Frédéric Oriach
La lutte armée, nécessité stratégique et tactique
du combat pour la révolution
Premier mai 1985
Sommaire
II.
Lutte
armée et action politique légale
III.
Actualité de la question de l’État
IV.
La
lutte armée et le marxisme
V.
La
lutte armée dans la stratégie révolutionnaire
VI.
La
question politico-militaire
VII.
Vers
la guerre civile révolutionnaire
1.
La Révolution n’est pas un existentialisme mais un
projet concret.
Nous nous disons communistes, ce n’est pas comme
revendication d’une identité ni comme affirmation morale — la volonté de
communisme peut d’ailleurs sans doute reposer sur des motivations
philosophiques assez diverses —, mais comme référence à un sens et, avant tout,
à un projet concret, précis, bien matériel. Société sans classes donc sans
État, réalisation de l’humanité dans le sens de sa vocation, par la résolution
dialectique des contradictions qui maintiennent l’humanité potentielle dans une
phase primitive où l’humain est nié par la domination et l’exploitation de
l’homme par l’homme. Cet espoir est le moteur et le but de notre combat ; l’action révolutionnaire sur l’Histoire est donc la
pratique devant réaliser cet objectif. Nous précisons cela parce que, trop
souvent, sous le poids de l’aliénation, la déliquescence des volontés, la
médiocrité lasse et l’instinct grégaire ont subverti
l’espérance et la volonté au profit d’une fuite lâche et frileuse dans une
sorte de syndicalisme du quotidien.
Alors nous parlons de Révolution, en redonnant à ce mot tout
son sens, tout son poids, son extrême précision et son absolue globalité. Notre
objectif est de faire la Révolution et non pas « d’être des communistes », mais
d’instaurer le communisme comme nouveau rapport social.
Cela détermine des choix politiques d’ordre stratégique. En
effet, pour gagner notre libération de l’exploitation et de l’oppression, il
s’agit de maîtriser notre situation au sein de l’Histoire. Dans l’action sur le
présent, c’est notre futur que nous construisons. C’est pour cette raison qu’il
serait historiquement suicidaire de détourner les aspirations révolutionnaires
vers une volonté passéiste ( même
inconsciente ) de s’opposer au sens de
l’Histoire. Or, c’est ce qui se produit lorsque certains en arrivent à proposer
comme alternative la régression vers des formes de production et d’organisation
sociale précapitalistes ou bien ( parmi
les plus soi-disant radicaux ) lorsque
l’action politique se contente d’être contre tout ce qui marque le
développement capitaliste. Nous évoquons là l’anti-impérialisme, quand il se
limite à vouloir s’opposer aux effets de l’impérialisme, l’antimonopolisme,
l’antifascisme, l’anti toutes sortes de choses faisant reposer toute la
problématique sociale sur des idées gadgets en forme de monomanies
obsessionnelles posant, par exemple, comme question principale la politique de
l’énergie nucléaire, ou le racisme, ou l’impérialisme américain, ou la « préparation à la guerre », etc.
Assez de gadgets !
La réalité ne se morcelle pas, soit on la comprend dans sa totalité complexe,
soit on ne la comprend pas et on reste un réformiste en essayant de préserver
on ne sait quels acquis faisant partie intégrante des mécanismes de la
domination bourgeoise. « Droits de l’homme », « espaces de
liberté », « démocratie », « différences », « autonomie », etc., longue litanie des valeurs
bourgeoises.
Nous ne disons pas qu’il ne faille pas défendre à l’occasion
ce qui peut parfois limiter la brutalité de l’oppression : c’est nécessaire comme la lutte économique est
nécessaire pour la classe ouvrière dans les entreprises ; simplement nous disons que faire de la défensive
une politique ( fût-ce
de la défense « anti-impérialiste » ) est
objectivement réactionnaire. Être révolutionnaire, ce n’est pas être contre le
développement historique du capitalisme, mais au contraire pour le dépassement
de celui-ci ; c’est être pour la destruction du
capitalisme par son dépassement historique, et non par la vaine tentative de
ralentir son mouvement inexorable. Être révolutionnaire, c’est être résolument
futuriste, vivre un projet, construire un avenir, faire surgir de nouvelles
valeurs forgées dans le combat.
2.
La réalité impérialiste dans laquelle nous nous
trouvons.
Notre propos n’est pas ici d’analyser la situation actuelle
et le fonctionnement de l’impérialisme, mais d’expliquer le choix d’une
politique armée pour prendre le Pouvoir et faire la Révolution. D’ailleurs, ce
n’est pas la situation objective du moment qui nous fixe nos choix stratégiques
et nos projets ; c’est seulement à partir de nos
projets historiques qu’ensuite nous étudions la situation du moment, afin d’y
adapter nos tactiques de la façon la plus efficace ( beaucoup, groupes combattants y compris, font le
contraire, en se laissant dicter leurs choix stratégiques par la situation du
moment, ce qui fait qu’ils présentent comme « projets stratégiques » ce qui
n’est que tentative plus ou moins partielle d’analyser les problèmes de
l’impérialisme, etc., et donc qu’ils n’ont aucune perspective historique ). Mais chacun n’étant pas forcément au courant de
l’ensemble de nos analyses et propositions, il peut être utile dans cette
introduction de situer brièvement dans ses grands traits la situation
impérialiste dans laquelle doit se dérouler notre combat.
La phase actuelle du développement de l’impérialisme se
caractérise par une reconversion stratégique mettant prioritairement en avant
l’aménagement des centres impérialistes eux-mêmes, alors que la phase
précédente était tout d’abord marquée par l’expansion du mode de production
impérialiste vers la périphérie. Cela ne signifie évidemment pas un
désengagement de l’impérialisme hors du « Tiers-monde » ( = 3/4
du monde ), sauf lorsqu’il y est obligé face
à la montée des luttes révolutionnaires et de libération nationale. Au
contraire, on assiste dans les pays dominés au renforcement d’un mode
d’exploitation toujours plus brutal, dont le caractère criminel apparaît dans
toute son ampleur lorsque l’on sait que, grâce aux structures socio-économiques
de ce mode de production, la moyenne de vie dans le Tiers-monde ne dépasse pas cinquante-quatre
ans ou que l’on y compte plus de trois cent millions de chômeurs complets. Le
développement de l’impérialisme, au sein duquel la France joue un rôle moteur,
en particulier comme le second agent répressif après les USA et comme vecteur
de l’impérialisme américain, implique un accroissement continuel des
inégalités. En effet, alors qu’au XVIIe siècle l’écart entre le pays le
plus riche et le pays le plus pauvre était de 1 à 2, il est maintenant de 1 à
40. Et cela ne fait que s’aggraver puisque selon la Banque Mondiale il faudra
compter sept cent millions d’individus dans un état de pauvreté absolue à
travers les pays « en voie de développement » d’ici l’an 2000. Ce qui, selon cet organisme,
on ne peut plus officiel, se traduira par le fait que parmi les pays « en voie de développement » dont la croissance est la plus rapide, on ne peut
compter que neuf pays qui puissent espérer rattraper les pays industriels, et
cela au bout de mille ans ! À moins, bien sur, d’un changement
radical de mode de production.
Si l’on veut comprendre la nature réelle de la phase
impérialiste actuelle de façon à y adapter les grandes lignes stratégiques que
doit emprunter le mouvement révolutionnaire, il s’agit de bien saisir que la
ligne de démarcation ne passe plus seulement entre les formations dominées et
les métropoles impérialistes, mais que cette même ligne de partage se prolonge
au sein des centres impérialistes. Ce serait une grosse erreur de fonder une
analyse révolutionnaire sur des critères purement idéologiques ou moraux, à
partir du fait que l’exploitation des peuples du tiers-monde paraît beaucoup
plus féroce et que, comparativement, le statut du prolétariat en Occident
paraît privilégié. Certains poussent même ce jugement idéologique jusqu’à nier
l’existence même du prolétariat occidental, parce qu’il serait soi-disant
partie prenante de l’exploitation des peuples du tiers-monde, ce qui aboutit
alors à réduire la lutte révolutionnaire à l’expression d’une simple solidarité
internationaliste, tiers-mondiste, hors du cadre principal pour chaque
formation socio-économique nationale qu’est la lutte des classes à l’échelle
nationale. De telles positions caractéristiques de l’intellectualisme
petit-bourgeois rejoignent le crétinisme des thèses anti-scientifiques,
subjectivistes, d’un « embourgeoisement » de la classe ouvrière ( que l’on compenserait alors par la
fascination du marginalisme ). Ce ne
sont là que des justifications purement culturelles de la passivité actuelle de
ceux qui se prétendent révolutionnaires et qui ne visent qu’à s’opposer à la
radicalisation de la lutte des classes par une lutte armée communiste sous
direction prolétarienne.
Loin de se dissoudre dans un bien-être matériel qui
aplanirait les différences entre les classes grâce à la redistribution
équitable des superprofits extorqués aux peuples du tiers-monde, les inégalités
sociales ne font que se renforcer à tous les niveaux. En France, par exemple,
d’après l’INSEE, en 1980, ce sont 5 %
des ménages les plus riches qui possèdent 69 %
du patrimoine global, l’écart entre la fortune des 125.000 ménages les plus
riches et les 10 % les plus pauvres va de 1 à 1000,
cet écart ne faisant d’ailleurs qu’augmenter depuis la fin de la Deuxième
Guerre Mondiale. De plus, cette situation est sujette à des variations
régionales très importantes ( contribuant
d’ailleurs à remettre en cause les velléités de considérer l’Europe occidentale
comme le champ unifié où pourrait se développer une politique révolutionnaire
unique ), quand on constate que plus de 5 % de la population d’Europe du sud vit dans un état
de pauvreté absolue.
Cette situation s’aggrave régulièrement pour le prolétariat.
En 1985, cette année donc, l’INSEE relève que, sur le plan des salaires nets
pour l’année 1984, 72 % des salariés des secteurs privés
et semi-publics gagnent moins de 5.660 FF par mois. En quatre ans de « socialisme à la française », le salaire des 10 % de salariés gagnant le plus a augmenté plus vite que celui des 10 % gagnant le moins. Les femmes en 1984 touchent
toujours un salaire inférieur en moyenne d’environ un quart à celui des hommes.
Rien qu’en 1984, le nombre d’actifs occupés parmi les 15-24 ans a diminué de
226.686 personnes ; parmi 334.306 jeunes de moins de
24 ans devenus actifs entre mars 1983 et mars 1984, 140.193 sont devenus
chômeurs et 124.889 travailleurs à statut précaire ( seuls 69.224 sont devenus des salariés « normaux » ).
La lutte des classes comme expression naturelle du conflit
entre Travail et Capital rencontre les mécanismes économiques réglant les lois
du marché et de l’accumulation-reproduction capitaliste ; cette confrontation sur le prix de la force de
travail participe à la tendance naturelle à la baisse du taux de profit, qui
n’a fait que s’accentuer durant l’actuelle période historique, puisque celle-ci
s’est caractérisée par le phénomène impérialiste, comme expression de la
reproduction élargie du capital hors des centres de production originels, et
qu’elle s’est heurtée à la résistance du prolétariat mondial à travers les
luttes de libération nationale et l’extension des régimes socialistes.
Afin de compenser cette tendance à la baisse du taux de
profit, il s’agit naturellement d’augmenter le taux d’exploitation. C’est ce
qui est recherché par un déplacement du développement impérialiste du mode de
production capitaliste vers les zones à fort taux de productivité, les
métropoles impérialistes elles-mêmes, en y recherchant la mise en œuvre d’une
exploitation plus intensive du travail et d’une augmentation, donc, du taux de
productivité. La correspondance de ce processus dans les pays dominés est alors
le renforcement du sous-développement par l’hyperspécialisation dans des
industries légères ( en
sous-traitance des industries des métropoles impérialistes ) avec un faible niveau de qualification et des
salaires très bas. Ce redéploiement impérialiste se situe dans un cadre dessiné
par la dite « crise » économique. Mais ne nous y trompons pas, il s’agit d’une « crise » de
croissance plus que de l’annonce d’une faillite qui serait prochaine et
spontanée. Ce n’est pas pour rien que nous en sommes arrivés au point que les
milieux financiers s’inquiètent de la défaite des socialistes aux prochaines
élections : en quatre ans de social-fascisme
les échanges boursiers ont été multipliés par quatre, alors qu’ils avaient
régressé sous le gouvernement précédent ;
la valeur d’ensemble des actions de la Bourse de Paris est passée de 200
milliards de FF en 1981 à plus de 500 milliards en 1985, le montant des
emprunts est passé de 580 milliards de FF en 1981 à 1.212 milliards en 1984,
les valeurs françaises ( actions et obligations ) ont grimpé de 16,4 % en 1984 et même de 56 % en 1983.
Tout ne va donc pas si mal pour le capital !
La crise ne signifie donc pas en l’occurrence un réel affaiblissement du
capitalisme parvenu dans sa phase impérialiste développée ; au contraire, l’Histoire nous montre que le
capitalisme progresse et se développe à travers les crises, qui manifestent le
jeu de ses contradictions internes. C’est dans ce contexte que nous nous
trouvons actuellement.
II.
Lutte armée et action politique
légale
1.
La lutte armée ne peut être le produit spontané du
mouvement de masse.
Tout dépend de ce que l’on entend par lutte armée et du rôle
que l’on veut lui donner. Il peut s’agir d’une simple forme de lutte, dont la
spécificité serait seulement de se situer là où l’on perçoit un niveau de
violence supérieur ; la structure armée viserait alors
à être le bras armé du mouvement de masse, en assumant les niveaux de
confrontation trop élevés pour les structures légales. Dans ce cas, la
structure armée serait issue de la structure légale et donc d’un processus de
radicalisation au moins partielle de celle-ci, ce qui implique au départ des
liens étroits entre les deux et la conservation de ces liens par une
interpénétration des deux structures. Dans cette perspective, on peut donc se
fixer comme tâche principale d’occuper au maximum les espaces définis par la
légalité. Le développement de la guérilla se fait alors sous la forme d’un « mouvement »
armé prolongeant le mouvement légal ;
de façon schématique, c’est un peu le choix que faisaient des groupes comme
Prima Linea à partir du mouvement autonome, le Mouvement du 2 juin, la fraction
dissidente des Napap qui nous était opposée, Action Directe ( au départ, leur problème c’est que
cela a rapidement raté ), etc.
Ces conceptions de la lutte armée correspondent en fait, du
point de vue théorique, à ce qu’étaient les théories du mouvement autonome ( dans ses
versions subjectivistes comme dans ses versions ouvriéristes ). Ce qui, au niveau le plus fin, correspond aux
pensées ( du
genre Guattari-Deleuze ) d’une molécularisation des luttes
à travers un réseau de failles et d’espaces de liberté, définis par des flux de
désir que l’on pourrait traduire sociologiquement par la revendication de
différences à remplir ( autovalorisation de telle ou telle
catégorie, etc. ). Il s’agit là d’une volonté de
décodage, c’est-à-dire, de mise à côté des territorialités assignées par les
structures dominantes. Ce qui peut séduire, mais il faut voir que cette
déterritorialisation ne peut reposer que sur des désirs et des réalités qui
sont produits ou constituants du fonctionnement structurel lui-même ( à moins d’être philosophiquement complètement
idéaliste ). Ce qui fait que l’occupation des
espaces soi-disant décodés ne correspond en fait qu’au remplissage et
renforcement des lieux structurellement définis par le système dans le but de
répondre à ses propres nécessités de fonctionnement ( lieux de pouvoir ou d’exploitation ). Ces choix me semblent donc en parfaite adéquation
avec les intérêts du système actuel et de son processus historique permanent de
développement et d’aménagement. Cela dans l’évolution préconisée par les
économistes, sociologues, politiciens et prospectivistes divers du Pouvoir bourgeois,
vers ce qu’ils appellent une société « duale » ( dans
un redéploiement des pouvoirs qu’en termes militaires on pourrait dire être une
centralisation stratégique et une décentralisation tactique ). Bien sûr, sous un langage « marxien »
accompagné de néologismes abscons et d’italianismes n’ayant aucun sens
compréhensible hors d’Italie, tout cela prône un parfait interclassisme fondé
sur la primauté du comportement culturel.
Mais la lutte armée conçue de façon subjectiviste, comme
comportement socioculturel qui serait l’expression d’un « espace »
particulier parmi une mosaïque d’autres, comme une « différence »,
un des « mille plateaux », ne peut être qu’une pratique de ghettoïsation et
suicidaire. Aussi nous cherchons tout au contraire l’émergence et le
développement d’un processus évolutif, organisé et politiquement centralisé,
qui ne réponde pas à des espaces morcelés, mais traverse au contraire
l’intégralité de la formation historique. Nous posons la lutte armée comme
instrument de stratégie révolutionnaire, de classe, organisée, à fonction
historique, chacun de ces termes devant être compris dans son acception la plus
complète.
Cela veut dire qu’elle n’est pas une forme de lutte parmi
d’autres, mais qu’elle se veut l’expression d’une politique visant à la
transformation globale de la société. C’est donc très différent d’une démarche
revendicative limitée et, au lieu de coller au morcellement structurel, elle
cherche à recentrer les multiples contradictions en signifiant ce qui est en
dernier ressort le moyen principal de résolution de la contradiction sociale.
