Pierre Carette ( mars 2003 )
Encore le PTB ? !
Il fallait s’y attendre. Totalement absent de la solidarité
face à une répression que tout le monde ( sauf lui ) s’accordait à reconnaître politique et
exceptionnelle, le PTB n’a pu se retenir d’un petit caca nerveux lors de ma
libération.
Je retrouve le monde un peu tel que je l’ai quitté à la
moitié des années 1980. L’aviation américaine bombarde des métropoles
étrangères, les capitalistes jettent sur le pavé des milliers de sidérurgistes
sous l’œil sidéré de la social-démocratie wallonne, et le PTB préfère toujours
la théorie du complot à l’analyse politique et la diffamation à
l’argumentation. À lire le « Solidaire » du 5 mars, qui me traite de provocateur de la
CIA, et « Le Vif » du 21 février, qui me traite d’agent du KGB, j’ai rajeuni de
vingt ans … Le PTB embouche une nouvelle fois
sa vieille trompette « CCC = CIA ».
Pour rappel, selon ses brillants analystes, la CIA aurait
créé de toutes pièces les Cellules Communistes Combattantes ( ou aurait aidé en sous-main leur
apparition, ou aurait laissé faire, etc. ) parce que la Belgique ne se serait pas comportée
comme le plus soumis des alliés de l’OTAN. C’était en pleine crise des
missiles. Des manifestants affirmaient par centaines de milliers leur refus de
les voir implantés en Belgique. Les Cellules auraient « affaibli la pensée pacifiste » et « renforcé
l’influence des faucons de la guerre ».
Voilà l’analyse que « Solidaire » partage fraternellement avec De Standaard.
Un simple coup d’œil en direction de pays voisins infirme
cette « analyse ». Le mouvement anti-guerre était bien plus massif en
RFA et aux Pays-Bas qu’en Belgique. Aux Pays-Bas, son influence était telle que
le gouvernement hollandais refusa l’implantation des missiles américains sur
son territoire. À l’inverse, les parlement et gouvernement belges furent d’un
bout à l’autre de la crise d’un atlantisme servile, — et ils acceptèrent les
missiles à Florennes. Et ce serait en Belgique,
plutôt qu’aux Pays-Bas, que la CIA aurait mené une provocation ?
Le propre de la théorie du complot est de se nourrir de
n’importe quoi et de son contraire.
Avant les arrestations, « Solidaire » tentait de la justifier en
affirmant que personne ne connaissait les militants des Cellules. Suivez la
logique : la gauche en Belgique est réduite
et rien d’elle n’échappe au PTB ; si
personne ne connaît les militants des Cellules, c’est qu’ils viennent
d’ailleurs, de Fort Braggs ou de Langsley
par exemple. Les arrestations de 1985 démentirent cette thèse. Le passé
politique et les antécédents judiciaires de mes camarades étaient limpides. Par
exemple, Didier avait été condamné en 1980 pour un bombage anti-fasciste, et
Bertrand avait été arrêté administrativement deux fois en 1979 lors de
manifestations pacifistes. Rectification de l’axe de tir dans « Solidaire ».
C’est maintenant parce que nous étions connus que la théorie du complot
deviendrait indiscutable ! La police nous connaissait et bien
sûr elle aurait laissé faire, etc.
La théorie du complot est la providence des imbéciles : elle offre des réponses simples aux problèmes
complexes.
La vision de l’histoire du PTB est à l’opposé du
matérialisme historique. Tout ( sauf
le PTB ) ne serait qu’un vaste complot
fomenté par une poignée de gros impérialistes omniscients, s’appuyant sur une
armée de subordonnés infaillibles.
La réalité est autrement plus complexe. La bourgeoisie
impérialiste ne se présente pas à nous sous la forme d’un super état-major ( et c’est heureux ! ), mais
sous forme d’un panier de crabes. Ainsi, certaines fractions de la bourgeoisie
impérialiste ont intérêt à la guerre en Irak ( e.a. les multinationales
pétrolières US ), d’autres y perdraient beaucoup ( e.a. les constructeurs US de centrales nucléaires ). L’activité chaotique des bourses et l’effondrement
de nombreux indices dans les premières semaines de mars, suite aux ultimatums
belliqueux de Washington, illustrent parfaitement les contradictions qui
opposent différents secteurs économiques capitalistes.
