Introduction
Dans le courant de l'année 1990, Correspondances
Révolutionnaires a établi un contact régulier avec des militants de la Ligue de
Propagande Armée Marxiste-Léniniste emprisonnés en
Turquie.
Parmi les premiers documents politiques échangés, deux
questionnaires. Un que nous avons soumis aux camarades turcs, un autre
qu'eux-mêmes ont adressé aux quatre militants des Cellules Communistes
Combattantes prisonniers en Belgique.
C'est ce dernier que nous publions ici. Des questions
simples, des réponses claires, l'amorce d'une rencontre entre révolutionnaires
communistes, par-delà les frontières et les murs des geôles.
Et pourquoi pas aussi un premier pas de rencontre entre
communistes ici ? C'est dans tel espoir que nous
avons décidé de cette édition et que nous la diffusons largement.
Oui mais, et la contribution des militants de la Ligue de
Propagande Armée Marxiste-Léniniste, où reste-t-elle ? Nous l'avons retenue pour le numéro spécial de la
revue, à paraître cet automne. Un numéro qui sera consacré à d'importants
documents du mouvement révolutionnaire turc.
À cet égard, nous lançons un appel pressant à ceux et celles
qui pourraient directement nous aider, principalement dans le travail de
traduction, mais peut-être aussi par leur connaissance de la situation là-bas. etc., nous en avons fortement
besoin. Nous les remercions d'avance.
Premier Mai 1991
Le collectif de Correspondances
Révolutionnaires
Collectif des prisonnièr(e)s des
Cellules Communistes Combattantes
Interview à la Ligue de Propagande Armée Marxiste-Léniniste ( Turquie )
décembre 1990
1.
En quelle année
et dans quelles conditions fut créée votre organisation ? À quelle nécessité répondait cette création ?
Les Cellules Communistes Combattantes sont apparues
publiquement le 2 octobre 1984. A cette date, elles ouvraient la « Première campagne anti-impérialiste d'Octobre » par un attentat contre la multinationale US Litton Industrial. Au cours de
cette campagne, des centres économiques, politiques et militaires de l’impérialisme
furent successivement attaqués. La Première campagne anti-impérialiste
d'Octobre visait à l'émergence d'une orientation révolutionnaire au sein d'une
contradiction opposant l'ensemble de la population à l'impérialisme : la guerre impérialiste. A l'époque, un fort
mouvement populaire était mobilisé dans notre pays ( comme en RFA, aux Pays-Bas, etc. ) contre l'implantation des missiles
atomiques de l'OTAN sur le théâtre européen. Par la campagne, les Cellules
resituaient le problème dans son juste cadre :
la guerre est indissociable du capitalisme, le refus de l'une impose le rejet
de l'autre. La campagne s'est achevée le 15 janvier 1985 par la
destruction d'un centre de l'armée américaine près de Bruxelles.
Le 1er mai 1985, les Cellules Communistes
Combattantes ont attaqué et détruit le quartier général du patronat belge, la
Fédération des Entreprises de Belgique. À l'occasion de cette action,
l'organisation a publié un de ses principaux documents politico-stratégiques : « À propos
de la lutte armée ». Le 6 mai, les Cellules attaquaient
un centre de la gendarmerie, celle-ci s'étant rendue responsable de la mort de
deux pompiers lors de la destruction du bâtiment de la FEB.
Le 8 octobre 1985, les Cellules Communistes
Combattantes ouvraient la « Campagne
Karl Marx » par un attentat contre une des
premières sociétés de distribution d'énergie dans le pays, Intercom.
D'autres actions suivirent, toujours orientées contre des centres de pouvoir et
d'exploitation capitalistes. La Campagne Karl Marx posait la question de la
lutte prolétarienne contre « l'austérité » ( les
mesures gouvernementales d'appauvrissement social ) et de la nécessité de l'organisation révolutionnaire de classe. Cette
campagne ne fut pas achevée.
Du 19 octobre au 6 décembre 1985, les Cellules
Communistes Combattantes menaient la « Campagne
Pierre Akkerman — Combattre le militarisme bourgeois
et le pacifisme petit-bourgeois » ( Pierre Akkerman était un communiste belge, volontaire dans les
Brigades Internationales en Espagne, mort au combat le 1er janvier
1937 ). Cette campagne, située dans la
continuité politique de la Première campagne anti-impérialiste d'Octobre, s'est
dirigée contre des objectifs économiques et militaires de l'impérialisme et — de
façon symbolique — contre la tendance bourgeoise au sein du mouvement anti-guerre.