Cela dans la compréhension totalisante de la réalité, non pas par schématisme
ou par un dogmatisme réducteur, mais parce que la vérité est dans cette
totalité de la réalité objective, totalité qui lui est donnée par le fait qu’il
n’y a pratiquement plus un aspect de l’existence qui échappe au mode de
production capitaliste. L’autre source de totalisation étant, bien entendu, le
mouvement de l’Histoire ( et
on peut encore trouver au-dessus de l’Histoire une autre force de totalisation,
mais ça c’est un autre problème ! ), et le propre de ce mouvement de l’Histoire est de
poser les questions en termes de classe, d’affrontements entre classes, de
pouvoir à subir ou à exercer.
Précisons toutefois que cette conception n’entraîne aucun
sectarisme quant à la diversité des pratiques et des opinions, car nous pensons
que le mouvement organisé de lutte armée n’apparaîtra pas par la désagrégation
des courants existant aujourd’hui, mais par l’émergence parallèle d’un
processus réellement nouveau ; de la
même façon que le mouvement bolchevique n’a pas eu besoin de l’extinction de la
social-démocratie révisionniste et des courants socialistes-révolutionnaires ou
libertaires, même s’il s’est appuyé sur la critique de ceux-ci, mais s’est
développé comme alternative nouvelle par le recours à la méthode scientifique
d’un marxisme authentique comme instrument d’analyse de la totalité de la
réalité russe de l’époque.
2.
Les problèmes du passage du légal à l’illégal.
Le rapport entre l’espace du travail politique légal et les
structures illégales n’est pas à considérer comme fixé a priori, mais dans la
perspective dialectique du mouvement propre à chacun des deux types de
structures. Ce qui permet de dégager trois schémas possibles :
a ) que la guérilla
apparaisse comme aboutissement de l’évolution des contradictions internes du
mouvement légal et du processus de radicalisation / conscientisation de celui-ci ;
b ) que le mouvement légal
soit la périphérie du noyau le plus radical, donc organisé et armé, et qu’il se
développe autour de la guérilla ;
c ) que le mouvement légal
et la structure armée se développent parallèlement, dans une interaction
dialectique organisée que nous préciserons au long de ce texte.
La deuxième perspective semble difficile à réaliser, dans la
mesure où la guérilla est de fait historiquement secondaire au mouvement légal
et il faudrait donc une désagrégation de celui-ci pour que la guérilla soit
l’espace central autour duquel il se développerait. De plus, il est évident que
le développement de la lutte armée doit entraîner la conscientisation, la
transformation idéologique et politique, l’extension des idées
révolutionnaires, mais il n’est pas certain que cette extension se traduise par
un développement du mouvement légal, puisque si la guérilla agit sur le rapport
de force c’est en exacerbant les contradictions, donc en favorisant l’élévation
du niveau de violence de l’affrontement. Ce qui implique accroissement de la
militarisation générale et de la répression, restreignant par là l’espace des
libertés légales et entraînant donc la limitation objective des capacités de
développement du mouvement légal.
La première perspective, que la guérilla soit un
aboutissement de la radicalisation ( partielle ou générale ) du mouvement légal, constitue l’option qui nous est la plus souvent
opposée. Si le mouvement légal peut donner le jour à la lutte armée,
directement, ce ne peut être qu’à travers un processus insurrectionnel, on
retombe alors dans l’illusion des groupes gauchistes pensant que le schéma
léniniste de 1917 est transposable à n’importe quelle situation historique et
qu’il s’agit de préparer les masses grâce au militantisme légal ( ce qu’ils font
depuis soixante ans sans avoir progressé d’un iota ) jusqu’à ce que la situation soit miraculeusement
mûre pour le Grand Soir. Si dans cette perspective il ne peut y avoir de projet
autre qu’insurrectionnel, c’est parce que l’on voit mal comment la guérilla,
impliquant une structuration politico-militaire clandestine, pourrait se
développer sur le même plan que le mouvement légal, dans la mesure où le
caractère ouvert de ce dernier rendrait la guérilla trop perméable aux
activités de renseignement et attaques de l’ennemi.
Ensuite, il y a deux blocages, l’un est idéologique, l’autre
est politique.
Sur le plan idéologique. La différence entre lutte armée et
action légale n’est pas quantitative, mais qualitative. Le passage de l’une à
l’autre ne peut donc se faire par une évolution linéaire et homogène, mais
uniquement par bonds. Ce qui fait que sur chaque problème il peut y avoir deux
choix, l’un illégal, l’autre légal. Il ne faut jamais oublier que nous vivons
dans un système de libéralisme politique, la forme politique de la dictature
bourgeoise est ici la Démocratie ; alors
lorsque quelque chose nous mécontente il existe tout un choix de moyens légaux
pour nous exprimer : manifs, tracts, journaux,
bulletins de vote, etc. Aussi la lutte armée est tout autre chose qu’un
moyen ultime qui serait employé en désespoir de cause. Robespierre disait
justement que tuer Louis XVI ne relevait pas d’un acte de justice ou d’une
impossibilité de faire autrement, mais d’une « décision politique » ;
c’est ainsi qu’ici il nous faut considérer la lutte armée : non pas un ultime recours, mais une pure décision
politique, froide, choisie scientifiquement pour sa fonction dans une stratégie
révolutionnaire rationnellement réfléchie.
D’autre part, nous ne pensons pas que l’on puisse
valablement ne pas voir la lutte armée dans sa fonction stratégique générale et
limiter ainsi l’action illégale comme réponse ponctuelle à des problèmes bien
circonscrits ( antifascisme, antiracisme,
antinucléaire, etc. ), parce qu’à moins d’avoir une
vision étroite et morcelée de la réalité, on voit que ces questions ne peuvent
être isolées de leur contexte et que c’est donc se résigner à l’impuissance que
de limiter une approche radicale à des secteurs particuliers.
Il existe une multitude de structures évoluant dans l’espace
de la légalité, plus ou moins radicales, de contestation ou de revendication,
qui peuvent être caractérisées par le fait de ne pas poser la question du
Pouvoir, mais uniquement du degré d’autonomie et d’aménagement à l’intérieur
des cadres actuellement en place. Dans la mesure où il s’agit d’espaces
morcelés, s’attachant chaque fois à un problème très spécifique, il ne peut y
avoir en leur sein de transformation en vue de la lutte armée ( si l’on s’entend sur celle-ci comme fonction d’une
stratégie révolutionnaire réelle, c’est-à-dire incluant la prise du pouvoir
d’État ). Ces espaces légaux, à travers
lesquels s’exprimerait la soi-disant « société
civile » contre l’État, sont un peu
comparables aux syndicats, ceux-ci sont des lieux majeurs de la résistance
ouvrière, ce qui est une fonction nécessaire qui peut être maintenant étendue
dans les secteurs autres que producteurs, étant donné l’extension actuelle du
mode capitaliste sur tous les aspects de la vie. Mais, de la même façon
qu’autrefois les syndicats ne pouvaient ni se confondre avec le Parti ni être
la structure destinée à lui donner le jour, l’ensemble des organismes légaux ne
peut être porteur de l’expérience, de la capacité de synthèse et de
structuration organisationnelle qui sont nécessaires au développement d’une
lutte armée à fonction véritablement stratégique. Comment, en effet, un
collectif réuni par antifascisme ou contre la répression ou pour soutenir des
prisonniers ou autre chose, pourrait-il, dans le cadre de cette activité
spécifique, mener l’analyse historique nécessaire à un véritable projet
révolutionnaire ?
3.
Limites de la légalité et position de classe.
Une compréhension historique révolutionnaire ne peut
apparaître qu’à partir d’une position de classe. Voilà sans doute le problème
principal, vouloir transformer radicalement l’ensemble des structures sociales
par la destruction de l’État bourgeois et la prise du Pouvoir, aller vers le
communisme ; cela implique d’avoir compris le
mouvement de l’Histoire et s’y situer. Ce mouvement étant celui de la lutte des
classes, il s’agit donc de se positionner en tant que classe, c’est-à-dire se
donner les moyens pratiques et théoriques de cette dialectique qui fait de la
réalisation du prolétariat en tant que classe la condition de son abolition,
réalisation qui implique : identité de classe, conscience de
classe, position de classe. Puisque les forces qui font l’Histoire sont les
classes, le projet révolutionnaire ne peut que se confondre avec le processus
d’acquisition de la conscience de classe par le prolétariat. Et on voit mal
comment ce processus pourrait être constitué par le jeu de structures légales
morcelées, limitées, généralement n’adoptant aucune position de classe, prônant
au contraire l’interclassisme grâce à des confusions plus ou moins
opportunistes visant à remplacer l’antagonisme des intérêts objectifs de classe
par des contradictions entre des catégories déterminées par de simples
comportements socioculturels ( « l’individu »
contre l’État, le « jeune », une sensibilité individuelle à tel ou tel problème particulier, etc. ). Les exemples les plus comiques peuvent en être
trouvés dans ce qu’était la « mouvance
autonome » et les influences qui en restent,
lorsque nous voyons inventer un concept de « jeune
prolétaire » ( ou, plus récemment et encore plus drôle : le « prolétaire urbain », ce qui ne veut strictement rien dire ), concept incluant, pour ceux qui le manient, le
jeune travailleur ( comme s’il avait d’autres intérêts
que le travailleur plus âgé ! ), le zonard, le lycéen en phase de rupture
adolescente, l’étudiant travaillant pendant ses vacances et aux comportements
culturels un peu différents de ceux qu’il adoptera quand quelques années plus
tard il aura acquis sa situation de cadre ou de patron.
Cet espace de l’activité politique légale est donc morcelé
par des spécialisations interclassistes, alors que la lutte armée doit être
l’expression d’un projet révolutionnaire organisé, dont l’existence ne peut
reposer que sur des positions de classe, dans la construction de la conscience
de classe.
Sur le plan politique, les limites de l’évolution des
structures légales ont des causes externes et des causes internes.
Les causes externes sont dues en particulier à l’évolution
des mécanismes du pouvoir social selon les nécessités du développement de
l’impérialisme. Nous y voyons les extraordinaires capacités d’absorption et de
récupération par le pouvoir bourgeois ( si les sociologues, psychologues,
etc., sont payés par l’État pour étudier et impulser mouvements « alternatifs »
et « nouveaux mouvements sociaux », ce n’est pas pour rien ... ). La
tendance est à l’extension du salariat et de la prolétarisation, vers une
bipolarisation sociale croissante. Le pouvoir politique doit s’adapter à cette
réalité dont la caractéristique est de nécessiter ( pour éviter la fracture ) un commandement renforcé, une domination plus
complète et efficace ; cela passe par la volonté
d’éclater la lutte des classes en brisant l’homogénéité interne des ensembles
de classe. Le Pouvoir bourgeois cherche à remplacer le concept de classes dans
la conscience collective par une notion d’appartenance à des catégories de
comportements socioculturels ( « jeunes », écolos,
homosexuels, punks, « peuple de gauche » et tutti quanti ).
Un parfait exemple est l’invention, par les managers du social-fascisme et du
sionisme, de la notion de « Beurs », afin de tenter d’une part de briser l’identité
arabo-islamique et d’autre part de briser l’identité sociale de classe du
prolétariat immigré arabe. Quand ce n’est pas par le comportement culturel ou
par la sensibilité idéologique, ces catégories peuvent se faire fabriquer par
une caractéristique économique secondaire mais érigée de telle sorte qu’elle
soit considérée comme prenant le pas sur les rapports de production.
Dans l’organisation par la dictature bourgeoise ( ses mass media et structures de pouvoir intellectuel ) de la suprématie du sociologique sur l’économie
politique, l’espace de la légalité, parcouru par la nébuleuse des collectifs
associatifs et des mouvements dits alternatifs, se voit confier la tâche
d’hétérogénéiser les intérêts de classe, d’absorber les contestations, en leur
fournissant des espaces de liberté où s’ébattre, de paralyser les tendances
subversives en les réorientant dans le sens de l’ordre établi.
Alors que l’impérialisme organise la grande concentration
monopoliste et la mondialisation du mode de production capitaliste, il peut se
permettre de dégager des espaces sociologiques et idéologiques livrés à des
formes d’autogestion ( excluant
de toute décision quant aux questions fondamentales ). Espaces d’expression et de défoulement qui peuvent
être occupés à l’infini, puisque lorsqu’un groupe ou un courant ne satisfait
plus il suffit d’en créer un autre à côté, accroissant ainsi l’hétérogénéité et
l’impuissance. Alors il faut saisir que l’espace d’existence politique délimité
par la légalité est précisément celui par lequel fonctionne, se développe et
évolue le Pouvoir impérialiste lui-même. Aussi, plus l’espace de la légalité
sera rempli, plus sa fonction sera réalisée et donc moins il sera le lieu
possible d’une subversion réelle.
Il y a également des causes internes expliquant
l’impossibilité d’un passage évolutif du mouvement légal à la lutte armée.
C’est que le dit espace de la légalité fonctionne en instaurant et en
distribuant des pouvoirs, pouvoirs qui ne peuvent se perpétuer, donc, que grâce
au fonctionnement de la légalité. C’est ainsi l’espace privilégié de la petite
bourgeoisie, là où elle peut remplir la fonction politique spécifique qui lui
est assignée, c’est-à-dire, où se joue la gestion de l’idéologique et du
politique de la dictature bourgeoise. La petite bourgeoisie est la courroie de
transmission politique entre la bourgeoisie capitaliste et les masses
prolétariennes, elle est pleinement dépositaire et gardienne des intérêts du
capital.
Et c’est bien ainsi la petite bourgeoisie intellectuelle qui
gère les mouvements légaux, tous les mouvements « alternatifs », anti-répressifs, les groupes
gauchistes, les mouvements de solidarité, de création culturelle, de réflexion,
tous les organes d’expression.
Comment imaginer que les détenteurs d’un tel pouvoir
politique et idéologique pourraient l’abandonner avec
le sourire ? Car le passage à la lutte armée
implique l’abandon de ce pouvoir, non pas qu’elle exclue la hiérarchie ou la participation
de petits-bourgeois, mais uniquement parce que, dans l’espace de la légalité,
le pouvoir de cette catégorie sur les mouvements idéologiques et politiques
fait intrinsèquement partie de sa fonction officielle, attribuée par les
rapports de production et rétribuée généralement par l’État, rapport évidemment
impossible quand on mène une lutte armée !
Chacun a alors en tête d’innombrables exemples qui montrent
bien, pour les raisons que nous venons d’évoquer, l’impossibilité de se libérer
progressivement du pouvoir de la petite bourgeoisie dans les structures
légales. Dès que cette catégorie voit le pouvoir lui échapper, elle réagit en
s’opposant, en sabotant, en trahissant, en détruisant les structures dont elle
a la direction effective. Ce pouvoir lui échappe dans l’illégalité, ne
serait-ce que par la nécessaire clandestinité de l’action qui entraîne la
rupture entre l’activité professionnelle et para-professionnelle publique,
d’une part, et l’activité politique, d’autre part ( alors que la singularité
existentielle de la petite bourgeoisie intellectuelle se fonde justement sur la
non séparation entre l’activité sociale salariée et l’activité sociale gratuite ). C’est sans doute d’ailleurs pour cela que la
caractéristique psychologique de la petite bourgeoisie intellectuelle
confrontée aux questions de la lutte armée, c’est la paranoïa aiguë, se croire
l’objet d’un complot, adopter une vision policière de l’histoire, en voyant
partout des infiltrations et des manipulations, se croire menacée par le fascisme,
la guerre ou on ne sait quoi encore, se complaire dans l’analyse descriptive
des pratiques de la répression pour mieux se persuader qu’il est préférable de
rester chez soi. Voilà donc une nouvelle raison pour laquelle le passage du
mouvement légal à la lutte armée ne peut correspondre à une progression
linéaire ; de trop nombreux blocages
politiques, idéologiques, mais aussi psychologiques et policiers, s’opposent à
une radicalisation progressive, au sein d’un cadre légal, qui puisse conduire à
un processus véritablement révolutionnaire, donc de lutte armée.
Ces lignes ont un objectif précis : parler de la fonction de la lutte armée telle
qu’elle est nécessaire ici et aujourd’hui. Aussi nous n’allons pas discuter du
travail politique légal ou ne l’évoquer que par rapport à la lutte armée.
L’action politique légale fait l’objet d’autres discussions. Nous situerons
simplement, avant de les retrouver plus précisément, les grandes
caractéristiques de l’action légale dans son rapport à l’action armée et dans
sa nécessité générale :
— C’est le cadre dans lequel le combattant communiste
doit acquérir l’expérience politique militante qui est nécessaire à son
efficacité dans la guérilla.
— L’action légale favorise la prise de conscience
révolutionnaire des masses populaires, qui sont ainsi plus sensibles aux
objectifs de la lutte armée révolutionnaire et, bien entendu, aux nécessités de
son développement quantitatif ( sans
articulation à une action politique légale, largement publique, une guérilla
serait condamnée à l’isolement par rapport aux masses, donc à végéter, à ne pas
se développer et à voir son sort uniquement déterminé par les aléas de la
répression ).