Existait-il, au début des années 1980, dans la gendarmerie
belge, une poignée de colonels fascistes candidats au putsch, et deux ou trois
politiciens susceptibles de miser sur ce pauvre cheval ? En vérité, je n’en sais rien — et le PTB non plus. Il
est seulement clair que l’écrasante majorité de la bourgeoisie impérialiste de
ce pays avait, et a toujours, tout intérêt à préserver la démocratie
parlementaire. C’est ici la forme de pouvoir la plus avantageuse pour la
bourgeoisie, en ce sens que le peuple y entretient ses
propres chaînes.
Au cours du demi-siècle qui nous sépare de la Libération,
les mécanismes d’absorption et de désamorçage des contradictions sociales ont
été élargis et affinés au travers d’un entrelacs d’impasses politiciennes,
associatives, syndicales, parlementaires et socioculturelles. La forme
hégémonique du pouvoir bourgeois dans les pays impérialistes est celle de la
démocratie bourgeoise, et la social-démocratie ( ou le libéralisme social — pour la
différence que cela fait ) en est la plus parfaite
expression. C’est ce pouvoir qu’il faut attaquer.
Cela fera peut-être le bonheur d’une hypothétique fraction
putschiste, mais le problème n’est pas là. Le problème est de mener la lutte
des classes, prolétariat contre bourgeoisie, en suivant une ligne de classe,
une perspective révolutionnaire. Le jour où la bourgeoisie choisira la forme de
pouvoir dictatoriale, nous la combattrons comme telle. La forme dictatoriale du
pouvoir de la bourgeoisie ne peut pas servir d’épouvantail. La bourgeoisie la
choisit quand la démocratie parlementaire se révèle incapable de neutraliser
les contradictions de classe.
Les communistes n’ont plus à défendre la démocratie
bourgeoise. Ils doivent avant tout développer les forces politiques,
idéologiques, organisationnelles, culturelles et militaires du prolétariat, — et
c’est exactement ce à quoi les Cellules se sont attelées.
La bourgeoisie est un tel réseau d’intérêts contradictoires
que quels que soient les choix des révolutionnaires, ils réjouissent toujours ( et jusqu’à la
veille de la Révolution ! )
une fraction de la bourgeoisie. L’appareil répressif, par exemple, se réjouit
dans un premier temps du développement de la lutte révolutionnaire parce que
cela lui amène plus de budget, plus de moyens, plus de prestige, plus de
promotions, etc.
Les adeptes de la théorie du complot, par incapacité à
penser dialectiquement, transforment toute relation en rapport causal direct.
Si l’action de X profite à Y, c’est que Y « est
derrière » X. Dans cette logique simplette,
les gendarmes « étaient derrière » les Cellules Communistes Combattantes comme les Carabinieri « étaient
derrière » le « Black block » à Gênes. À ce compte-là, la
nouvelle police fédérale devait être derrière les dockers qui ont ( légitimement ) dévasté la rue de la Loi il y a quelques jours et
les fabricants américains de centrales nucléaires devaient manipuler les
septante mille manifestants du 15 février contre la guerre en Irak … C’est à peine une plaisanterie : les industriels de l’atome pourraient aujourd’hui
faire leur lobbying en finançant en sous-main des mobilisations anti-guerre.
Mais quand cela serait, expliquer la mobilisation
anti-guerre autrement que par le refus populaire de la guerre serait une pure
absurdité.
Même quand des « faits » semblent venir au secours de la théorie du complot,
celle-ci ne reste pas moins fondamentalement anti-marxiste et anti-historique.
Et avec PTB nous sommes encore plus loin du compte, puisqu’en guise de « faits » ( pardon ! de « beaucoup
de faits » ! ), « Solidaire » n’a jamais avancé que des contrevérités ou de vagues
rumeurs qui ne prouvent strictement rien, sinon une volonté de prouver quelque
chose et une malhonnêteté crasse.
