatrice et originale.
Débiter des lieux communs ( même
révolutionnaires ) dans un théâtre imaginaire et,
inévitablement, toujours en retard sur l'évènement, n'est franchement pas
motivant. Mais nous ne nous désintéressons pas pour autant de l'actualité
sociale et des luttes. Par exemple, quand dans « La Flèche et la Cible » nous
abordons la question de l'activité syndicale et de la perspective révolutionnaire,
ou celle de la stratégie de lutte pour l'accumulation des forces prolétariennes,
etc., nous intervenons au cœur même des questions soulevées par des conflits
comme celui de Clabecq ou celui de Vilvoorde.
N'est-ce pas la seule façon sérieuse d'agir, et la plus
constructive, qui nous soit accessible aujourd'hui depuis la prison ? Nous pouvons regretter cette limite, chercher à la
dépasser tant que possible, mais elle est là, et toujours plus pesante de
l'accumulation des années.
7.
« L'amalgame entre les militants des cellules et les repentis du "FRAP"
est particulièrement perfide. Les CCC et ce "FRAP" sont pleinement
étrangers ( l'enquête policière le met d'ailleurs en évidence ) et sont même des ennemis politiques. L'amalgame est une manœuvre du
pouvoir : elle tend à dépolitiser la lutte des Cellules en
l'associant à l'aventure "FRAP", c'est-à-dire en mettant l'accent sur
le dénominateur commun d'une infraction pénale similaire. De plus, l'amalgame
garantit aux autorités la présence de deux précieux collaborateurs sur la scène
du procès. Comment la farce pourrait-elle se jouer autrement ? »
Ce paragraphe est extrait de la brochure « Liberté ! Informations pour la libération de Pierre Carette,
Pascale Vandegeerde et Bertrand Sassoye » diffusée par
l'APAPC. Les CCC se sont distanciées plusieurs fois du « FRAP », pouvez-vous en présenter une nouvelle fois les
raisons principales ?
La question l'indique, nous avons déjà dû aborder le sujet à
plusieurs reprises ( nous avons même rédigé en 1990 un
document complet, « Le "FRAP", provocation et
repentir » ).
Cette histoire est de peu d'importance, contentons-nous de récapituler
l'essentiel.
Début 1985, trois attentats ont lieu à Bruxelles et sont
revendiqués par un « Front Révolutionnaire d'Action
Prolétarienne ». En fait, ce « Front » n'a pas
d'existence authentique, c'est un paravent du groupe français Action Directe.
Le but ? Donner un semblant d'illusion de
vie au « Front de la guérilla
ouest-européenne » décrété par la RAF et AD un peu
plus tôt, et auquel les Cellules en Belgique ( et les GRAPO en Espagne ) avaient
refusé d'adhérer. Lorsque la police investit les bases d'AD à Bruxelles, elle
trouve des documents du « FRAP » et arrête deux personnes se prétendant anarchistes mais qui,
confrontées à la répression, renient leur petite aventure et s'entendent avec
la justice. Elles en sont remerciées par des peines de principe et des
libérations rapides. Fin du « FRAP »
8.
Mais pourquoi
les CCC ont-elles refusé d'adhérer à la politique du « Front anti-impérialiste » défendue par la RAF et AD ? C'est étonnant quand on sait que les Cellules étaient très proches
d'AD ( notamment à travers Frédéric Oriach ) et que l'on se rappelle que votre organisation est apparue avec la « Première campagne anti-impérialiste d'Octobre ».
Une petite mise au point pour commencer : Frédéric Oriach a été longtemps emprisonné en
France en tant que militant des Noyaux Armés Pour l'Autonomie Populaire ( NAPAP ), groupe
héritier de l'organisation militaire de la Gauche Prolétarienne ( GP ), créé
bien avant Action Directe ... et sur une base politique
entièrement différente. Il n'a été « proche » d'AD que dans des constructions policières ( et leurs échos journalistiques ) qui visaient à le faire condamner une nouvelle fois
en 1982. Dans une longue interview en 1983, où il détaille notamment son riche
passé de combattant communiste internationaliste, Frédéric précise : « Il est
donc facile à comprendre que je n'ai n'en à voir de près ou de loin avec Action
Directe, contrairement aux amalgames imbéciles trop souvent pratiqués. » Dans un célèbre ouvrage de 1916, « L'impérialisme, stade suprême du capitalisme », Lénine poursuit la géniale analyse historique de
Marx en définissant les caractères du « parasitisme
et de la putréfaction du capitalisme ».