La campagne fut clôturée par une action internationale, un double attentat
contre les installations du CEPS ( le système oléoducs de l'OTAN ) à Versailles en France et Peteghem
en Belgique ; cette action fut revendiquée avec
un groupe de révolutionnaires internationalistes en France.
Quatre militants et militante de l'organisation, ( c'est-à-dire
nous-mêmes : Didier Chevolet,
Pierre Carette, Bertrand Sassoye
et Pascale Vandegeerde ), étaient arrêtés le 16 décembre 1985. Dans les semaines et les
mois qui suivirent, de nombreuses bases de l'organisation tombèrent aussi aux
mains de la police. Depuis lors, les Cellules Communistes Combattantes ne se sont
plus manifestées, ni au niveau de l’activité politico-militaire ni même au niveau
de la simple expression politique. La représentation de la mémoire et de la
ligne d'organisation n'est actuellement assumée publiquement que par les
prisonniers.
Que l'on nous permette à ce propos de présenter brièvement
notre propre situation dans la prison depuis cinq années.
Dès les arrestations, nous avons été placés dans des
conditions d'isolement carcéral total. En mai 1986, nous avons ouvert une première
grève de la faim collective pour la revendication de conditions élémentaires d’existence
et de travail politique. Après quarante-trois jours de lutte, le ministère
s'engageait dans ce sens ... et trahissait tout de suite sa
parole : l'isolement total continuait. En
septembre 1988, nous ouvrions la seconde grève de la faim, pour les mêmes
revendications minimales. Parallèlement se tenait un procès-spectacle
où, au mépris le plus entier des prétentions juridico-démocratiques
du régime, nous étions tous les quatre condamnés à la prison à vie. Pour notre
part, au cours des audiences, nous avons mis en procès le capitalisme, la
bourgeoisie et son État, et nous avons affirmé notre attachement indéfectible à
la cause révolutionnaire du prolétariat, au Marxisme-Léninisme
et à la lutte des Cellules Communistes Combattantes.
Aujourd'hui, nous sommes dispersés dans des prisons à
travers le pays. Suite à la lutte de 1988, nos conditions de captivité ont été,
dans la forme, plus ou moins normalisées, et surtout nous avons gagné le droit
à des visites et à la correspondance « libre » entre nous.
En ce qui concerne la seconde partie de la question, nous
répondons que les Cellules Communistes Combattantes sont une expression de la
dynamique révolutionnaire historique, et qu'elles correspondent aux conditions
objectives de cette dynamique dans notre pays. Mais, évidemment, cela est
insuffisant ; nous compléterons notre réponse en
face de questions plus précises que vous posez par la suite.
2.
Votre
organisation est-elle un parti ? Quels en sont les
principes organisationnels ?
Les Cellules Communistes Combattantes ne sont pas le Parti,
ni même l'Organisation révolutionnaire de classe. Mais nous voulons
immédiatement préciser cette phrase :
si les Cellules ne sont ni l'Organisation, ni le Parti Communiste, cela traduit
plus notre attachement à ces instruments qu'un rejet à leur égard. Nous pensons
que l'Organisation, puis le Parti, sont des instruments nécessaires de la lutte
prolétarienne révolutionnaire, et surtout qu'ils correspondent à des étapes
objectives dans le progrès de cette lutte et non à des déclarations subjectives
de la part d'une poignée de militants — aussi volontaires et dans la bonne voie
soient-ils.
Dans le communiqué de l'action du 15 janvier 1985,
contre une base yankee, les Cellules Communistes Combattantes écrivaient :
« La politique révolutionnaire a pour
première phase le travail d'élaboration théorique et de propagande politique.
Et cette démarche incontournable se réalise de pair avec l'organisation concrète
des éléments d'avant-garde dans la pratique offensive. C'est ainsi qu'a surgi
notre première offensive en tant que forces constituées. Voilà un point sur
lequel nous voulons insister : l'étape
de la propagande armée à travers laquelle les Cellules Communistes Combattantes
sont à l'avant-garde de la lutte révolutionnaire n'est certainement pas une fin
en soi ! Mais plutôt un vecteur qui dans la
radicalisation des antagonismes de classe conduira aux développements objectifs
des forces et de la politique prolétariennes et, par-là même, aux conditions de
l'émergence de l'Organisation Combattante des Prolétaires. Et de ses forces
quantitativement et qualitativement nouvelles, l'Organisation se battra pour
que naisse le Parti Communiste … »
Donc, Cellules, parce que cela correspondait à la réalité de
nos forces en 1984/1985 ; mais des « Cellules pour la construction de l'Organisation
Combattante Prolétaires », finalement pour le Parti. A ce
niveau, nous sommes donc aussi soucieux que respectueux des enseignements
léninistes.