— L’action politique légale constitue l’espace à
travers lequel les forces communistes combattantes peuvent construire leur
ligne politique, adopter de justes orientations stratégiques et suivre une
pratique correcte répondant aux intérêts objectifs et subjectifs des larges
masses prolétariennes. Car l’action politique légale est le cadre principal
d’application de la ligne de masse :
partir des masses pour retourner aux masses ;
par l’enquête politique systématique doivent être saisis les besoins et
capacités réels des masses populaires ;
il doit en être tiré une ligne d’action représentant la synthèse des idées les
plus avancées des masses ( car les idées justes viennent des
masses, uniquement des masses, et pas de l’analyse de ce que racontent les
gestionnaires ennemis ; on en apprend plus au comptoir
d’un café populaire que dans les derniers rapports de la Trilatérale, de l’OTAN
ou autre, du moins si on veut faire la Révolution ). Cette synthèse doit être effectuée grâce aux divers instruments à
notre disposition, en particulier le marxisme-léninisme, mais aussi l’intuition
de ce qui est juste et du sens profond de notre longue marche. Cette synthèse
doit ensuite être restituée aux masses par l’information, l’agitation, la
propagande militante, les actions révolutionnaires. Puis l’impact de
l’intervention politique, armée ou pas, doit être évalué au sein des masses et
donner lieu à une nouvelle synthèse, et ainsi de suite, selon un cheminement
dialectique.
— L’action politique légale est le cadre où le
combattant acquiert ses motivations et sa détermination idéologique, ce qu’il
ne peut faire qu’en connaissant les conditions réelles de la vie des
prolétaires, connaissance qui pour être objective nécessite de partager les
luttes des masses.
— Le cadre d’action légale à privilégier pour les
combattants communistes n’est pas celui des structures « alternatives »
ou de contestation de telle ou telle institution, dans la mesure où ces
structures sont le plus souvent interclassistes et concernent surtout des
catégories petites-bourgeoises ou marginales qui pour être remuantes n’en
présentent pas moins un intérêt nul pour la Révolution. Le cadre de l’action
politique légale doit donc être uniquement déterminé par l’analyse de classe,
par l’analyse objective de la composition sociale du milieu où l’on intervient,
à qui on s’adresse. Par conséquent ce cadre doit être prolétarien, nous devons
nous adresser à la classe ouvrière et aux autres couches authentiquement
prolétaires, ce qui doit être considéré objectivement et non pas
subjectivement. Le prolétariat est déterminé par sa place objective dans les
rapports de production et non pas par des critères subjectifs tels que la « révolte »,
la délinquance ou autres comportements minoritaires, d’autant que ce type de
critères subjectivistes désignent généralement des catégories de la petite
bourgeoisie ou du lumpenprolétariat, c’est-à-dire des catégories qui pourront
peut-être suivre en partie la Révolution, mais qui ne pourront en aucun cas y
jouer un rôle autre que totalement secondaire.
III.
Actualité de la question de l’État
1.
Lutte des classes ou lutte contre l’État ?
Une question très importante que nous rencontrons souvent
chez nos contradicteurs, que ce soit ceux qui s’opposent à la lutte armée ou
que ce soit ceux qui, comme Action Directe ou certains groupes anarchisants,
ont des pratiques de lutte armée mais sur des bases non marxistes, c’est le
problème de l’État, la conception que l’on en a et comment celle-ci s’insère
dans notre combat.
Objectivement, l’État n’est rien d’autre que l’instrument de
la dictature d’une classe, donc aujourd’hui l’instrument de la bourgeoisie.
Bien sûr, en tant que communistes, nous voulons aboutir à l’abolition de tout
État, puisque nous combattons pour une société sans classe et que l’État ne
s’explique que par l’existence des classes. Cependant, nous ne confondons pas
les causes et les effets, un système de société et un simple rouage de
celui-ci, une classe dominante et son organe politique, administratif et
militaire de domination. L’ennemi principal n’est certainement pas l’État, et,
bien sûr, encore moins les quelques structures bureaucratiques transnationales
par lesquelles les États de l’impérialisme tentent vainement d’introduire un
peu d’ordre gestionnaire dans l’anarchie qui caractérise leur système ( mais cela, nos
nouveaux socialistes-révolutionnaires, luxemburgistes et néobundistes, version
armée, ne le comprennent pas, c’est à se plier de rire ... ).
Nous n’allons pas non plus remplacer l’idée d’un grand
méchant loup d’État par celle d’horribles bourgeois égoïstes et avides : ce qui est en cause ce ne sont pas en premier lieu
des individus ni leurs appareils bureaucratiques, ce qui est en cause c’est
fondamentalement un mode de production, le mode de production capitaliste, qui
est à la base de l’ensemble du système de domination, dont l’État, etc.
Considérer comme « ennemi principal » l’État en soi ou la bourgeoisie en soi, revient à
ne considérer que des symptômes, car on ne détruira ni la bourgeoisie ni l’État
si on ne détruit pas l’actuel mode de production.
Mais il est vrai qu’est actuellement très répandue la
tendance à concevoir l’État comme une sorte d’ogre, responsable universel de
tous les maux. Si on ne considère pas l’État comme produit d’un certain mode de
production, c’est qu’il serait le fruit d’une imaginaire « nature humaine »
se traduisant par un goût du pouvoir chez certains individus, thèse qui se
manifeste alors par des théories utopiques ou alors par le réformisme.
Réformisme qui s’exprime sous les trois tendances suivantes, principalement : La dite extrême droite, néo-libéraux et « nouveaux philosophes », souvent gauchistes recyclés dans l’anti-communisme et le sionisme
fanatique au service de la défense de la Démocratie, dont la thèse est de
proposer un État du moins d’État possible, comme dit Bernard-Henri Lévy. La
deuxième grande tendance est celle du « centre » traditionnel, c’est-à-dire le social-fascisme tel
qu’il règne en France ( la
social-démocratie caractérisait déjà les régimes précédents, en particulier
celui de Giscard qui était peut-être même encore plus social-démocrate que la
bande à Mitterrand, et la social-démocratie sera encore le caractère principal
du régime politique français après 1986 et 1988 ). Dans ce courant nous pouvons placer tous ceux qui sont des parasites
du pouvoir bourgeois, ceux qui sont « à
la gauche de la gauche », les groupuscules gauchistes dont
le néo-révisionnisme se concrétise par leurs reptations de misérables
quémandeurs de strapontins au sein de la social-démocratie ; ceux-là ont contribué à la victoire électorale du
Porc Suprême, Mitterrand, au nom d’un « moindre
mal », et nous les verrons, éternels
prostitués, voter en 1986 et 1988 pour la Gauche sous prétexte de barrer la
route à la soi-disant Droite et au soi-disant « fascisme ». Il y a enfin un troisième
courant, dont l’image est d’extrême gauche, mais que nous désignons sous le
concept de radical-réformisme. Ce sont des autogestionnaires, des courants « alternatifs »,
des groupuscules relevant — consciemment ou non — des théories de l’Autonomie,
dont l’objectif est de s’aménager des espaces morcelés et interclassistes
définis par des comportements culturels, des « désirs » se déconnectant de la lutte des
classes et du mouvement de l’Histoire, recherche donc d’aménagements et
mentalité d’assistés, contestant l’État, mais sans cesse revendiquant des
statuts reconnus par l’État, davantage de services, de salaires indirects, etc.
Toutes ces tendances, y compris celles qui font de « l’anti-impérialisme » sans ligne de classe concrète et donc sans viser à la prise du
Pouvoir, se rejoignent finalement en ce qu’elles font de l’État l’objet
central, qu’elles veuillent le diminuer, le renforcer ou le gérer, en faire un
meilleur distributeur de services ou développer des espaces d’autonomie isolant
l’État. Le principe est le même : voir les
institutions comme ce qui est premier ( l’OTAN
ou l’EDF ou l’administration pénitentiaire ou l’école etc. ), ne pas poser comme principale la question du mode
de production, ne pas tenir compte du mode de développement des contradictions
constituant le sens de l’Histoire, ignorer la lutte des classes et la remplacer
par des aspirations de catégories socioculturelles, comportementales,
subjectivistes, de supposées contradictions gramsciennes entre « pays légal »
et « pays réel », État contre « Société », « classe
dirigeante » contre « peuple », ou autres
conceptions idéalistes qui marquent profondément jusqu’à certains groupes de
guérilla en Europe de l’ouest.
2.
Il faut tenir compte de l’évolution des formes de
l’État, dans le combat pour nous en emparer.
Notre critique est donc tout à fait radicale contre les
thèses considérant l’État comme étant en soi l’ennemi principal. Cependant, il
convient d’aller un peu plus loin, car il ne faudrait pas tomber dans l’excès
inverse. En effet, dans la mesure où l’on veut abolir l’actuel mode de
production et renverser la bourgeoisie, on se trouve forcément confrontés aux
instruments de contrôle, gestion, répression, donc à l’État. La Révolution
implique de briser tous les instruments de l’ancienne société, en particulier
de détruire son État. Pour le prolétariat, prendre le Pouvoir, c’est aussi
prendre les pouvoirs actuellement gérés par l’État bourgeois. C’est peut-être
une évidence, mais elle est à rappeler, car il ne s’agit pas de considérer non
plus l’État comme un instrument quasiment neutre, qui changerait simplement de
mains ou qui s’écroulerait automatiquement au cours du processus
révolutionnaire ( au
contraire, il se renforce au fur et à mesure qu’avance le procès
révolutionnaire ). D’autant que le caractère d’une
pure instrumentalité de l’État légitimerait l’utilisation de celui-ci par les
forces communistes durant la phase prérévolutionnaire, donc il faudrait
admettre l’électoralisme, le parlementarisme, la possibilité d’une conquête
pacifique du pouvoir d’État. Ce contre quoi nous n’avons rien a priori, ce
serait parfait si des élections pouvaient remplacer la guerre civile ; mais aujourd’hui et ici ce n’est pas le cas, la
révolution prolétarienne exige la totale et violente destruction de l’appareil
d’État bourgeois.
Il faut bien voir que le choix ou le rejet du
parlementarisme ne relève pas de questions de principes, mais de positions
dictées par l’analyse objective de la réalité actuelle. Par exemple, la
situation était différente et permettait des formes de parlementarisme dans la
Russie préparant 1917, car on s’y trouvait alors devant un processus de double
révolution, c’est-à-dire une révolution démocratique ( impliquant donc démocratie, parlementarisme,
légalisme, etc. ) servant de tremplin à une
révolution prolétarienne, ce qui n’est évidemment pas le cas ici et maintenant,
où la révolution démocratique bourgeoise est achevée depuis pas mal de temps.
Cette réalité actuelle nous montre également que, si le système
socio-économique est toujours le même par son fonctionnement qu’à l’époque où
Marx en expliquait les mécanismes, il n’en a pas moins subi depuis ce temps de
profondes modifications correspondant à son développement naturel, à sa
maturation. La description que Marx ou Lénine pouvaient donner de la fonction
de l’État est toujours juste et se confirme même toujours davantage à travers
le temps. Cependant, ce qui est exact est l’explication du fonctionnement et
non pas la description d’une forme historiquement donnée qui se perpétuerait
immuablement. Car la forme de l’État bourgeois est constamment mouvante en
fonction du développement du mode de production capitaliste. Aussi, si nous
pouvons penser que l’utilisation révolutionnaire de l’État bourgeois est
aujourd’hui à exclure et qu’il semble nécessaire de nuancer quelque peu la
conception de l’État comme simple instrument de domination et simple expression
politique du pouvoir de la classe dominante, c’est que cette analyse, restant
toutefois exacte dans l’absolu, se doit d’être précisée devant les
transformations objectives intervenues dans la nature de l’État au cours du
développement capitaliste, aujourd’hui dans sa phase impérialiste moderne.
3.
L’État impérialiste, fonction du capital.
En effet, aujourd’hui moins encore qu’autrefois, on ne peut
séparer le combat anticapitaliste, qui relèverait de la lutte des classes en
général, et un combat contre l’État, qui serait lutte politique ou
politico-militaire, comme si l’État n’était qu’un simple instrument comme la
police ou l’armée, un obstacle sur le chemin du pouvoir prolétarien. Car si
l’on admet, d’une part, que l’État est une production de l’organisation des
rapports de classes à un moment historiquement déterminé de leur développement
et que, d’autre part, le mode de production donnant naissance aux rapports
sociaux ( donc
aussi à l’État ) se développe, donc se transforme,
alors il faut admettre que l’État évolue relativement à cette transformation,
se développe, mûrit, se transforme.
Dans quel sens a lieu cette transformation ? Elle est la traduction, au niveau de l’État, de
l’extension du mode de production capitaliste dans toutes les directions et
profondeurs du tissu social. Chacun peut constater à quel point les moindres
manifestations de la vie sociale et même individuelle sont de plus en plus
conditionnées par l’actuel mode de production, un mode de production dont
l’existence est inséparablement liée aux mécanismes de l’accumulation / reproduction du
capital. Mécanismes dont la contradiction interne se manifeste par la tendance
à la baisse du taux de profit, baisse tendancielle provoquant une extorsion de
la plus-value relative de plus en plus croissante par rapport à celle de la
plus-value absolue. Cet accroissement de l’importance de la production de la
plus-value relative est la base économique de la plupart des phénomènes décrits
comme spécifiquement afférents à l’étape actuelle de la société occidentale,
c’est-à-dire toutes les formes que d’aucuns ont désignée sous le concept de « société de consommation » ( notion évidemment trompeuse, mais
qui a acquis un sens familier que chacun comprend ) ; recherche du profit jusque dans
les plus petits gestes quotidiens, totale suprématie de la valeur d’échange sur
la valeur d’usage, production non seulement de biens d’usages plus ou moins
fétichisés, mais aussi production de besoins et même, en quelque sorte, de
besoins de besoins ; rentabilisation par le gaspillage,
rentabilisation de l’ensemble des activités humaines, donc aussi de tous les
plaisirs, des sentiments, de tout ce qui relève du psychologique et du culturel ; extension galopante de l’aliénation et de la
réification.
Et c’est dans le cadre de ce développement de l’aliénation
et du renforcement de l’extorsion de plus-value relative que l’État se voit
attribuer un rôle plus étendu que ne le serait celui d’un simple instrument ; un rôle plus étendu, mais aussi plus diffus, dans
le sens de la fusion et de l’articulation générale de tous les appareils
organiques ou de commandement du capitalisme, c’est-à-dire, de ce complexe
social, économique, idéologique, politique, militaire qui fait que le capital
n’est pas une simple catégorie économique, mais, selon la formule de Marx, un
rapport social. L’interpénétration du capital et de l’État correspond alors au
sens du développement capitaliste historique, ce qui correspond un peu à ce
qu’en dit Mario Tronti (1) : « Plus le développement capitaliste
avance, c’est-à-dire, plus la production de la plus-value relative pénètre et
s’étend partout, plus le circuit production-distribution-échange-consommation
se parfait inéluctablement ; c’est-à-dire que le rapport entre
production capitaliste et société bourgeoise, entre usine et société, entre
société et État, devient de plus en plus organique. Au niveau le plus élevé du
développement capitaliste, le rapport social devient un moment du rapport de
production, et la société tout entière devient une articulation de la
production, à savoir que toute la société vit en fonction de l’usine, et
l’usine étend sa domination exclusive sur toute la société. C’est sur cette
base que la machine de l’État politique tend de plus en plus à s’identifier à
l’image du capitaliste collectif ; elle
devient de plus en plus une propriété du mode capitaliste de production et donc
une fonction du capitalisme. »
Concrètement, cela va plus loin que la fonction keynésienne
de l’État bourgeois à travers les modes de planification et d’intervention
d’État dans l’économie ; c’est lié à la croissance de la
part du capital financier donc des mécanismes étatiques monétaires
transnationaux également, le rôle croissant de la fiscalité, celui de l’État-patron
dans le secteur public qui prend toujours plus d’importance, exercice de
monopoles capitalistes directement par l’État, rôle de celui-ci dans la
formation de grands monopoles impérialistes. C’est évidemment dans le même sens
que se situent les rapports de l’État aux médias, le rôle central de l’État
dans la manipulation de masse, non seulement pour protéger l’ordre capitaliste,
la paix sociale et la reproduction des institutions superstructurelles, mais
aussi comme vecteur directeur de constitution ou d’extension des espaces
socio-économiques et idéologiques, où se joue ( en particulier par la création de besoins artificiels ) l’extorsion de la part de la plus-value relative
indirecte, c’est-à-dire, non issue de l’activité salariée de production.
Un autre phénomène majeur de cette évolution de la fonction
de l’État c’est, bien entendu, son rôle dans la régulation du marché du
travail, mais aussi et surtout dans la répartition des revenus ; il faut en effet savoir que le quart des revenus de
la population active salariée est constitué par le « salaire indirect »,
c’est-à-dire, par l’ensemble des prestations sociales d’État.