L’exemple du bunker d’Écaussines
est révélateur. Il n’y a que le PTB pour imaginer attaquer la porte qui vous
sépare de huit cent kg de dynamite …
avec une lampe à souder ! ! ! Tout ce passage de « Solidaire » est remarquable. Pas une ligne
sans sottise. Passons la description d’un dépôt digne du Mur de l’atlantique.
L’évocation de la hauteur de l’enceinte et de murs en béton peut impressionner,
mais c’est sa seule utilité puisque les réquisitionnaires sont passés par la
porte. Pardon, « les trois portes » ! La
première fermée par un cadenas à vélo, la seconde, en bois, redoutable comme
une porte de garde-robes, et enfin la troisième qui constitua la seule vraie
difficulté à laquelle s’est heurtée la réquisition : la porte blindée.
Selon « Solidaire », aucun des membres des Cellules arrêtés n’aurait
eu, dans sa vie professionnelle, la moindre expérience permettant de commettre
une telle effraction. J’ai rencontré quelques perceurs de coffres-forts en
prison, et je dois faire savoir à « Solidaire » qu’aucun d’eux n’avaient appris à percer des
coffres à l’école, au bureau ou à l’usine …
Et puis, qu’est-ce qui permettrait à « Solidaire » de décréter qu’il faille chercher le perceur de la
porte parmi les quatre militants des Cellules arrêtés ( et parmi eux seuls ? ).
L’explosif d’Écaussines a été
utilisé par trois organisations : la
Fraction Armée Rouge ( notamment
contre l’école d’officiers de l’OTAN à Oberammergau ), Action Directe ( notamment contre l’Institut Atlantique ) et les Cellules. Pourquoi rejeter d’office l’idée
que la porte ait été percée avec l’aide d’un( e ) militant( e ) de la
RAF, ou d’AD, ou par un militant des Cellules qui est
passé à travers le blitz policier de décembre 1985 ? Pourquoi ?
Parce que cela ne cadrerait pas avec ce que « Solidaire » tente désespérément de prouver
depuis vingt ans.
Que reste-t-il au bout du compte de cet admirable paragraphe ? La conviction de « Solidaire » que les révolutionnaires sont par
nature des manchots incapables d’ouvrir une porte blindée de huit millimètres.
Voilà donc un de ces « nombreux faits » censés étayer la thèse de la manipulation … Cette clique de bras-cassés
est tellement occupée à lécher les bottes de despotes moyen-orientaux et
africains qu’elle n’a pas trouvé deux minutes de temps pour réfléchir à ce
qu’est une activité politico-militaire.
Quand le PTB s’immisce dans le débat, c’est simplement pour
ériger sa propre incapacité en loi générale. Si des révolutionnaires ont percé
huit millimètres d’acier, c’est qu’ils ont été aidés. S’ils ont coupé en six
points les pipe-lines de l’OTAN qui quadrillent le pays, c’est qu’on leur a
tenu la main. S’ils ont échappé pendant quinze mois aux recherches, c’est que
la police ne les a pas réellement traqués.
Quant à supposer qu’ils avaient préparé soigneusement leur
passage à la clandestinité, et que c’est ce travail qui s’est révélé payant ( encore
qu’insuffisant ), voilà ce que la complotite de « Solidaire »
ne lui permet même pas d’imaginer — et voilà ce qui le dispense de toute
enquête sur notre mode de cloisonnement par exemple, ou sur la qualité de nos
faux papiers.
Le seul point de l’article où « Solidaire »
prétend nous combattre politiquement est cette critique selon laquelle nous
aurions voulu nous substituer au peuple.
Toujours cette combine indigne par laquelle on prête à son
adversaire des positions qui ne sont pas siennes, pour ensuite s’en faire
l’accusateur … « L’abc du marxisme nous enseigne que la révolution, c’est le peuple qui
la fait. » Qu’est-ce que cela signifie ? Que les révolutionnaires vont au cinéma en
attendant que le peuple soit prêt à faire la révolution ( et la fasse sans eux, tant qu’on y
est ) ?
Ou qu’ils travaillent à l’émergence des conditions
objectives et subjectives nécessaires au développement d’un processus
révolutionnaire ?