Pour les Cellules Communistes Combattantes, le terme « impérialisme »
revêt tout ce contenu marxiste-léniniste. Pour la RAF et AD au début des années
1980, « l’impérialisme » recouvre essentiellement la relation entre les pays
dominants et les pays dominés, un peu à la façon dont les tiers-mondistes
voient les choses. La différence est capitale ! D'autant qu'elle n'est qu'une parmi beaucoup, expressions de
divergences sur le terrain philosophique, de la théorie historique et
économique, de la ligne politique et de la stratégie.
Le concept stratégique de « front », par exemple, nous paraissait
erroné. Nous sommes attachés au Parti de type léniniste comme principe
organisationnel national, et à l'Internationale de type « kominternien »
comme principe organisationnel transnational.
Dans notre travail de 1993, « La Flèche et la Cible », nous
avons cherché à développer nos critiques aux conceptions de la RAF et d'AD.
Pour l'essentiel, nous dénonçons leur caractère subjectiviste, leur tendance au
radical-réformisme et au militarisme. On peut par ailleurs faire remarquer que
la RAF, qui avait impulsé ce « Front », s'est auto-liquidée ( ce qui a naturellement fait les gros titres des
journaux ), tandis que les GRAPO, qui l'avaient
rejeté sur base d'une critique communiste combattante, ont mené le mois passé
une audacieuse opération de propagande armée au cœur de Madrid ( ce qui a naturellement fait l'objet d'un black-out
médiatique ).
9.
Avez-vous jamais
eu l'impression d'être manipulés ? Nous posons cette
question parce qu'il est souvent dit que les actions des CCC participaient,
avec les tueries du Brabant, à une stratégie de la tension organisée par
l'extrême droite. On fait alors référence au frère de Pierre Carette, à des
armes trouvées dans des bases des Cellules.
Dès leur apparition, les Cellules ont été d'office la cible
de calomnies ordurières autant que contradictoires en provenance de tous les
horizons, de l'extrême droite ( Cellules =
KGB ) à l'extrême gauche ( Cellules = CIA ),
et cela continue aujourd'hui encore.
Il fallait, il faut toujours pour certains que la lutte des
Cellules — dont les tenants et aboutissants sont pourtant clairs comme le
cristal — apparaisse comme quelque chose de louche, aux fondements obscurs et
aux objectifs mystérieux, afin d'empêcher la réflexion sur la question de la
politique et de la stratégie révolutionnaires. Tant que l'on discute en termes de
mauvais roman d'espionnage, « manipulations », « déstabilisation », on rejette dans l'ombre la question centrale qui
intéresse réellement le prolétariat :
quelle stratégie offensive dans la lutte de classe ? On occulte cette vérité décisive : la lutte armée est incontournable à la reprise du
processus révolutionnaire, et on isole les combattants.
C'est une combine bien connue, on retrouve les mêmes ragots
à l'encontre des Brigades Rouges en Italie, des GRAPO en Espagne ... et jadis on traitait Lénine « d'agent de l'Allemagne ». On nous a déjà demandé pourquoi nous ne démentons pas
systématiquement les calomnies colportées sur notre compte. Prenons les
exemples cités dans la question, qu'y a-t-il à démentir là-dedans ? Oui, Pierre a un frère aîné. Et alors ? Oui, les Cellules ( et Action Directe et la RAF )
disposaient d'armes provenant de l'attaque de la caserne à Vielsalm en mai
1984. Et alors ? Alors, strictement rien du tout.
Finalement, croit qui veut croire.