Par conséquent, l’État bourgeois moderne joue de plus en
plus le rôle d’un capitaliste, il tend toujours davantage à se confondre avec
le capitalisme lui-même, à être une fonction du capital. Aussi, on ne peut plus
se contenter de le considérer comme un simple outil de domination bourgeoise,
dont le caractère d’instrument lui confèrerait une sorte de neutralité
défensive, qui pourrait dans ce cas permettre d’investir cet État-instrument
pour l’utiliser contre la bourgeoisie, au même titre qu’un canon est neutre et
peut servir autant contre la bourgeoisie que contre le prolétariat. L’État
moderne est beaucoup plus que le « conseil
d’administration » que la bourgeoisie s’était donné
pour gérer ses intérêts politiques. Il n’est plus seulement « capitaliste »
par le fait d’être au service du capitalisme, mais parce qu’il fonctionne
lui-même comme capitaliste. Et c’est comme tel qu’il nous faut l’attaquer, non
comme simple obstacle au mouvement révolutionnaire et parce qu’il serait
répressif, mais parce qu’il est partenaire à part entière de la lutte des
classes. L’attaquer, donc, de la même façon que dans l’usine on s’attaque au
patronat, sans en faire pour autant une cible symbole et obsessionnelle qui
personnaliserait, en quelque sorte, le capitalisme, alors qu’il est évident que
c’est l’ensemble du système et donc, à la base, le mode de production
capitaliste lui-même qu’il nous faut détruire historiquement. Et le processus
de cette destruction passe par l’attaque dès aujourd’hui contre l’intégralité
des articulations et fonctions de la domination bourgeoise.
IV.
La lutte armée révolutionnaire et le
marxisme
1.
Le marxisme-léninisme, méthode vivante, ne rejette
aucune forme de lutte.
Comment vient se situer la lutte armée révolutionnaire ?
Les critiques les plus dignes de considération qui nous
soient adressées contre nos conceptions de la stratégie et de la tactique
révolutionnaires s’appuient — ou prétendent s’appuyer — sur la référence aux
anciennes solutions stratégiques que la méthode marxiste a suscitées dans
l’histoire du mouvement ouvrier. C’est donc sur ce plan que nous nous
situerons. Cependant, nous ne prétendons pas avoir réponse à tout ni clore le
débat, il ne s’agit que de présenter trop brièvement quelques grandes lignes
qu’il faudrait évidemment détailler et approfondir bien davantage.
Tout d’abord il convient de ne jamais oublier que les grands
théoriciens du marxisme ont décrit des mécanismes, des fonctionnements qui sont
toujours actuels, d’autre part ils ont élaboré le matérialisme historique et
dialectique comme mode de compréhension active de la réalité objective et des
processus historiques qui l’expliquent. Ensuite, ils
ont formulé des solutions politiques, mais celles-ci n’ont certes pas de valeur
universelle, contrairement au matérialisme historique et dialectique, ces
solutions ne correspondent qu’à l’application des méthodes d’analyse marxistes
à des situations historiquement déterminées et elles ne peuvent donc pas être
reportées sans modification d’une époque à l’autre ou d’une réalité nationale à
une autre. Il est évident que les solutions valables à l’époque de la « révolution »
industrielle ne sont pas les mêmes que celles qui s’appliquent durant la phase
du capitalisme monopoliste et encore moins que celles qu’il s’agit de mettre en
œuvre à l’époque où l’impérialisme est la forme hégémonique du mode de
production capitaliste. Le marxisme-léninisme s’oppose radicalement à tout
dogmatisme, à tout automatisme des solutions tactiques et stratégiques, il
indique des méthodes vivantes pour trouver à chaque époque et dans chaque
situation les méthodes qui conviennent, en dehors de toute application
mécanique d’une théorie qui serait alors transformée en dogme. C’est d’ailleurs
ce qu’explique lui-même Lénine :
« C’est pourquoi le marxisme ne
répudie d’une façon absolue aucune forme de lutte. En aucun cas, il n’entend se
limiter aux formes de lutte possibles et existantes dans un moment donné, il
reconnaît qu’un changement de la conjoncture sociale entraînera inévitablement
l’apparition de nouvelles formes de lutte, encore inconnues aux militants de la
période donnée. (...) En second lieu, le marxisme exige absolument que la question
des formes de lutte soit envisagée sous son aspect historique. Poser cette
question en dehors des circonstances historiques, concrètes, c’est ignorer
l’abc du matérialisme dialectique. À des moments distincts de l’évolution
économique, en fonction des diverses conditions dans la situation politique,
dans les cultures nationales, dans les conditions d’existence, etc.,
différentes formes de lutte se hissent au premier plan, deviennent les
principales et, par la suite, les formes secondaires, accessoires, se modifient
à leur tour. Essayer de répondre par oui ou par non, quand la question se pose
d’apprécier un moyen déterminé de lutte, sans examiner en détail les
circonstances concrètes du mouvement au degré de développement qu’il a atteint,
ce serait abandonner complètement le terrain marxiste. »
Cela signifie pour le moins que la lutte armée comme
principale forme de lutte d’une stratégie révolutionnaire ne peut être exclue a
priori comme contradictoire avec la théorie marxiste.
2.
Le terrorisme révolutionnaire est une forme de lutte
utile et nécessaire, faisant partie de notre patrimoine communiste.
Se pose alors une question de signification, celle du terme « terrorisme ».
Ce concept a subi un glissement de sens à travers l’Histoire. Il est employé de
façon très péjorative par les médias, il semble que ce soit ainsi depuis la
dernière guerre mondiale à partir de l’emploi négatif de ce terme par les
propagandistes nazis. Avant cette époque ce mot était moins chargé d’un
jugement de valeur et d’émotivité, il désignait simplement une forme
particulière d’action politique : action
violente destinée à provoquer la terreur de ceux qu’elle vise. C’est ce sens
qui est utilisé par les théoriciens historiques du marxisme, qui ne désignent
là que la forme de certaines actions, sans connotation péjorative. Pour eux, le
terrorisme diffère des actions liées à l’insurrection en ce qu’il peut
accompagner l’ensemble du processus révolutionnaire sans être limité comme
l’insurrection à une phase ultime. Mais il n’en reste pas pour autant limité à un simple rôle ponctuel et Engels en indiquait déjà
une fonction stratégique :
« Pour abréger, pour simplifier, pour
concentrer l’agonie de la vieille société et les souffrances sanglantes de
l’enfantement de la nouvelle, il existe un seul moyen : le terrorisme révolutionnaire. »
C’est explicite !
Cependant, il faut reconnaître que cette citation peut être interprétée dans un
sens restrictif, c’est-à-dire posant le terrorisme comme une sorte d’adjuvant,
certes stratégique et non pas seulement tactique, puisqu’il a pour Engels une
action générale, historiquement étendue, mais qui semblerait surtout destiné à
l’exacerbation des contradictions, à radicaliser et accélérer l’affrontement
des classes, sans pour autant octroyer au terrorisme une fonction sur le plan
du développement politique proprement dit ( lié
à l’organisation, etc. ). Dans cette citation, terrorisme
et Parti n’apparaissent pas clairement liés, mais nous verrons qu’ils le sont,
que le terrorisme a sa place dans le processus de construction du Parti et que
le terrorisme doit être dirigé, organisé, par le Parti. Le terrorisme
révolutionnaire n’est pas une forme de lutte individuelle et que l’on pourrait
simplement laisser se dérouler spontanément comme une forme de résistance immédiate
du prolétariat. L’avant-garde doit en prendre la direction, disent Marx et
Engels :
« Bien loin de s’opposer aux prétendus
excès, aux représailles de la vengeance populaire sur des individus haïs ou des
édifices auxquels sont liés des souvenirs odieux, il ne faut pas simplement
tolérer ces représailles, mais prendre directement en main leur direction. »
Les bolcheviks soutenaient fermement les actions de type
terroriste, Lénine l’affirme suffisamment, il suffit de voir son texte sur « La guerre de partisans », ou bien le recueil de « Textes
sur la jeunesse », où il engueule les jeunes qui ne
fabriquent pas assez de bombes et dit qu’il est juste de tuer des responsables
de la répression, de récupérer de l’argent dans les banques comme le faisaient
les bolcheviks ( voir
les fameux braquages de Staline à Bakou en 1904 ... ).
Mais, attention, il ne s’agit pas pour nous d’expliquer
l’actuelle nécessité de la lutte armée en plaquant les analyses du début du
siècle sur la réalité moderne. D’autant que pour Lénine l’emploi du terrorisme
ne pouvait être qu’une forme de lutte subordonnée à l’action de masse et à
l’action politique non militaire du Parti, et, ce qui est fondamental, dans le
seul but de préparer l’insurrection. Cela avec deux objectifs, le premier étant
de faire pénétrer dans les masses la tactique insurrectionnelle :
« La guerre de partisans, la terreur
générale qui en Russie se répandent partout presque sans discontinuer depuis
décembre, contribueront incontestablement à enseigner aux masses la juste
tactique, au moment de l’insurrection. Cette terreur exercée par les masses, la
social-démocratie doit l’admettre et l’incorporer à sa tactique ; elle doit, bien entendu, l’organiser et la
contrôler, la subordonner aux intérêts et aux nécessités du mouvement ouvrier
et de la lutte révolutionnaire en général. »
( Lénine )
Le deuxième objectif est de contribuer par cette tactique à
la formation politique et militaire de l’avant-garde ( toujours en vue de l’insurrection ), c’est ce que dit Lénine en 1905 pour saluer une
attaque de commando contre une prison :
« Voici que les pionniers de la lutte
armée se confondent non seulement en paroles mais aussi en actions avec la
masse, se mettent à la tête des détachements et des groupes de combat du
prolétariat, forment par le fer et par le feu de la guerre civile des dizaines
de chefs populaires qui sauront demain, au jour de l’insurrection ouvrière,
soutenir de leur expérience et de leur héroïsme des milliers et des dizaines de
milliers d’ouvriers. »
On nous objectera qu’avec ces dernières citations intervient
un glissement sémantique du concept de « terrorisme » ( impliquant
une certaine ponctualité de l’action )
à celui de « guerre de partisans » ; nous
pouvons alors penser que cette différenciation introduit la notion de phases
successives dans la fonction et l’utilisation organisationnelles des formes de
combat armées, conception qui apparaît encore aujourd’hui parfaitement juste.
Pour résumer de façon claire et incontestable la conception
léniniste de l’action armée, il faut lire les propositions de Lénine au Congrès
d’unification du POSDR en 1906 :
« 1) Le Parti doit reconnaître
que les actions armées des groupes de combat appartenant au Parti ou luttant à
ses côtés sont admissibles sur le plan des principes et opportunes dans la
période actuelle ;
2) Le caractère des actions armées doit être adapté à
la tâche qui consiste à former les dirigeants des masses ouvrières en période
d’insurrection et à acquérir l’expérience des actions offensives soudaines ;
3) Le but immédiat le plus important de ces actions
doit être la destruction des appareils gouvernemental, policier et militaire et
une lutte impitoyable contre les organisations cent-noirs (2) actives qui pratiquent la violence et la terreur
contre la population ;
4) Il
faut admettre aussi les actions armées destinées à s’emparer de moyens
financiers appartenant à l’ennemi, c’est-à-dire au gouvernement autocratique,
et à détourner ces moyens au profit de l’insurrection ; ce faisant, il importe de veiller sérieusement à ce
que les intérêts de la population soient le moins possible
lésés ;
5) Les actions armées de partisans doivent s’effectuer
sous le contrôle du Parti et de telle sorte que les forces du prolétariat ne
soient pas gaspillées en vain, et qu’en même temps on prenne en considération
les conditions du mouvement ouvrier dans la localité donnée et l’état d’esprit
des larges masses. »
Il serait également possible de considérer la question
militaire au niveau des points de vue du blanquisme, de l’anarchisme, du
foquisme guévariste, du maoïsme, etc. ;
si nous ne le faisons pas c’est parce que les critiques qui nous sont adressées
prétendent s’appuyer sur des références marxistes traditionnelles, mais aussi
parce que nos propres références (3) sont
celles d’un marxisme orthodoxe intégrant le considérable apport
théorico-pratique de Lénine. C’est également parce qu’il est évident que la
reproduction mécaniste des solutions élaborées par Lénine à son époque nous
semblerait totalement erronée mais que celles-ci restent les plus théoriquement
solides et cohérentes que l’on puisse opposer à notre propre conception de la
question militaire dans le processus révolutionnaire moderne.
3.
La théorie léniniste de l’insurrection est une forme
historique juste mais actuellement dépassable.
Les conceptions de Lénine sont justes, quant à la lutte
armée, sur le plan des principes théoriques ainsi que sur le plan des
nécessités historiques d’une période donnée. Or, la période a changé, donc ces
conceptions restent justes au niveau des principes mais doivent être
réarticulées au niveau de la pratique politique. Des phases sont à resituer,
d’autres à fusionner dans leur dépassement, l’époque impose de nouvelles
nécessités.
Le changement fondamental concerne la notion d’insurrection,
dont nous avons vu que la préparation était, pour Lénine, ce qui justifiait et
déterminait les formes de la lutte armée ( mais
même cela serait rétorquable aux différentes sectes gauchistes qui ne font
objectivement que du réformisme en ne présentant pas la plus petite différence
stratégique ou tactique avec les sociaux-démocrates, en dehors d’un radicalisme
verbal et d’une phraséologie rituelle périmée, tout en osant malgré cela se
réclamer indûment de Marx, Lénine ou Mao, de façon mystique ). L’insurrection reste, pour ceux qui se veulent des
révolutionnaires prolétariens ( donc
visant à la prise du pouvoir par le prolétariat ) tout en refusant la lutte armée aujourd’hui, l’objectif principal,
stratégiquement parlant, devant assurer le renversement des appareils de la
domination bourgeoise. Ils peuvent d’ailleurs voir ce processus insurrectionnel
de différentes manières, mais il n’en reste pas moins que c’est le principe
même de l’insurrection qui ne nous paraît plus pertinent dans l’Occident
moderne et dont la critique joue un rôle fondamental dans notre conception de
la lutte armée. Aussi, l’exposé sommaire de ce que nous voyons être les grandes
lignes d’une stratégie de lutte armée révolutionnaire intégrera la critique de
la théorie insurrectionnelle. Et nous souhaitons, à travers ces quelques
explications, faire comprendre à nos chers critiques qu’ils sont dans l’erreur
lorsqu’ils prétendent que pour nous « la
résultante d’une multiplication de gestes individuels ou de petits noyaux
conduit à la révolution parce que ça va " éveiller " les masses ». Absurde. Nous n’avons jamais eu la moindre chose à
voir avec l’anarchisme ou avec une quelconque forme de radicalisme
petit-bourgeois, ni théoriquement, ni pratiquement. Nous commençons d’ailleurs
à être quelque peu excédés par les amalgames, confusions soigneusement
entretenues, critiques contre des positions imaginaires. Nous disons donc aux
groupuscules d’ultra-gauche de toutes sortes, ainsi que gauchistes divers, de
faire porter leurs critiques contre nos positions réelles et précises, et non
sur ce qu’en fidèles suiveurs de la propagande d’État ou fervents adeptes du
radical-crétinisme ils s’imaginent absurdement ( ou veulent s’imaginer ) être ce que nous faisons, disons, pensons.
D’autre part, pour permettre le débat, il faut s’entendre
sur les termes. Par exemple, ce qui s’est toujours appelé la « question militaire »
n’est pas la même chose que la question de l’autodéfense prolétaire. Il faut
bien distinguer les deux. L’autodéfense ouvrière et populaire dans les luttes,
est un problème important, auquel une pratique de lutte armée peut apporter
certaines solutions mais certainement pas de façon systématique ou toujours
souhaitable. L’autodéfense est importante pour le développement des luttes
prolétariennes et le processus de la conscientisation, c’est une notion qui ne
s’oppose pas à la lutte armée mais ne l’implique pas non plus. Lorsque nous
parlons ici de la lutte armée, ce n’est pas dans le cadre des problèmes
tactiques immédiats du mouvement de masse ( c’est une question dont nous
pouvons discuter par ailleurs ), nous en
parlons au niveau du processus révolutionnaire global, donc dans le cadre d’une
stratégie révolutionnaire historique. La « question
militaire » désigne le problème général du
rapport de force militaire, entre les forces du prolétariat et les forces
impérialistes. Ce qui pose la question politico-militaire de la constitution de
forces combattantes, du mode de construction du Parti, de la destruction de
l’appareil d’État bourgeois, de la prise du Pouvoir par le prolétariat sur le
chemin du communisme.
V.
La lutte armée dans la stratégie
révolutionnaire
1.
Critique de la théorie de la préparation pacifique de
l’insurrection.
Alors, comment voyons-nous cette stratégie ?
Répondre à cette question exige de revenir au problème de la
conception léniniste de la stratégie, pour dire en quoi nous ne pouvons
partager les diverses lignes de ces courants politiques qui se veulent gardiens
d’une supposée orthodoxie marxiste, « intégrisme » ou « évangélisme » du marxisme, selon les cas, et qui, par l’effet
d’un courage extraordinaire ou bien d’une sclérose intellectuelle encore plus
remarquable, s’acharnent depuis maintenant soixante ans à se croire le Parti ou
le futur Parti, vivant dans l’incantation liturgique des textes sacrés et les
excommunications mutuelles, sans jamais la moindre trace ni d’imagination ni de
réalisme ! Selon ces courants, il faudrait
appliquer les méthodes qui ont plus ou moins réussi dans des pays semi féodaux
du début du siècle. Cela par la lutte politique, en cherchant à élever le
niveau de conscience des masses par un patient travail d’agitation et surtout
de propagande, d’explication et d’éducation, jusqu’à ce resplendissant petit
matin du Grand Soir où il ne resterait plus qu’à distribuer des fusils aux
masses pour partir à l’assaut des palais. Il n’est pas étonnant que, devant le
peu de résultat de cette stratégie, la plupart des courants gauchistes se
soient dit qu’en désespoir de cause il était encore préférable de coller au cul
de la social-démocratie afin d’en être les vigilants critiques ou de parvenir
un jour à participer un peu au pouvoir d’État, tout en se disant, pour
sauvegarder les apparences, qu’il sera alors question de déborder la
social-démocratie sur sa « gauche » ( comme au Chili, Portugal, etc., je
suppose ? ).