Et bien, c’est exactement ce que les Cellules Communistes
Combattantes ont cherché à faire en utilisant cette forme d’action particulière
qu’est la propagande armée.
La propagande armée nous semblait, dans la situation
d’alors, un moyen de reposer et de recrédibiliser l’option révolutionnaire. Il ne s’agissait
pas d’en faire l’alpha et l’oméga de l’activité révolutionnaire, mais
d’utiliser le message de rupture que cette forme de lutte recèle pour poser de
manière concrète et vivante ( crédible
donc ) les incontournables questions du
rapport de force, de la violence et du pouvoir.
Les Cellules ont échoué en 1985 ? Oui, et il faut réfléchir pourquoi. C’est un
problème très complexe, car il est de ceux dont les intervenants peuvent
confirmer leur thèse par leurs options. Un exemple pour rendre ça plus clair : en 1968, le PCF disait que le prolétariat « n’était pas prêt »
à la lutte révolutionnaire. Or, le poids du PCF dans la classe était tel que si
la direction du parti avait fait le choix d’un engagement révolutionnaire, le
prolétariat aurait, par ce fait même, « été
prêt ».
De la même manière, ceux qui évoquent l’isolement des
Cellules ont souvent été ceux qui y ont très largement contribué. Cet isolement
des Cellules est moins une confirmation de leur analyse que le résultat de leur
politique. C’est bien entendu une question à tiroir, parce que l’on peut alors
légitimement dire que les Cellules ont pêché par optimisme en sous-estimant le
degré de corruption de l’extrême gauche institutionnelle en Belgique. Un
exemple ? Toute la presse recevait les
communiqués de l’organisation, mais seul « Le
Drapeau Rouge » s’empressait de remettre l’envoi à
la police, sans l’ouvrir et placé dans une pochette plastifiée, afin de faciliter
la prise d’empreintes …
Pendant mes dix-sept années de prison, le PTB a préféré « patiemment et systématiquement organiser le peuple et
la classe ouvrière ». Formidable ! Sauf que je retrouve le PTB à peu près tel que je
l’ai connu. Pas mal de militants en moins, une influence réduite dans le
prolétariat et quelques biens immobiliers en plus, voilà le bilan de dix-sept
ans de travail « patient et systématique ». En règle générale, ceux qui évoquent l’échec des
Cellules n’ont guère de victoire à faire valoir. Je ne vois rien qui permette
de dire que les orientations politiques et stratégiques des Cellules auraient
été condamnées par les succès ( révolutionnaires ) des choix de X, Y ou Z. Le mouvement communiste n’a
pas quitté la crise stratégique à laquelle les Cellules ont tenté de trouver
une issue.
Cette issue reste à trouver. On la trouvera par un bilan
honnête et critique de toutes les expériences communistes, en utilisant les armes
théoriques du marxisme-léninisme, et en liant ce travail de réflexion à une
pratique militante.
C’est dans cette perspective que j’ai décidé d’adhérer au
Bloc Marxiste-Léniniste. (*)
Je sais que j’y côtoierai aussi des camarades qui, en
1984-1985, étaient extrêmement critiques vis-à-vis des Cellules. Cela ne me
pose aucun problème. Il ne s’agit pas de « pardon
aux offenses », mais d’accepter toute critique
honnête comme arme pour l’avenir. L’analyse critique de l’expérience des
Cellules — c’est-à-dire, considérant aussi les éléments positifs, les réels
apports de cette expérience — reste largement à faire. Il faut l’achever et la
mettre en valeur au service de la cause révolutionnaire. Il faut discuter de
l’expérience des Cellules telle qu’elle fut réellement. Réfléchir à leur action
réelle pour en mesurer les effets par rapport à leurs buts précis.
C’est un débat nécessaire, mais qui n’est possible qu’avec
ceux qui placent les intérêts de la cause révolutionnaire avant ceux de leur
boutique.
Ce qui exclut le PTB d’un travail collectif de réflexion
critique et autocritique qui, de toute manière, n’a jamais été son genre.
Pierre Carette, mars 2003.
(*) Pierre Carette s’est retiré du
Bloc Marxiste-Léniniste en mai 2005.