10. Pierre Carette a un frère ... Oui, mais il serait membre des services de sécurité et Pierre
Carette aurait milité avec lui dans des groupuscules d'extrême droite, etc.
Il faudrait abandonner la culpabilité par consanguinité aux
tragédies antiques, aux gestapistes et aux « media-menteurs » du PTB. Nous sommes incapables de vous parler
d'Henri Carette, militaire de carrière, qui était en effet lié à des
groupuscules d'extrême droite à ULB à la fin des années 1960, car Pierre n'a
plus eu le moindre rapport avec lui depuis plus de vingt-cinq ans. C'est leur
opposition idéologique, totale et définitive, qui a toujours rendu impossible
un militantisme commun et qui a été à la source de leur rupture.
11. Pourquoi les actions des CCC ont-elles cessé après vos
arrestations ?
Simplement parce que la faiblesse objective de notre
organisation ne lui a pas permis de résister aux coups reçus, puis de reprendre
l'initiative.
L'offensive policière de l'hiver 1985/1986 ne se limite pas
à nos arrestations. Elle se prolonge par des découvertes successives de bases
opérationnelles, de garages et d’appartements clandestins, par d'importantes
saisies de matériel, par l'encerclement et la paralysie de camarades, etc.
Il ne s'agit donc en aucun cas d'une décision politique.
La réalité a montré que les Cellules s'étaient très mal
préparées à la répression, et cela tant au niveau de la simple sécurité
structurelle qu'à celui plus général de la conception du développement politico-organisationnel.
Nous faisons là allusion à la déviation que nous avons reconnue et autocritiquée
dans « La Flèche et la Cible » et lors du débat avec Voie Prolétarienne. Mais
avant cette défaite dont il faut tirer les leçons, l’expérience des.CCC en
Belgique est surtout la démonstration de l'extraordinaire « effet de levier »
que la pratique de la propagande armée apporte aux révolutionnaires.
12. Pouvez-vous expliquer plus précisément la rupture
survenue entre Didier Chevolet et vous ?
Didier Chevolet a été militant des CCC puis membre du
collectif des prisonniers jusqu'à l'été 1995. À cette date, il annonce qu'il
quitte le collectif et compte gérer la question de sa libération de manière « apolitique ».
Nous avons tenté en vain de lui démontrer que sa démarche était individualiste
et qu'elle s'opposait à l'intérêt commun, que ce caractère « apolitique »
de sa position était illusoire puisqu'il relevait d'une situation objectivement
politique. Nous regrettons beaucoup cette rupture. Nous avons perdu un camarade
et, avec la perte de notre unité, bien plus qu'un camarade.
13.
Quelles sont vos
conditions de détention ? Êtes-vous soumis à un traitement spécial ( par exemple de « haute sécurité » ) ? Avez-vous des contacts avec les prisonniers sociaux ? Quels sont-ils ?
Dès nos arrestations en décembre 1985, nous avons été placés
dans des conditions d'isolement total, un traitement jamais vu en Belgique et
dénoncé comme torture par les grandes organisations humanitaires. En mai / juin 1986,
nous avons mené une première grève de la faim collective, pendant
quarante-trois jours, mais sans réussir à faire vraiment changer les choses.
L'isolement a continué durant trois années, jusqu’à même après le procès, et
nous n'avons obtenu sa levée qu'en menant une seconde grève, longue et dure.
A partir de là, nous avons été intégrés à la population
carcérale, tout en continuant à subir des mesures restrictives exceptionnelles ( par exemple :
surveillance, espionnage du courrier, limitation des visites, etc. ) Signalons aussi que nous ne relevons pas de
l'autorité administrative en place mais d'un comité occulte au sein du ministère
de la Justice.