Deux problèmes traversent cette conception d’une
conscientisation et d’une organisation des masses par le travail politique
traditionnel uniquement, et c’est sur la prise en compte de ces problèmes que
nous avons à bâtir notre stratégie. Le premier problème est celui de la
question d’une possibilité de préparation pacifique à l’insurrection. Le
deuxième problème est celui de la possibilité de l’insurrection elle-même.
Examinons cela de plus près.
La préparation pacifique à l’insurrection est-elle possible ? En répondant négativement, nous ne disons
évidemment pas que les luttes pour la satisfaction des besoins immédiats des
masses, ainsi que la lutte politique non armée pour la propagande et
l’émergence de formes d’organisation des masses, soient inutiles, bien au
contraire elles sont tout à fait nécessaires, la question que nous posons ici
est seulement de savoir quelle doit être aujourd’hui la forme de lutte
d’avant-garde, celle où doit se concentrer de la façon la plus aiguë et
totalisante la stratégie communiste.
Il faut considérer la réalité objective à travers les
extraordinaires capacités de récupération, d’absorption et de détournement que
possède aujourd’hui la bourgeoisie ;
c’est lié aux transformations à tous les niveaux de la société au fil du
développement capitaliste. Il y a de moins en moins d’espaces échappant à la
rationalité du mode de production capitaliste et cela se manifeste par
l’accentuation de l’aliénation, la généralisation du contrôle par les organes
de domination sur tous les aspects de la vie. La rationalité elle-même du
système socio-économique et son omnipotence sont la première source de
conditionnement idéologique et psychologique, aussi, plus cette rationalité est
étendue et plus le conditionnement est profond. Les instruments de
manipulation, de reproduction de l’idéologie, n’ont jamais été aussi puissants
et leur nature a évolué dans le sens d’une plus grande efficacité. Autrefois
l’Église, la famille, etc., avaient une action répressive au premier degré par
un simple rôle direct de refoulement et d’inhibition par des tabous, alors
qu’aujourd’hui le système est beaucoup plus complexe, la répression
psychologique s’adaptant en permanence à chaque progrès du développement
capitaliste, le refoulement passant par de multiples transferts ( on abdique sa
liberté mais le crédit fait passer la voiture neuve pour un cadeau ... ). Et,
surtout, selon le même principe qui fait que la lutte des classes est aussi un
moteur du capital, un certain niveau de contestation est nécessaire au système,
cela entre dans son fonctionnement. Ne serait-ce que pour créer le besoin
auquel il répond par une surinformation massive et anarchique, abrutissante,
dont il a besoin pour anesthésier et nous matraquer alors de ses idées-forces.
Alors, comment pourrions-nous parvenir par des tracts,
petits journaux, chaulages et mégaphones, à concurrencer efficacement la
puissance des mass media étatiques et monopolistes, mondialisés par
l’impérialisme ? Cette constatation suffit à fonder
la déprime du gauchisme, en l’acculant à cette seule alternative : intégration dans la soumission ou alors stérilité
d’îlots défensifs soudés soit par des dogmatismes rassurants, soit par la
convivialité, et qui se donnent ainsi l’illusion de s’opposer alors qu’ils ne
font que tenter de vivre un peu à côté. Nous affirmons alors qu’aucun progrès
n’est aujourd’hui possible sans une stratégie de rupture radicale sur tous les
plans, nous disons qu’il ne s’agit pas de faire de l’autodéfense, de faire des
groupes pour se tenir chaud en se disant différents de ce que souhaiterait
l’oppresseur, autour d’un langage, d’un mode de vie, d’une logomachie qui a
d’ailleurs toujours le même fonctionnement sémantique quelle qu’en soit la
pensée de référence ( libertaire, « alternative »,
« marxiste-léniniste », Témoins de Jéhovah ou même « lutte armée » ... ) s’il
s’agit là d’un mode d’être, d’un militantisme existentiel, en quelque sorte,
plutôt qu’une stratégie de combat destinée à réaliser concrètement une révolution,
un renversement du Pouvoir. Nous disons qu’il faut rompre avec la facilité des
idées prédigérées et des autosatisfactions dans des modes de paraître
contestataires ( sous
les santiags, les charentaises ! ). Ni victimes, ni complices, nous devons être ceux
qui agressent.
Il n’est plus possible aujourd’hui de penser qu’il serait
possible d’élever la conscience du prolétariat, au point qui serait nécessaire
à une insurrection, par un simple travail politique de persuasion. D’ailleurs
on peut se demander si ce fut possible un jour ... Par exemple, n’oublions pas que la Russie prérévolutionnaire n’était
pas politico-idéologiquement comparable à nos démocraties bourgeoises de la fin
du XXe siècle : distribuer l’Iskra c’était risquer
la Sibérie, dans les manifestations on ne recevait pas les inoffensives
lacrymos qui font ici hurler au fascisme mais des coups de sabre. Cela signifie
qu’à chaque époque les mêmes formes de lutte n’ont pas les mêmes valeurs de
rupture et de subversion ; à la limite, accrocher un drapeau
rouge à l’époque tsariste était d’une dissidence aussi radicale que poser une
petite bombe aujourd’hui.
Et puis il ne faut pas prendre les gens pour des cons,
aujourd’hui les prolétaires savent réfléchir, lire, ils sont très informés et
comprennent que ce système est pourri et nuisible, aussi, même si un travail
d’explication et d’information reste toujours nécessaire, notre action
politique et idéologique doit s’exprimer autrement, avoir d’autres objectifs.
2.
Rôle idéologique de la lutte armée.
Le système d’aliénation atteignant des degrés jamais vus,
cela pourrait rendre pessimiste sur les potentialités de libération. Ce serait
une erreur car l’oppression se développe en même temps qu’elle développe les
moyens de la combattre et les raisons de sa disparition. En particulier,
l’aliénation économique du travail s’accompagne de l’extranéation du travail
par rapport au travailleur, qui perd toute satisfaction de son travail, n’y
trouve plus aucun plaisir moral ou créateur, il se détache donc du travail en
n’y voyant plus qu’une activité dont la justification n’est en général guère
apparente en dehors de la seule rationalité de l’exploitation ; transformation qui ne peut que faciliter la rupture
avec ce mode do production. Le système réagit à cette nouvelle fragilité, due
au simple développement du capitalisme, en accroissant la répression par le
conditionnement. Tout est alors fait pour isoler les individus les uns des
autres, camoufler les démarcations de classes sous des conditionnements
culturels en fonction des tranches d’âge, des modes, etc., et surtout occuper
massivement chaque instant du quotidien, jusque dans la manipulation de
l’inconscient, pour créer une sensation d’écrasement, d’infériorité et de
faiblesse de l’individu, qu’il se sente incapable et solitaire face à un
système trop puissant qui lui aménage des espaces clos, décalquant en creux les
interstices dessinés par le réseau de contrôle et de commandement. Espaces
morcelés pour le travail salarié, les loisirs, pour apprendre, pour aimer, où
la consommation se ritualise et où la légalité, plus que d’être un gros bâton,
se présente comme une multitude de portes ( presse, partis, droit d’association,
de grève, d’expression, etc. )
surmontées de la pancarte « Pour
contester, entrez là » et qui ouvrent sur l’édredon mou
de la démocratie bourgeoise étouffant cris et coups.
Mais si les paroles et les coups de poings ne font que
s’enfoncer inutilement, désespérément, dans la mollesse du matelas qui est en
fait le meilleur blindage de la dictature bourgeoise, par le fer et par le feu
nous pouvons provoquer les déchirures d’où s’échapperont les plumes amortissantes
en une hémorragie de démocratie, ce qui, certes, signifiera réduction des « espaces de liberté »,
restriction des « libertés » formelles, radicalisation de la répression, mais ce
sera aussi et surtout identification plus claire de l’ennemi, exacerbation des
contradictions jusqu’au point de rupture, apparition du vrai visage de la
dictature bourgeoise débarrassée de ses voiles illusoires, développement clair
et direct du combat, force contre force, classe contre classe. Les défenseurs
du capitalisme peuvent calomnier la lutte armée, la dénigrer, traiter les
partisans de « terroristes », plaquer sur la guérilla leurs propres schémas de
pensée en y voyant ce qu’ils sont eux-mêmes :
des mercenaires, et chercher ainsi à l’affaiblir. Mais jamais ils ne pourront
institutionnaliser, absorber l’opposition armée alors qu’il n’y a pas la
moindre forme de contestation en dehors des formes de guerre révolutionnaire
qui ne puisse être intégrée par le fonctionnement capitaliste. Parce qu’aucun
système social de classe, donc étatique, ne peut accepter des actes visant à le
détruire par la force.
Donc, au niveau de cette phase qui autrefois était celle
d’une préparation non armée à l’insurrection, la lutte armée vise à être la
seule réelle rupture du consensus, en portant la dissidence au-delà de la
possibilité de fonctionnement du capital et de l’État. La guerre de partisans
montre les faiblesses de l’ennemi que l’on pensait tout puissant, elle montre
que l’on peut se battre et que l’on peut vaincre. Le simple fait de pouvoir
exercer des représailles, contre l’ennemi, joue un rôle idéologiquement
libérateur extrêmement important. En effet, il suffit d’avoir un minimum
d’expérience du militantisme de masse pour s’en apercevoir : ce que nous disent les gens, au travail ou dans la
rue, c’est qu’il y en a marre et qu’il faudrait que cela change complètement,
mais si chacun d’eux se dit facilement prêt à être révolutionnaire, il ajoutera
cependant que cela ne sert à rien de s’engager, de prendre des risques, dans la
mesure où personne n’agit réellement, que tous les autres sont des cons, etc.
Alors il est politiquement et idéologiquement très important de prouver que l’ennemi
de classe n’est pas tout-puissant, que la solidarité populaire est possible
dans les actes, que des coups douloureux peuvent atteindre les exploiteurs, que
la police et la justice peuvent payer leurs meurtres et exactions, que les
mercenaires colonialistes peuvent payer physiquement l’assassinat de chaque
frère dans le monde et chaque kilo de richesse pillée aux peuples dominés, que
chaque patron peut physiquement et matériellement être empêché de s’engraisser
sur le dos de l’ouvrier au prix de son épuisement, de son aliénation, de ses
mutilations, au prix d’une vie confisquée par l’absurde rationalité d’un
système inhumain. Nous disons ainsi que la lutte armée peut se faire porteuse
d’espoir, l’étincelle de dignité qui appellera la flamme de la libération.
3.
Le combattant révolutionnaire doit être étroitement
lié aux masses populaires.
Mais cela n’est que le rôle politico-idéologique général de
la lutte armée, ce qui agit de façon globale en donnant l’exemple de la
résistance et de l’attaque révolutionnaire, en transformant concrètement le
rapport de force et l’apparence de l’ennemi, en faisant naître d’autres valeurs
humaines que celles dont nous pétrifie la vieille société de domination. Il y a
un rôle politico-idéologique plus précis, celui de l’existence de la lutte
armée au sein des masses. Car nos critiques habituels nous accusent d’être
extérieurs aux masses populaires et c’est effectivement l’image qui est donnée
par la propagande réactionnaire. Que certains actuels groupes armés soient
socialement complètement marginaux et ne possèdent même pas le moindre relais
politique de masse ( si
ce n’est, occasionnellement, pour faire du misérabilisme antirépressif ou
s’assimiler, dans les prisons, à la délinquance de droit commun du lumpenprolétariat ), c’est une chose certaine. Que d’autre part des
militants soient individuellement obligés d’être totalement clandestins pour
poursuivre correctement leurs activités, voilà qui est normal et inévitable.
Mais n’est extérieur au peuple que celui qui le souhaite.
La lutte armée n’est un facteur d’extériorisation par
rapport aux masses que si on le veut ( or, nous ne le voulons pas ). Il est évident que des actions armées ne peuvent
être menées aujourd’hui que par des structures clandestines, mais ce n’est pas
pour cela qu’elles sont étrangères aux masses, ni par leurs militants, ni par
leurs lignes politiques. Au même titre qu’un tract n’est pas élaboré et diffusé
par les larges masses mais par des éléments avancés de celles-ci, eh bien c’est
exactement la même chose pour la lutte armée, dans la mesure où elle doit être
menée par des éléments avancés du prolétariat ou d’autres couches populaires,
non pas par des sortes d’agents secrets révolutionnaires qui n’auraient pas
d’intégration dans les masses.
Aussi longtemps que leur propre sécurité le leur permet, les
partisans doivent conserver un mode de vie conforme à celui des autres
prolétaires, conserver leur identité de classe non seulement sur le plan
idéologique et politique mais par leur propre situation sociale, entretenir des
liens actifs, quotidiens, permanents, avec les masses populaires. Non seulement
par l’application d’une ligne politique historiquement prolétarienne mais aussi
en jouant leur rôle d’avant-garde objective dans les luttes quotidiennes du prolétariat,
en particulier dans les luttes pour la satisfaction des besoins immédiats des
masses. Et lorsque cette intégration sociale n’est pas possible pour une toute
petite minorité de militants, pour des raisons de sécurité ou à cause des
tâches militantes particulières qui leur incombent, ceux-ci ne doivent pas être
des marginaux, des rebelles, mais des permanents, des révolutionnaires
professionnels et, même si le mot choque quelques idéalistes, des
fonctionnaires de leur organisation.
4.
Une ligne politique prolétarienne.
Le deuxième vecteur de liaison aux masses est évidemment de
mener une ligne politique prolétarienne, s’appuyant sur une analyse de classe
et une position de classe ; c’est-à-dire une ligne
correspondant à la fonction et au devenir, historiques, du prolétariat en tant
que classe appelée, par son accession à l’hégémonie, à permettre l’émergence de
la société sans classe — la ligne communiste.
Le troisième axe d’intégration aux masses populaires est la
ligne organisatrice. En effet, nous n’avons jamais pensé à de petites unités
dispersées (4) dont l’action aurait pour but de
réveiller les masses, un peu comme pouvaient le penser les anarchistes du
siècle dernier. Ce dont il s’agit pour les communistes par rapport aux masses,
c’est d’induire par leur pratique politique la mutation du prolétariat de
classe en soi en classe pour soi. C’est-à-dire en aidant à la recomposition de
classe d’un prolétariat dont l’importance ne fait que s’accroître ( contrairement à
ce que certains prétendent ) mais qui est très parcellisé ( différents statuts au sein de la classe ouvrière,
prolétariat du secteur tertiaire, etc. ),
afin d’accélérer la réalisation du prolétariat en tant que classe comme
condition dialectique de sa propre disparition en tant que prolétariat dans
l’accession au communisme. Cela signifie accession du prolétariat à la
conscience de classe. Et ce qui est porteur, expression et facteur de la
conscience de classe c’est l’organisation politique du prolétariat : le Parti.
5.
La construction du Parti.
Pour notre part nous pensons que le Parti ne peut
s’autoproclamer et que créer le Parti comme condition de l’essor
révolutionnaire revient à mettre la charrue avant les bœufs. Le Parti est
l’expression politique majeure du prolétariat, le lieu de sa centralité, le
moteur et l’incarnation de la conscience révolutionnaire de classe. On peut
alors penser que défendre le Parti c’est défendre le prolétariat, or, si ce
dernier n’est pas encore parvenu dans le mouvement de la lutte des classes à un
niveau suffisant de recomposition, de centralité politique et d’apparition dans
la totalité du social comme étant objectivement et subjectivement la
contradiction majeure, l’évolution du Parti risque de s’orienter vers la
trahison de classe par les compromis avec la bourgeoisie dans le jeu politicien
de celle-ci, ou alors ce sera l’ossification autour de principes « justes » et d’une
ligne qui fut juste en son temps mais dont les tentatives d’application se
heurtent aux transformations de la réalité objective.
Aussi nous pouvons penser que le Parti exprime la dynamique
organisationnelle de l’avant-garde objective du prolétariat mais qu’il ne peut
émerger en tant que Parti formellement constitué qu’accouché par le prolétariat
en mouvement, exprimant alors la centralisation politique, théorique et
militaire de celui-ci dans l’organisation des éléments les plus avancés de son
avant-garde ( le
Parti n’étant ni une organisation de masse, ni un syndicat ). Le Parti se constitue comme expression
monolithique de la maturité du prolétariat à travers la confrontation
politico-militaire et, par conséquent, à travers l’apparition progressive de la
nécessité d’un instrument centralisé capable d’être l’outil politique principal
du prolétariat pour la prise du Pouvoir.
Les communistes russes eux-mêmes ne se sont pas constitués
immédiatement en une organisation prétendant être seule à avoir une pratique
correcte et se posant de jure comme centrale. Cependant le Parti en tant que
tel pouvait peut-être y apparaître plus précocement dans la mesure où la
centralisation prolétaire était plus immédiate : une petite classe ouvrière concentrée, l’organisation de l’avant-garde
de cette couche proportionnellement réduite pouvait légitimement se poser en
parti de l’ensemble du prolétariat ( dont
les couches autres que la classe ouvrière étaient totalement hétérogènes et
donc sans capacités politiques autonomes, alors que tel n’est plus le cas
aujourd’hui ).
Cependant, nous ne sommes ni des subjectivistes ni des
mécanistes, aussi nous ne pensons pas que le Parti surgira par génération
spontanée ou progressivement au cours du développement de la lutte des classes,
car il y a une interaction entre ce développement de la lutte des classes, et
l’action du Parti. Pour que Parti il y ait, il faut que sa volonté en existe,
il doit se construire et cette construction doit répondre à une volonté
politique consciente et à un patient travail d’organisation. Mais tout dépend
également des conditions historiques nationales, c’est-à-dire non seulement des
conditions sociales objectives mais aussi de l’histoire propre à chaque
mouvement ouvrier national. Par exemple, en Espagne l’histoire est marquée par
une continuité ininterrompue du mouvement communiste, non seulement de
l’existence communiste organisée dans la classe ouvrière mais même au niveau du
mouvement communiste combattant puisque le combat communiste armé, au sein de
la résistance antifasciste, n’a jamais cessé depuis 1937. La tâche des
communistes modernes était donc la reconstitution politique du Parti Communiste
et non sa construction ab nihilo. Cette tâche historique est l’œuvre du Parti
Communiste d’Espagne ( reconstitué ). Il est évident que tel n’est pas le cas en RFA, où
le mouvement communiste est à faire renaître de toutes pièces puisqu’il
n’existe aucune continuité de ce genre, le mouvement communiste y étant détruit
depuis avant guerre.
En France la situation est également différente ( d’ailleurs ces différences fondamentales entrent
aussi en ligne de compte dans le fait que la construction d’un mouvement
révolutionnaire unique à l’échelle européenne est une ineptie, en plus du fait
que les différences sociales, économiques, culturelles même dans l’Europe de
plus en plus unifiée au niveau impérialiste sont fondamentales, entre Londres
et Athènes, Francfort et Naples, Bruxelles et Séville, il y a autant de
différences qu’entre New York et Abidjan ).
De façon un peu schématique, nous pouvons dire que la situation de la
continuité du mouvement communiste en France est meilleure qu’en Allemagne de
l’ouest mais moins bonne qu’en Espagne, d’une part à cause des conditions de
constitution du PCF, ayant présenté de grandes faiblesses dès ses origines,
d’autre part parce que les capacités de combat communiste armé ayant surgi dans
le cadre de la résistance antifasciste de libération nationale ont été avortées
en 1945 et nous nous trouvons donc avec quarante ans de destruction du
mouvement communiste dans ce pays. Plus que d’une reconstruction c’est donc en
France d’une construction du Parti Communiste dont il doit être question pour
nous. Ce qui est une longue tâche organisationnelle ; ceci dit nous parlions là du Parti avec une
majuscule, tel que nous l’avons défini plus haut, et cette progressivité de la
construction du Parti n’interdit évidemment pas de penser qu’une étape
importante sur cette voie serait la construction d’un parti, cette fois sans
majuscule, dans un délai relativement bref, un parti révolutionnaire présentant
ces trois caractères : communiste, prolétarien,
combattant.
La lutte
armée comme pratique d’avant-garde dans la construction du Parti.
Nous ne posons donc pas la lutte armée comme étant un
ensemble d’initiatives de groupuscules cherchant à réveiller les masses et à
susciter des réactions en attendant de voir ce qui se passe. La lutte armée ne
peut se réduire non plus à constituer un « bras
armé » des masses, nous récusons
totalement cette notion qui ferait de la guérilla une sorte de fraction
radicale et clandestine du syndicalisme, attendant que les masses manifestent
un besoin pour aider à le satisfaire et ainsi de suite. Nous ne concevons la
lutte armée ni comme l’expression d’un bras armé des masses, ni d’un bras armé
d’une organisation politique non armée ( comme ce pouvait être le cas entre
la Gauche Prolétarienne et la Nouvelle Résistance Populaire ; schéma qu’aujourd’hui nous estimons erroné ).
D’autre part, nous insistons sur le fait que la lutte armée
n’est pas seulement qu’une forme de lutte parmi d’autres, un adjuvant
particulier des luttes de masse. La lutte armée ne peut être dite communiste et
révolutionnaire que si elle se situe dans la continuité de la stratégie
historique du mouvement communiste mondial. Elle doit se faire l’expression
concrète du processus d’émergence politique de l’avant-garde organisée du
prolétariat, avant-garde qui est le lieu où se catalyse la conscience de classe
du prolétariat, ce qui est la fonction historique du Parti et place, par
conséquent, la lutte armée révolutionnaire comme partie intégrante et
indissociable du processus de construction du Parti.
Concrètement, cela signifie entre autres choses que la lutte
armée comme pratique politique dictée par une stratégie véritable ( donc non conciliable avec le spontanéisme et le
subjectivisme ) doit s’ancrer dans le prolétariat
et y fonctionner comme expression de plus haut niveau politique et militaire
d’une action politique globale centralement organisée, c’est-à-dire incluant
les fonctions traditionnelles des organisations qui se réclament du mouvement
révolutionnaire sans se donner les moyens d’être effectivement
révolutionnaires. Ce qui signifie qu’autour de la lutte armée ( c’est-à-dire
dans le même cadre de stratégie organisée que la lutte armée et non pas
spécialement à travers elle ) doivent
se mener toutes les formes tactiques d’action politique, de propagande,
d’agitation, de dénonciation, d’explication, d’information, de constitution et
de développement des organisations de masse.
VI.
La question politico-militaire
1.
La prise du pouvoir ne se réalisera que par une
guerre révolutionnaire prolongée.
Après avoir abordé le problème de la conscientisation à
partir de la critique de la théorie insurrectionnelle, nous pouvons poursuivre
cette critique en l’évoquant cette fois sous l’angle militaire.
Faire reposer la prise du pouvoir politique par le
prolétariat sur une insurrection ponctuelle et massive, est aujourd’hui
impossible. Nous en avons vu les raisons politiques et idéologiques, les
raisons sont également d’ordre militaire. Jamais les appareils répressifs n’ont
été aussi puissants et efficaces, jamais il n’y a eu une telle disproportion
entre les potentialités militaires du prolétariat et les forces militaires de
la dictature bourgeoise. Au niveau international, nous avons face à nous le
système de l’OTAN, la coordination des polices, l’informatisation du
renseignement et donc l’essor de son échange international, les virtualités « d’espace judiciaire européen », la tendance active à la standardisation européenne
des appareils policiers, judiciaires, carcéraux ( plus ou moins ), jusqu’aux matériels militaires.
Bien sûr tout cela est inséparable de la tendance à l’homogénéisation qui se
fait sur le plan socio-économique et politique sous l’égide de la
social-démocratie.
Au niveau national, il n’est pas utile de s’étendre sur la
puissance militaire ennemie, nous sommes assez saturés d’informations sur cette
question par les pleurnicheurs antirépressifs et autres démocrates ( fussent-ils
armés ) obsédés par « Big Brother ».
Il suffit de noter l’accroissement considérable des forces militaires et
policières, leur toujours meilleure adéquation technique et structurelle à la
contre-insurrection, un quadrillage du territoire et un contrôle policier, tant
des masses que des simples individus, dont l’efficacité bénéficie de tous les
acquis du développement scientifique et technique.
Même dans l’éventualité totalement impossible où la
nécessaire planification et préparation militaire de l’insurrection échapperait
au contrôle militaire ennemi et donc à sa répression préventive, les masses
populaires n’ont pas la plus petite chance, dans l’Europe occidentale actuelle,
d’assumer victorieusement des affrontements directs impliquant des formes de
guerre de positions, d’instaurer des zones libérées, de tenir des
concentrations urbaines autrement que ponctuellement. Aujourd’hui, une force
quantitativement réduite, spécialisée et professionnelle, équipée de façon
sophistiquée, peut assurer une offensive contre insurrectionnelle totalement
efficace. Et il faut tenir compte de la nouvelle décentralisation des
commandements opérationnels et de leurs moyens de transmission, ce qui signifie
qu’une offensive insurrectionnelle soudaine ne serait pas capable de paralyser
le fonctionnement opérationnel ennemi car les moyens de commandement, de
transmission, de logistique, de combat ne sont pas concentrés mais insérés dans
des réseaux d’une grande souplesse ( la
question ne peut plus être résolue aujourd’hui par la prise de quelques
casernes et de la poste centrale ... ).
D’ailleurs, si la crise de développement de l’impérialisme
se poursuivait de façon trop critique tout en ne cherchant pas à se débloquer
momentanément dans une confrontation militaire entre les blocs, la bourgeoisie
ne pourrait rien trouver de mieux qu’un soulèvement prolétaire, de façon à
rééditer l’écrasement de la Commune de 1871, de la Commune de Shanghai, du
mouvement spartakiste, etc.
Le mouvement serait noyé dans le sang. En particulier grâce
aux nouveaux systèmes d’artillerie légère, aux capacités aériennes ( principalement les forces d’hélicoptères de combat ), sans doute même grâce aux armes nucléaires
tactiques dont l’application contre insurrectionnelle semble extrêmement
réaliste puisque limitant relativement l’ampleur des destructions matérielles ( ce qui est moins spectaculaire donc moralement plus
acceptable ), la souplesse d’emploi de ces
systèmes d’armes nucléaires tactiques porte d’importantes perspectives et est
un grand progrès de la science militaire. Ce type de confrontation militaire
présenterait pour la bourgeoisie les avantages des guerres inter-impérialistes
classiques : brutale rénovation économique,
élimination de la surproduction, etc.
Cela permettrait aussi la liquidation de quelques restes de
contradictions institutionnelles de la bourgeoisie par la mise en place de
structures étatiques plus brutales, maîtrisant davantage les mouvements de
restructuration impérialiste, et une fois encore ce serait, pour le prolétariat
brisé, un demi siècle de paix sociale dans le renforcement de l’exploitation et
de l’oppression.
C’est donc à cause de l’actuelle impossibilité d’envisager
une révolution s’appuyant sur une transition pacifique parlementariste ( nous ne
parlerons pas de cette solution tellement son absurdité est évidente ) ou sur une insurrection massive et soudaine à
préparer pacifiquement, que nous devons opter pour un processus révolutionnaire
de longue durée, un processus de guerre révolutionnaire prolongée.
2.
Les principaux caractères qui doivent s’attacher au
choix stratégique de la lutte armée.
Affrontement entre forces d’inégale puissance militaire, la
guerre de libération prolétaire doit avoir pour forme principale la guérilla,
car la guerre de partisans est le seul moyen militaire d’assumer avec succès
une confrontation avec des forces supérieures sur le plan quantitatif et
technique.
C’est une telle guerre prolongée qui permettra au sein du
prolétariat le développement d’une avant-garde réelle ( et non autoproclamée ) et déterminée par la conscience de classe.
Conscience de classe qui ne peut se fonder que sur la plus claire des positions
de classe. Position de classe qui ne peut s’acquérir dans sa totalité et se
réaliser objectivement que par l’engagement absolu dans la lutte des classes et
cela à son niveau le plus élevé. La lutte armée pour le communisme a pour but
de mener cette totalité combattante et donc de désigner l’espace de la
confrontation antagonique absolue comme étant le lieu où se forge la conscience
révolutionnaire de classe en tant qu’elle est avant tout totalisation,
conscience totalisante d’être partie prenante de l’Histoire en mouvement en
tant que classe dont la lutte pour le pouvoir arrachera l’humanité à sa
préhistoire d’animalité et d’aliénation.
Le Parti est à la fois ce qui porte la conscience de classe
et ce qui en est le produit, puisqu’il doit exprimer la centralité du prolétariat
en tant que classe et qu’il est la forme la plus avancée de l’organisation du
prolétariat.
Par conséquent, la lutte armée communiste devant être
l’expression la plus élevée ( puisque la
plus totalisante ) de la conscience de classe, mais
le Parti étant à la fois porteur et produit de cette conscience de classe ( comme en étant l’expression organisationnelle, alors
que le concept de lutte armée désigne la manifestation plus que le mode de
collectivisation de la conscience ),
la lutte armée apparaît alors suivant un développement qui tend à réaliser,
après les avoir fait surgir, les fonctions inhérentes au Parti. C’est dans ce
sens que la lutte armée est le combat de classe intégrant le cheminement de la
construction du Parti. Ce qui impose à la guérilla des orientations bien
précises quant à ses choix de développement. Voyons cela de plus près :
— Nous voulons le communisme. Pour y parvenir, le
prolétariat doit prendre le pouvoir et l’exercer sans aucun partage. C’est
aujourd’hui plus possible que jamais, étant donné l’actuelle polarisation de la
société, faisant du prolétariat l’immense majorité de la population face à une
bourgeoisie de plus en plus recentrée autour de l’oligarchie impérialiste, cela
même si la composition interne du prolétariat est hétérogène ( encore qu’il ne faille pas exagérer
car, par exemple, la classe ouvrière est quand même beaucoup plus homogène
qu’autrefois ). Le « peuple », ici et
aujourd’hui, c’est le prolétariat, ce sont uniquement les prolétaires. Et la petite
bourgeoisie ? Elle se meurt sur tous les plans
et ne peut plus jouer le moindre rôle révolutionnaire, elle est aujourd’hui
historiquement totalement réactionnaire puisque ses intérêts objectifs ( et qu’elle affirme parfaitement dans ses expressions
politiques ) sont à la fois de s’opposer à la
destruction du capitalisme ( d’où
l’anticommunisme de plus en plus violent de la petite bourgeoisie dans son
ensemble, même dans ses couches autrefois dites « progressistes » :
les intellectuels de gauche, par exemple, sont les grands prêtres de la
croisade contre le communisme ) et de
s’opposer au développement impérialiste, ce qui dans un cas comme dans l’autre
s’oppose au sens de l’Histoire et est donc réactionnaire. Par conséquent c’est
fondamentalement dans le prolétariat que doit se développer la guérilla comme
forme de lutte et comme type d’organisation, ne reposer sur aucune alliance de
classe. Et nous n’entendons pas le prolétariat comme le font certains subjectivistes
qui définissent le prolétaire par des critères de conscience ou par des
situations de marginalité, nous l’entendons dans le sens marxiste du terme et,
pour être très larges, nous ne pouvons considérer comme prolétaires que des
individus dont les moyens de subsistance ne proviennent ni directement ni indirectement
d’une extorsion de plus-value. Nous ne parlons pas du prolétaire comme « figure sociale »
où je ne sais quoi de défini par des critères socioculturels mais purement et
simplement par sa place objective dans les rapports de production.
Cela ne veut pas dire que des marginaux ou des
petits-bourgeois ne puissent s’engager aux côtés de la guérilla, poussés par
leur subjectivité ou leur réflexion intellectuelle. Cela veut simplement dire
que le travail de développement organisationnel des combattants communistes
doit uniquement se dérouler en milieu prolétaire, que la direction politique et
militaire de l’organisation doit être strictement assurée par des prolétaires ( et non par des petits-bourgeois ou par des
prolétaires subjectifs ).
— L’autre caractère de la guérilla, dans son
cheminement de construction du Parti, c’est de voir se constituer une
organisation de cadres. L’organisation menant la lutte armée n’a strictement
rien à voir avec une organisation de masse, il ne s’agit pas d’un syndicat armé,
ni d’une sorte de fédération de fronts de lutte, de mouvements sociaux ou de
groupes armés qui seraient politiquement autonomes, il ne s’agit pas non plus ( suivez mon regard ... ) d’un groupuscule de clandestins reposant sur une
mouvance de paumés, lumpenprolétaires ou petits-bourgeois à la dérive ( qui sautent sur la première occasion pour se repentir
et très activement collaborer avec la police, c’est aussi un point commun entre
certains groupes actuels et les groupes socialistes-révolutionnaires ou anarchistes
d’autrefois dont ils s’inspirent jusque dans leur sigle ). Au contraire, l’organisation communiste
combattante doit être composée de cadres communistes, c’est-à-dire de partisans
expérimentés, hautement politisés, qui aient une ferme expérience de masse
quant à l’agitation, à la propagande et à l’organisation et qui aient chacun
des capacités politiques et théoriques suffisantes pour que chaque militant
soit le constructeur actif de la ligne politique collective. Chaque combattant
doit être capable de porter l’intégralité de la ligne stratégique et donc être
capable, politiquement et militairement, de constituer ou de reconstituer une
unité de l’organisation à partir de lui-même en toutes circonstances.
— Pour qu’il y ait véritablement maîtrise du processus
révolutionnaire et que l’organisation combattante ne soit pas une sorte de bras
armé du mouvement spontané des masses ( qui
ne sont pas menées par la spontanéité vers la révolution mais vers le « trade-unionisme »,
comme le remarquait Lénine ) en ayant avec celui-ci une
relation de suivisme et d’opportunisme, il est nécessaire que le fonctionnement
et l’action de l’organisation expriment une ligne unique, autour de laquelle
l’unification de chaque partisan soit très complète. Il faut refuser l’opportunisme
et les alliances autour d’un « plus petit
dénominateur commun ». Il ne s’agit donc pas d’un
rassemblement, où chacun apporte ce qui lui convient en se retrouvant sur la
base politique qui a souvent été de règle ces dernières années et qui peut se résumer
ainsi : « Faut faire quelque chose, faut qu’on s’organise pour faire des choses
ensemble, avec les copains et les gens sympas qui veulent agir » ou autres absurdités qui sont d’ailleurs, dans les
faits, parfaitement anti-démocratiques car le refus de toute rigueur politique
et organisationnelle fait que la direction effective de ce genre de conglomérat
est monopolisée par une « élite » composée de ceux qui par leur expérience personnelle ou par leur
statut socioprofessionnel ont davantage de capacités politiques et théoriques.