Nos contacts avec les prisonniers sociaux sont
prioritairement solidaires. Nous tâchons de répondre positivement aux demandes
quand on nous en fait et nous rallions systématiquement les mouvements
collectifs de revendication et de protestation. Dans les échanges, nous
défendons avec intransigeance les intérêts prolétariens et les principes de la
morale communiste. Nous essayons de développer une juste réflexion sur la
nature du système et la délinquance qu'il génère, nous combattons le racisme,
le sexisme, etc. Mais ce n'est qu'une goutte d'eau dans un désert de
misère.
14. En prison, vous avez mené plusieurs actions.
Lesquelles et pourquoi ? Les grands médias n'en ont quasi rien rapporté, la
gauche n'y a pas réagi. Est-ce que la gauche se méfie de vous ? Ou vous de la gauche ? Avez-vous été mieux
soutenus par des groupes étrangers ?
Nous avons donc mené deux importantes grèves de la faim, en
1986 et 1988, afin de sortir de l'isolement et de gagner les conditions nous
permettant de poursuivre un travail politique collectif. Les grands médias ont
été plutôt discrets quant à ces luttes ...
quoi d'étonnant à ça ? Ils font partie du système. L'extrême
gauche n'a pas réagi à ces occasions ...
Ca mérite un double commentaire.
Primo, ce n'est pas étrange de la part de l'extrême gauche
institutionnelle ( PCB/KPB, POS/SAP, PTB/PVDA ), cela confirme la profondeur de sa corruption
politique et idéologique. Secundo, c'est plus étonnant de la part du mouvement
gauchiste au sens large. La question est dans son camp : pourquoi, au-delà d'éventuelles divergences
politiques, a-t-il manqué de solidarité envers des révolutionnaires confrontés à
une répression criminelle dans son propre pays ? N'est-ce pas l'indice d'une terrible faiblesse ?
Lors des grèves de la faim, nous avons bénéficié ici du
soutien actif de l'Association des Parents et Amis des Prisonniers Communistes.
Au niveau international, nous avons été soutenus concrètement par des groupes
et des camarades en Allemagne, en Suisse, au Danemark, etc. Oui,
indiscutablement, la solidarité spontanée a été plus forte à l'échelle
européenne. Encore une fois : à qui
appartient-il en priorité d'en tirer la leçon ?
15. Que peut-on faire pour l'objectif de vos Libérations ?
Il est à présent clair que le pouvoir n'entend pas nous
libérer et qu'il s'y résoudra seulement quand il redoutera les progrès de la
mobilisation en notre faveur, il s'inquiètera d'un intérêt grandissant pour
l'expérience des Cellules. Nous l'avons dit dans un message à l'occasion de la
Journée internationale du prisonnier révolutionnaire :
« Notre maintien en détention a deux
raisons principales. La première est de priver les rangs communistes de
militants aguerris ayant fait la preuve de leur dévouement. La seconde est de chercher
à terroriser tous ceux qui, lassés par les voies de garage réformistes,
envisagent la voie révolutionnaire. »
« Nous sortirons de prison quand la
dénonciation de ces motifs politiques et les protestations seront telles que le
pouvoir estimera qu'il vaut mieux pour lui nous libérer plutôt que d'apparaître
tel qu'il est réellement, plutôt que d'attirer l'attention sur les causes qui
le poussent à s'acharner ainsi contre nous, qui ne sommes que trois enfermés
depuis tant d'années. »
« Cela demandera une longue lutte pour
laquelle toutes les bonnes volontés sont bienvenues. Cette lutte sera
victorieuse, ce qui fera notre bonheur bien sûr, mais qui au-delà servira la
cause générale du prolétariat. Sans cette dernière qualité nous ne nous
permettrions pas d'appeler ainsi publiquement à la solidarité. Mais avec elle,
nous nous sentons pleins de force, de confiance et d'enthousiasme. »
« Que faire » alors ?
Il faut développer une agitation militante publique : créer des comités locaux, organiser des séances
d'information, des collages d'affiches, des distributions de tracts, des
manifestations de protestation, des interventions dynamiques et retentissantes,
etc. Tout ce qui brisera le mur du silence construit et entretenu par le
pouvoir et ses complices nous fera faire un pas vers la liberté.