Un fonctionnement véritablement communiste doit au contraire reposer sur le
centralisme démocratique, sur une structuration précisément organisée de façon
permettant à chacun de participer réellement et efficacement à l’élaboration de
la ligne politique, dans un fonctionnement collectif organisé se donnant une
direction politico-militaire centrale comme organe assurant la collectivisation
et l’unification de la synthèse des pratiques politiques, militaires,
théoriques, organisatrices des diverses unités de combat et de chaque militant.
— Ces aspects structurés et centralisés d’une
organisation qui cherche ainsi à se donner les moyens d’être objectivement à
l’avant-garde de la lutte des classes, font que l’organisation anticipe sur le
Parti à venir, c’est ainsi que celui-ci peut se constituer à travers le
processus révolutionnaire. Ce concept « d’anticipation » est extrêmement important car c’est grâce à lui que
peuvent s’éviter à la fois l’immédiatisme aventuriste et la sclérose, le
blocage par l’incapacité de faire passer le combat d’une étape à une autre.
C’est ainsi que la lutte armée révolutionnaire n’adopte pas une forme
définitive qu’il s’agirait de faire durer jusqu’à la victoire finale ; elle doit passer par une série de phases
différenciées s’articulant les unes aux autres et correspondant chacune à une
situation donnée du rapport de force politique et militaire. Ce qui constitue
l’articulation entre deux phases successives étant justement le fait qu’une
phase donnée répond à une situation historique donnée mais qu’en même temps
elle doit anticiper sur la phase suivante, en contenant donc les tendances qui
en se développant se réaliseront totalement dans la phase suivante, qui
elle-même anticipera en partie sur la phase lui succédant, et ainsi de suite.
3.
La phase préparatoire à l’étape de la propagande
armée.
Cela signifie qu’en France nous en sommes à une phase
préparatoire de la phase de la propagande armée, elle doit consister en trois
étapes qui sont successives quant à leur ordre d’importance mais qui
chronologiquement doivent connaître — du moins le plus rapidement possible —
une certaine simultanéité :
1) Ce qui est le plus prioritaire est un intense
travail d’élaboration théorique, d’analyse de la réalité actuelle dans toutes
ses composantes et de réinsertion de celles-ci dans une perspective historique,
afin de dégager une stratégie révolutionnaire globale suffisamment précise et
complète pour que, dans sa liaison avec la pratique qui en sera issue, elle
s’exprime par une ligne politique cohérente, totalisante, porteuse de
continuité politique et de développement politico-militaire ainsi
qu’organisationnel.
2) Un travail d’unification politique autour de la base
politico-théorique évoquée précédemment. Ce qui doit se traduire par un début
de structuration de l’organisation révolutionnaire, présentant dès à présent
les caractéristiques suivantes : une
organisation structurée ( en fonction des leçons que nous
tirons des formes d’organisations traditionnelles du mouvement ouvrier ainsi
que des diverses expériences de guérilla révolutionnaire passées ou actuelles ), stratégiquement centralisée, communiste,
clandestine et armée, anti-impérialiste donc internationaliste ( ce qui ne signifie pour autant aucune fusion avec des
organisations relevant d’autres réalités nationales et qui ne serait
envisageable que dans un stade de développement très élevé et donc ultérieur ), prolétarienne par sa composition et sa position de
classe. Elle doit lier le politique et le militaire sous une direction unique,
ce qui est déjà l’amorce du « parti
combattant » dont Lénine parlait comme forme
d’organisation de l’avant-garde durant la période insurrectionnelle ; le politique ne devant pas être subordonné au
militaire mais le militaire ne devant pas être non plus un simple « bras armé »
du politique car, dans l’état d’intégration impérialiste actuel, la question
militaire est avant tout une question politique et la question politique ne
peut ni se résoudre ni s’aborder sans assumer la question militaire. Politique
et militaire sont indissociables et dans le combat moderne de libération
prolétaire, le Parti sera également le noyau central de l’armée rouge.
Les moyens de cette pratique de constitution et
d’unification politique sont la lutte politique au sein du mouvement
révolutionnaire, le prosélytisme, la formation des cadres, l’agitation et la
propagande de masse sous toutes les formes et sur tous les terrains constituant
des enjeux réels de la lutte des classes (5).
3) Une pratique militaire, visant à donner à
l’organisation les moyens de sa politique et de son ultérieur développement
politico-militaire dans la guérilla. Cette pratique de combat armée remplit
donc trois fonctions : idéologique et politique,
logistique, organisatrice. L’importance de l’action militaire dans la phase
actuelle n’est pas immédiatement considérable et ne peut pas avoir de portée « stratégique »
sur le plan politique et idéologique ( encore
moins sur le plan militaire, bien entendu ),
il est donc essentiel d’y éviter toute abstraction, de ne pas la faire reposer
sur des analyses abstraites telles que des considérations géopolitiques ou
d’autres concepts parfaitement abstraits tels que « combattre-la-restructuration-pour-la-préparation-à-la-guerre », auxquels personne ne comprend rien. Il s’agit
d’être résolument concret, immédiatement lisible, une action politiquement
juste est une action qui peut se passer de commentaire et d’explication.
L’importance de cette pratique est surtout de préparer la
phase réellement ouverte de la propagande armée, donc en présenter déjà
certains aspects mais d’une façon relativement dispersée et selon les formes
d’expression les plus souples.
4.
La phase de la propagande armée.
Cette phase, que nous venons d’évoquer, doit se fixer des
objectifs politiques et organisationnels précis qui constituent des échéances à
court terme, il s’agit d’une courte période. Par contre, il est difficile de
fixer à l’avance le cadre temporel de la phase proprement dite de la propagande
armée, car ses résultats ne dépendent pas seulement de nous, contrairement à la
première phase. En effet, l’étape de la propagande armée doit poursuivre toutes
les tâches de la période précédente auxquelles s’ajoute une action de
transformation de la réalité du pays en intervenant comme force politique
constituée. La phase de propagande armée se caractérise alors par les aspects
suivants, qui visent davantage au développement qu’à assumer directement le
rapport de force :
— Il s’agit de diffuser le plus largement possible les
idées communistes révolutionnaires en se servant des actions de guérilla comme
support ; les actions ont alors un rôle
médiatique : si la bourgeoisie a peut-être la
télévision comme le plus efficace de ses outils médiatiques, eh bien le nôtre
est l’action armée, dont l’efficacité est d’ailleurs renforcée par les médias
ennemis. Il ne s’agit pas de faire des actions déclenchant l’enthousiasme de la
majorité des masses, car si c’était possible cela signifierait que la
conscience de classe du prolétariat est développée au point que la Révolution
devrait être faite depuis longtemps, non, il s’agit simplement que les actions
soient justes ( pas justes en soi, cela ne veut rien
dire, mais justes en fonction de leur efficacité politique ), s’attaquant à des cibles suffisamment sélectives
pour que la majorité de la population ne puisse se sentir attaquée. Les actions
armées doivent déclencher l’approbation des couches prolétariennes qui nous
sont apparues comme les plus chargées de potentialités révolutionnaires. Ce qui
est lié au caractère incontournable de la nécessité de l’analyse de classe,
car, en effet, à chaque action armée comme à chaque expression écrite ou orale,
de la bombe au simple tract, il faut obligatoirement déterminer avec la plus
extrême précision à qui on s’adresse ;
les actions de la pratique révolutionnaire n’ont pas à chercher à être justes
en soi selon la morale ( fut-elle une morale « révolutionnaire » ) ni selon de grandes analyses abstraites, mais
doivent être entièrement conditionnées par une rigoureuse dialectique où se
trouve déterminée la classe ou couche de classe ou même telle ou telle
catégorie socioprofessionnelle ou communauté socioculturelle sur laquelle
s’appuie l’action en question et à laquelle cette action s’adresse.
Mais ce qui détermine le choix et le niveau de l’action
n’est cependant pas de « faire plaisir aux masses ». Les actions doivent en effet se situer toujours à
un niveau au-dessus de ce qui pourrait être entièrement approuvé par la
majorité, mais sans aventurisme politique donc juste à la limite exacte au-delà
de laquelle l’action entraînerait une réprobation de la part des prolétaires ( étant donnée
l’actuelle domination idéologique de la bourgeoisie ). En frôlant ainsi en permanence ce niveau
d’acceptation par la majorité prolétaire, la multiplication des actions verra
les plus larges masses s’habituer à considérer l’action armée comme une forme
de lutte politique légitime, normale et naturelle. La lutte armée acquerra
ainsi la légitimité et le sérieux qui y favoriseront l’investissement
politique, idéologique, militaire d’un nombre croissant de prolétaires. Si dans
ces dernières phrases nous précisons « prolétaire » à chaque fois, c’est parce que notre seule
préoccupation concerne le prolétariat. Nous n’attachons pas la plus minuscule
importance aux criailleries hystériques « antiterroristes », aux gémissements et piaillements des gauchistes et
des démocrates, c’est-à-dire de tous les petits-bourgeois effrayés qui
s’opposent au développement de la lutte armée révolutionnaire parce que
celle-ci ne les laisse plus jouir paisiblement de leurs angoisses
existentielles et de leurs débats oiseux. La lutte armée dérange les
pleurnicheurs professionnels se complaisant dans un répugnant sado-masochisme
contre la «R»épression et craignant de subir également les effets de la
répression contre le combat révolutionnaire, ce qui ne nous fait ni chaud ni
froid, au contraire, s’ils subissent les contrecoups des légitimes réactions
répressives d’autodéfense de la bourgeoisie contre les attaques prolétariennes
et révolutionnaires : bon débarras !
Contre les gardiens, petits et grands, de la morale
bourgeoise qui n’a été que justification séculaire de l’esclavage, du meurtre
massif, des pires oppressions et aliénations, nous dirons la vérité, parce qu’il
faut dire ce qui est pour pouvoir le changer, nous le dirons par notre
politique, par nos actions : non, tous les êtres humains ne
sont pas frères, un homme ne vaut pas un homme, un mort n’a pas le même poids
qu’un autre mort. Il est juste de répondre à la terreur blanche par la terreur
rouge. Et si cela déplaît aux petits-bourgeois ce sera exactement le même prix,
car si cette classe prétend obéir aux valeurs morales d’une conscience
humaniste, idéaliste et figée, les prolétaires, eux, ne se battent pas pour
être à l’aise avec une conscience qui leur serait immanente mais pour leur vie,
autant leur quotidien que leur devenir historique, leur vie qui est confisquée,
laminée et aliénée. La nuance philosophique est de taille, du côté de la
bourgeoisie il y a une conscience achevée, constituée, et il s’agit alors de
maintenir la réalité objective en conformité avec les valeurs morales de cette
conscience, tandis que du côté des prolétaires, il n’y a ni morale ni
conscience achevées mais cheminement constitutif d’une conscience à travers la
transformation de la réalité objective, dynamique qui implique le surgissement
de valeurs nouvelles. D’un côté il y a donc prétention à l’immanence des faits
et des valeurs, de l’autre côté, du nôtre, il y a soumission consciente à une
transcendance, entre autre la transcendance de l’Histoire, celle qui parcourt
la marche du monde. Différence radicale.
Aussi, les partisans communistes n’ont à faire aucune
démagogie, on n’a pas à se faire « bien
voir » et la question de savoir si les
actions révolutionnaires rencontrent accord ou désapprobation ne doit se poser
que dans une perspective historique, stratégique, et surtout en termes de
classe, c’est-à-dire uniquement en fonction des couches sociales précises
auxquelles s’adresse la politique révolutionnaire et non en fonction des « gens » en
général ( ce terme ne voulant rien dire si ce
n’est pour les subjectivistes qui opposent « Société » et « État » ). La
lutte armée combat l’abdication, le découragement et la passivité, en montrant
qu’il peut y avoir une véritable politique d’opposition, une pratique de réelle
rupture, que la peur peut changer de camp, que l’impunité et la permanence des
exploiteurs et oppresseurs n’ont rien de définitif, que pour les opprimés aussi
l’attaque est possible. En cela, la lutte armée tend à faire partager ce qui
doit vraiment être une nouvelle mentalité :
« oser lutter, oser vaincre ! », ce qui
correspond à la fonction de conscientisation de la lutte armée en elle-même.
5.
La question de l’organisation dans la lutte armée.
Cette fonction de propagande armée, accompagnée des autres
multiples formes d’action politique ( en particulier de masse ), doit, durant cette phase, trouver des modes
d’expression organisationnelle. C’est qu’il ne suffit pas de mener des actions,
même stratégiquement liées entre elles, il faut absolument qu’elles aient une
continuité au sein du prolétariat. Dans cette préoccupation nous rencontrons la
question des sympathisants, c’est là une notion très confuse qui permet tous
les opportunismes et toutes les irresponsabilités tant politiques que
militaires ( comme nous le montre la situation
lamentable de fragilité et d’isolement, devant la répression, de ceux qui
n’hésitent pas à s’appuyer dans leurs pratiques armées sur des individus
apolitiques, des délinquants, des petits-bourgeois paumés, des anarchistes
alors qu’ils se prétendent « communistes », etc., cela ferait rire si les conséquences
humaines et idéologiques n’en étaient pas si graves ).
Nous pensons que le cloisonnement des structures doit être
absolu, que les partisans doivent maintenir une totale clandestinité de leur
appartenance politique, que l’organisation doit être totalement hermétique.
Alors, par rapport à cela, qu’appelle-t-on
sympathisants ? Lorsque nous voyons l’exemple de
certains groupes nous pourrions penser qu’il y a des « sympathisants de la guérilla », des gens qui ont de la sympathie pour des formes
de lutte armée, pour cela n’importe quelle vague idéologie suffit et le rôle
des « militants » est alors de fournir aux dits sympathisants la
sauce pour enrober le tout, c’est-à-dire une phraséologie rituelle, confuse,
mécanique, composée de néologismes imbéciles ( en France ce sera tout particulièrement en ayant recours à quelques lieux
communs soixante-huitards reformulés dans une incompréhensible salade
d’italianismes et de germanismes donnant une allure « sérieuse »
à une pensée d’une désespérante pauvreté ).
Le résultat c’est que nous voyons dans ces groupes de paumés parfaitement
apolitiques, des policiers, des indicateurs, des humanistes en dérive
existentielle, participer à des actions armées, faire des hold-up, s’occuper de
la logistique, se voir confier des responsabilités et autres incohérences. Nous
disons pour notre part qu’une véritable organisation communiste ne peut pas
avoir de sympathisants actifs qui soient des « sympathisants de la lutte armée ».
La lutte armée devant correspondre au niveau d’engagement le plus élevé, ce
dernier ne peut reposer que sur un haut niveau de conscience politique, de fermeté
idéologique, de formation théorique et d’expérience militante. Sans cela le
fait de vouloir s’engager comme combattant ou comme sympathisant actif ne peut
révéler qu’un individu militariste, aventuriste, manipulable, dans le meilleur
des cas. Or, les militaristes et les aventuristes n’ont aucune place à avoir
dans une organisation communiste.
La question est totalement différente pour les personnes qui
ont une réelle insertion populaire, qui sont combatives, qui sont socialement
et psychologiquement claires, qui sont proches des idées communistes
combattantes par la totalité de leur conscience politique et non sur des
aspects partiels. Il vaut mieux s’appuyer sur des communistes sincères et
solides, même n’étant pas encore convaincus de la nécessité de la lutte armée,
plutôt que sur des gens approuvant la lutte armée, voulant la soutenir, mais
qui ne sont pas des militants communistes. C’est en comprenant cela que l’on
peut assurer la nécessaire formation de cadres
politiques, dirigeants et cadres intermédiaires, de la guérilla et du mouvement
de masse. L’existence de cadres de masse, ne se confondant pas avec la
guérilla, est une absolue nécessité dans n’importe quelle situation historique
et partout dans le monde, c’est la condition incontournable non seulement du
développement qualitatif et quantitatif des forces révolutionnaires mais aussi
de la simple survie de la guérilla face aux contre-attaques ennemies, en
permettant la reconstitution permanente des structures lorsque celles-ci
subissent des amputations au cours de l’affrontement. La riposte militaire de
la bourgeoisie accule les structures initiales à une position défensive
totalement improductive et transforme le combat révolutionnaire en une simple
lutte entre un groupe de rebelles armés et l’État ( situation qui ne peut d’ailleurs guère s’éterniser à
l’avantage de la guérilla, étant donné la disproportion des forces en présence ), s’il n’existe pas au sein des masses populaires
des partisans ayant les capacités politiques de poursuivre dans leur milieu le
développement quantitatif, de reconstruire en permanence les unités
combattantes détruites, de continuer l’élaboration et le fonctionnement de la
ligne politique. Le rôle de ces cadres de masse est d’organiser et de mener une
pratique politique de masse dont les choix et orientations s’articulent à la
ligne stratégique de l’organisation communiste combattante. Cela à l’intérieur
des organisations de masse déjà existantes ou par la création de toutes les
multiples formes d’organisation de masse nécessaires à mener les luttes pour
les besoins immédiats du prolétariat indépendamment des organisations de
collaboration de classe. C’est à travers ce processus que se fait la croissance
qualitative et quantitative de la guérilla, puisque cette pratique politique de
masse est la seule capable de dégager l’avant-garde prolétaire d’où doivent
provenir les combattants communistes organisés. Cela implique que
l’organisation ne doit reculer devant aucun effort pour impulser les moyens
politiques et structurels nécessaires à renforcer au sein du peuple l’action
conscientisante de la lutte armée révolutionnaire, car la conscience de classe
se développe au fur et à mesure que le prolétariat s’organise politiquement, or
le simple fait que se mènent des actions armées ne suffit évidemment pas à
susciter l’organisation. Par conséquent, il faut des instruments d’action
politique non armée, des moyens d’agitation, de propagande, de popularisation
de l’action combattante, d’organisation des masses sur des terrains partiels,
de formation théorique et politique à la fois des partisans clandestins et des
cadres politiques de masse.
6.
La construction de l’organisation ne peut se
confondre avec une politique de front.
Cette action politique d’organisation et de formation des
éléments les plus avancés des masses populaires accompagne un autre objectif
stratégique propre à la phase de la propagande armée. L’organisation
combattante ne doit pas être une coordination de groupes, ni un front, ni une
coordination de fronts, elle doit être homogène, monolithique, précisément
structurée et centralisée quant à sa direction. Alors la phase de propagande
armée poursuit ce processus de structuration et d’unification / centralisation,
mais elle doit également élargir cet objectif. La propagande armée étant la
première forme d’apparition concrète de la politique de lutte armée pour la
Révolution communiste, elle est l’expression publique de la ligne politique de
l’organisation communiste combattante. Cette pratique doit faire apparaître la
justesse de la ligne suivie, en remportant des succès politiques et militaires,
en se développant visiblement, en étant moins affectée que d’autres par les
coups de la défense ennemie. Cette phase doit alors comporter une politique
anti-sectaire d’ouverture politique, de dialogue, de confrontation politique et
théorique qui doit favoriser les processus d’unification entre
révolutionnaires. Cependant nous ne partons pas du principe illusoire d’une
unité « naturelle », de l’esprit « nous
sommes tous frères malgré nos divergences de détail » qui légitimerait des rapprochements spontanés et
des élans de convivialité, non, et ce ne sont certainement pas les formes de
lutte qui pourraient constituer un critère de proximité politique. Une fois
encore, nous sommes contre les politiques de front quand il s’agit de questions
stratégiques telles qu’elles sont posées par la lutte armée révolutionnaire,
nous sommes contre le fait de se reconnaître dans des « mouvances »
politiques. Les processus d’unification entre organisations, courants, groupes,
ne peuvent s’envisager qu’à travers un cheminement très progressif,
politiquement très prudent, au cours duquel se transforment objectivement les
groupes concernés. Ce qui peut unifier n’est en aucun cas le rassemblement ni
les alliances mais la lutte politique, la confrontation, la lutte entre deux
lignes, c’est-à-dire le déroulement de la lutte de classe au sein même du
mouvement révolutionnaire. Ce qui implique une intense pratique politique et
théorique ouverte que les thèses, analyses, orientations ( autres que tactiques, bien sûr ) soient largement connues, critiquées et débattues
par les révolutionnaires.
Avec l’action politique et idéologique de la lutte armée en
soi et l’action politique multiforme de l’organisation communiste au sein des
masses prolétariennes, cette pratique de lutte politique ouverte au sein du
mouvement révolutionnaire ( et
sur la scène politique en général )
est la troisième fonction politique dont dispose l’organisation communiste pour
se développer qualitativement et quantitativement.
VII.
Vers la guerre civile
révolutionnaire
1.
Durant la phase de la propagande armée se constituent
les conditions de la guerre civile révolutionnaire.
La phase de propagande armée prépare donc à tous les niveaux
la phase qui lui succèdera, mais la fonction anticipatrice la plus apparente
est sans doute due à l’action objective de la lutte armée ( même limitée à son stade
propagandiste ) sur les conditions du rapport de
force. Bien qu’il ne s’agisse pas encore d’une pratique transformant
directement le rapport de force, nous parlons des conditions de celui-ci. Cette
fonction est évidente, le seul fait que se manifeste une dissidence armée (6) favorise le processus de militarisation du
commandement capitaliste, l’exacerbation des contradictions de la démocratie
bourgeoise, la militarisation de la politique.
Durant cette phase la guérilla ne cherche évidemment pas à
vaincre militairement mais son harcèlement, la multiplication des actions,
poussent l’État bourgeois à se mettre sur la défensive, c’est cela qu’il faut
chercher ( il
faut en arriver à ce qu’il y ait des sacs de sable devant chaque banque ; que chaque terrier du patronat, de la police, de
l’armée, de la justice, des politiciens soit obligé de s’entourer de barbelés ). La dialectique du processus révolutionnaire passe
justement par cette réaction. Car actuellement la dictature bourgeoise s’étend
sur l’ensemble du social et jusque dans les têtes ; si elle se trouve obligée de se reconcentrer défensivement, en se
militarisant encore davantage, alors elle fait apparaître une nouvelle distance
subjective entre elle et les masses populaires. Le sentiment de la légitimité
de la dictature impérialiste commence à vaciller à partir du moment où les
fonctionnements de domination se concentrent et apparaissent en tant que tels
au lieu d’être dilués dans le tout social. Ce que disait d’ailleurs Marx :
« Le progrès révolutionnaire se fait
par la création d’une contre-révolution puissante et unifiée, par la création
d’un ennemi qui amènera le parti de l’insurrection à atteindre par la lutte la
maturité qui fera de lui le véritable parti révolutionnaire. »
La militarisation de la lutte des classes, favorisée par la
guérilla, entraîne un rétrécissement de la base d’appui de l’État impérialiste,
donc une progressive déstabilisation institutionnelle jusqu’à ce que le
capitalisme n’ait plus que la force armée pour seule garantie. Ce processus se
comprend sur le plan idéologique et politique dans la mesure où l’attaque
révolutionnaire armée provoque l’exacerbation de certaines contradictions : là où se situent les rapports entre le pouvoir
bourgeois et les prolétaires.
Le consensus social repose sur le fonctionnement
démocratique bourgeois, avec ce que cela nécessite comme libertés formelles
d’expression, d’association, etc., libertés que la bourgeoisie doit absolument
restreindre ou abolir si se développe une politique armée. Or, si le système
bourgeois perd les fondements démocratiques qui lui permettent de fonctionner,
on assiste à un rétrécissement, affaiblissement et fragilisation, du pouvoir
bourgeois sur les plans politique, idéologique et même psychologique. Ce qui
correspond également donc à cette fonction de la lutte armée qui est de creuser
une profonde ligne de démarcation entre l’ennemi et nous. Tracer cette ligne de
démarcation de façon irréconciliable, c’est tendre à placer chacun devant une
alternative unique et incontournable :
Révolution ou contre-révolution. Et ce sera un progrès politique et idéologique
considérable que de briser la confusion ambiante, subvertir le consensus en
forçant chaque force politique à choisir son camp. Certains nous critiqueront ( ultra-gauche,
gauchistes divers, mouvementistes en tout genre et tous ceux qui par leurs
statuts sociaux ont quelque chose à perdre dans le genre de ces fameuses « libertés »
dont ils sont seuls à retirer un quelconque intérêt ) en disant que cette stratégie resserre les rangs
des forces politiques traditionnelles autour de l’État, c’est exact et loin
d’être négatif, c’est justement ce que nous cherchons. La question est de
savoir si nous voulons la Révolution ou si nous souhaitons voir l’État
bourgeois être géré par des forces plus « à
gauche ». Si nous voulons la Révolution
alors il faut que les forces révolutionnaires apparaissent comme la seule
opposition réelle, la seule alternative véritablement différente. Et pour cela
c’est une excellente chose que les forces contre-révolutionnaires de toutes
tendances, qui faisaient fonctionner le jeu institutionnel en se posant comme
oppositionnelles, montrent leur véritable visage en se regroupant encore plus
autour de l’oligarchie impérialiste, laissant ainsi le champ politique ouvert à
l’irruption d’une opposition réelle autour de la lutte armée révolutionnaire.
2.
La phase terminale de la guerre révolutionnaire pour
la prise du pouvoir d’État.
Ainsi, par la radicalisation objective qu’elle induit, la
phase de propagande armée prépare la phase suivante en commençant à poser les
termes politico-militaires d’un affrontement qui s’exprimera alors dans une
guerre civile révolutionnaire dont la forme militaire sera la guérilla, étendue
à l’ensemble du territoire considéré et du tissu social. Il s’agira d’une
guerre de guérilla, sauf, sans doute, dans une phase terminale qui verrait se
constituer de vastes territoires sous le pouvoir prolétaire ( sans doute en premier lieu là où le combat
révolutionnaire aura convergé avec une lutte populaire de libération nationale,
par exemple en « France » : Euskadi, Bretagne, Corse, pour
commencer ... ), cela dans le contexte compliqué d’un processus de longue durée aux
multiples implications internationales, militaires et diplomatiques,
participant à des rapports de force politico-militaires autorisant alors la
viabilité de tels territoires libérés, donc l’ultérieur écrasement des zones de
pouvoir blanc par des offensives de guerre conventionnelle ( classique et moderne ).
La phase de la guérilla étendue, contrairement à celle de la
propagande armée, vise à remporter des victoires politico-militaires
transformant effectivement le rapport de force. Cela par le harcèlement, la
destruction des moyens ennemis, l’obligeant à se fixer, à s’isoler des
populations, à se concentrer en certains endroits ou à disperser ses forces en
se rendant vulnérable. Le but est alors de faire s’embourber l’ennemi dans ce
processus de militarisation et d’autodéfense, en le contraignant à consacrer
toujours plus d’efforts à une sécurité qui normalement ne doit pas reposer sur
ses seules forces mais sur l’ensemble du fonctionnement social et de ses
multiples réseaux institutionnels ( d’où
la « doctrine de la sécurité » reprise en Europe de l’ouest après l’Amérique
Latine, sous l’impulsion nord-américaine, liant sécurité militaire extérieure,
sécurité militaire intérieure, sécurité économique, sécurité politique et
civile dans la « paix sociale » ). L’État
impérialiste entre alors en désagrégation pour pouvoir préserver son noyau de
pouvoir politico-militaire central, ce qui favorise à son tour le mouvement
révolutionnaire puisque le processus de dissolution institutionnelle et
d’incapacitation des mécanismes de pouvoir politique démocratique bourgeois
contribue au développement des situations de pouvoir direct du prolétariat, à
travers les organisations de masse, ponctuelles ou permanentes, comités révolutionnaires
d’entreprises, de quartiers, etc., structures de lutte de masse qui doivent
émerger sous des formes diverses dès la phase de la propagande armée et se
consolider avec pour orientation directrice d’être les organes du pouvoir
direct des masses populaires.
Sur le plan politico-militaire, la phase d’extension de la
guérilla a pour objectif d’atteindre progressivement l’équilibre du rapport de
force. Le développement des capacités offensives des forces communistes ainsi
que son accompagnement dialectique par la désagrégation des fonctions
institutionnelles du pouvoir bourgeois parviendront progressivement à ce niveau
d’équilibre des forces, puis à son basculement au cours d’une phase finale qui
verra le prolétariat s’acheminer vers la totale destruction de l’appareil
d’État bourgeois, la généralisation et la stabilisation du pouvoir prolétaire
qui aura commencé son émergence à travers la guerre révolutionnaire de classe.
Phase ultime de renversement en notre faveur du rapport de force et qui comportera
sans doute une plus grande diversité des offensives d’ordre stratégique, de la
poursuite / développement
de la guérilla à des formes de guerre conventionnelle entre zones à pouvoirs
différents, en passant par des prises du pouvoir insurrectionnelles locales ou
régionales.
3.
En conclusion, la stratégie révolutionnaire armée est
la méthode moderne nécessaire à la révolution communiste dans l’Occident
impérialiste d’aujourd’hui.
Ce que nous voulons signifier avant tout dans ces lignes
c’est qu’il est temps que la lutte armée n’apparaisse plus comme une sorte de
gadget, d’invention tombée du ciel, de nouvelle forme de lutte un peu
désespérée et qui nous semblerait davantage correspondre à on ne sait quel
purisme romantique. Ce n’est ni une nouveauté qui surgirait coupée de
l’Histoire, ni la répétition de formes historiques passées donc dépassées ; mais il s’agit de la forme moderne d’un combat
solidement ancré dans la continuité du mouvement de l’Histoire. C’est
uniquement dans ce cadre qu’il faut non seulement comprendre la nécessité de la
lutte armée mais aussi l’organiser et la maîtriser stratégiquement comme étant
ce qui exprime ici, à la fin du XXe siècle, au cœur des métropoles dominantes
d’un système impérialiste voyant parvenir à son achèvement le mode de
production capitaliste, cette continuité historique qui passe par la Commune de
1871 et la Révolution d’Octobre.
Bien entendu, ces lignes ne prétendent à aucune
exhaustivité, il ne s’agit que d’un schéma très général, d’orientations
stratégiques. Chaque point doit en être approfondi, détaillé, complété pour en
revenir à chaque fois à la stratégie générale. C’est là la tâche fixée par une
nécessité, celle de la théorie révolutionnaire. Il ne s’agit d’ailleurs pas de
discuter publiquement les questions purement tactiques, cela ne servirait qu’à
l’information de l’ennemi et non pas aux révolutionnaires qui doivent obéir au
double principe de la plus grande rigueur stratégique et de la plus grande
souplesse tactique ( où
l’imagination de chacun doit se donner le plus libre cours ! ). Théorie
révolutionnaire où nous devons avancer à grands pas et dans tous les domaines ( politiques et
militaires mais aussi sociaux, économiques, philosophiques, culturels, etc. ) parce qu’il faut se rentrer dans la tête, de façon
absolue, intransigeante, répétitive, qu’aujourd’hui comme il y a soixante ans
et comme ce sera toujours le cas : « sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement
révolutionnaire ». Ne pas se fixer pour tâche
impérative l’élaboration dynamique et permanente de la stratégie
révolutionnaire communiste, serait accepter de tourner en rond, accepter le
désespoir, accepter la médiocrité des faciles ersatz de bonne conscience dans
les petites résistances qui ne mènent à rien. « Combattre » l’État, le fascisme, le racisme,
les divers symptômes de l’impérialisme, contre la répression, contre tout un
tas de choses, toujours « contre », peut être ponctuellement utile mais ne relève que d’un militantisme
existentiel, il nous faut avoir le courage de reconnaître que ce n’est que du
vent, pisser dans un violon. Que ce soit clair, brutal, si nous abdiquons dans
l’impuissance des petits aménagements de bonne conscience ( même armée ! ), mieux vaut alors que chacun choisisse son île, les
plages du Pacifique ou planter des carottes en Lozère. Ou alors oser, oser
triompher, oser prendre l’Histoire à bras le corps, la
faire nôtre en la forgeant de nos volontés libératrices. Être des bâtisseurs et
des conquérants, conscients qu’un autre monde est à portée de main pour peu
qu’on veuille étendre cette main. Le développement de la civilisation a atteint
le point crucial d’où elle peut s’élancer hors de la préhistoire et le possible
est aujourd’hui à la mesure de l’aliénation, de l’oppression, de ce trop-plein
de déshumanisation d’une société en pleine putréfaction. Aussi il est de la
capacité de notre génération, pour la première fois depuis des millénaires,
d’accéder au communisme, d’ouvrir en grand les portes de la libération de
l’individu et de la satisfaction de tous les besoins humains, cela de notre
vivant. Notre génération sera celle qui fera les premiers pas de l’humanité
dans l’ère du communisme.
Frédéric Oriach
Premier mai 1985.
Notes
(1) Citer cet auteur ne signifie pas en adopter
l'ensemble des thèses ! Et la métaphore de l’usine ne doit
pas être rapportée aux simplismes réducteurs des Autonomes sur « l’usine sociale »,
le « prolétaire urbain » et autres « néo »-bouffonneries.
(2) Extrême droite tsariste.
(3) Contrairement aux bases théoriques de
certains groupes armés allemands et français actuellement présents sur la scène
médiatique.
(4) Même coordonnées ou alliées au sein d’un
front ; les formes de lutte ne peuvent
constituer le critère d’élaboration d’un front, la question actuelle est celle
de l’organisation et celle du Parti, celle du développement du combat
révolutionnaire et non celle d’un « front », ni national, ni européen.
(5) Enjeux réels, c’est-à-dire reposant sur
l’analyse objective de la réalité objective, en particulier sur l’analyse de la
composition de classe, et non sur des facteurs subjectifs tels que l’esprit
d’illégalisme et de révolte ou du degré de répression subi, etc.
(6) Ce qui fait que si en France nous critiquons
de façon radicale les groupes armés français actuellement publiquement
existants, il n’en reste pas moins que nous nous félicitons de toute
manifestation politique armée se voulant révolutionnaire, tout ce qui peut
accroître l’insécurité de la démocratie nous est actuellement favorable.