Ce souci et ce respect étaient pleinement présents dans le
fonctionnement interne des Cellules. Si même la confidentialité de nos rangs en
1984/1985 n'exigeait pas encore la structuration d'un véritable appareil
organisationnel de type bolchevique, il n'empêche que nous appliquions alors
déjà dans notre processus collectif les principes communistes d'organisation,
nous anticipions l'agir partitiste
( centralisme
démocratique, hiérarchie de la compétence et du mérite, discipline et
responsabilisation, etc. )
3.
Pourquoi
avez-vous choisi la voie clandestine ? Que
pensez-vous de la lutte et des organisations légales ?
Les orientations organisationnelles et stratégiques de la
lutte révolutionnaire relèvent d'obligations historiques objectives ; on ne peut donc pas vraiment parler de choix à leur
propos.
Est-il permis d'imaginer un Parti Communiste, œuvrant réellement
à la révolution — c'est-à-dire en finalité au renversement du pouvoir bourgeois
par la violence — qui ait une existence reconnue, ou ne fût-ce même que tolérée
par ce pouvoir bourgeois ? Le bon sens élémentaire et
l'expérience du Mouvement Communiste International apportent une réponse
indiscutable à cette question : non. La clandestinisation
du Parti est déjà une simple priorité d'autodéfense pour tout Parti
révolutionnaire authentique.
La lutte armée est-elle une nécessité stratégique et tactique
du combat pour la révolution ? À notre
point de vue : oui ( nous développerons quelque peu
cette affirmation en répondant à la sixième question ). Peut-on croire un seul instant qu'un pouvoir en
place ne criminalise pas automatiquement ceux qui s'attaquent à son monopole de
la force armée — sur laquelle, jusqu'à nouvel ordre, repose tout pouvoir ? Bien évidemment :
non.
Donc la clandestinité est inévitable pour ceux-là.
Nous disons ainsi que la clandestinité n'est pas un choix fait
pour lui-même, mais la conséquence des choix révolutionnaires. D'ailleurs,
c'est dans cet esprit que les Cellules Communistes Combattantes écrivaient en
1985 :
« … il faut expliquer ce que nous
entendons par clandestinisation.
Il s'agit d'une clandestinité de masse au sein des masses. Il s'agit de la clandestinisation
de l'activité révolutionnaire et non des militants révolutionnaires. Les
militants doivent rester au sein du monde du travail, de l'univers social du
prolétariat, mais doivent couvrir — avec anticipation — leurs activités
militantes au sein de l'Organisation d'une discrétion imposée par le degré de
répression que la bourgeoisie engage contre le degré de développement
révolutionnaire. La répression menée par les mercenaires de la bourgeoisie est
inévitable quand l'Organisation prolétarienne développe une politique vraiment
révolutionnaire, c'est-à-dire s'organisant en fonction de la destruction de l'État
bourgeois … »
Donc, pour achever notre réponse, nous pouvons dire que nous
ne rejetons en rien l'activité légale, publique … tant qu'elle sert les intérêts du progrès révolutionnaire. Par
exemple, dans notre pays où les droits démocratiques bourgeois sont en vigueur,
comme celui de la liberté d'expression, eh bien nous pensons qu'il serait
absurde de ne pas l'exploiter afin que circulent largement le discours et la
propagande révolutionnaires ! Ce qui
s'impose simplement, c'est de comprendre la précarité des droits démocratiques
bourgeois, et d’anticiper leur disparition face au progrès révolutionnaire,
c'est tout.
4.
Comment
définissez-vous la structure socio-économique de votre pays ?
La Belgique est un petit pays inscrit au cœur de
l'organisation impérialiste. Mais dans ce cadre, en tant que lui-même, c'est
surtout un pays d'arrière-plan, disons plutôt : dépossédé de toute autonomie ou même indépendance réelle. D'une façon
générale, l'histoire du pays au cours du siècle n'est d'ailleurs qu'un lent
mais inexorable déclin national au profit de l'organisation impérialiste et ses
nations dominantes.
Mise en coupe réglée dans le cadre du plan Marshall après la
Seconde Guerre mondiale, l'économie de la Belgique jouira conséquemment de
l'essor de la période 1955/1970 ... pour
ensuite être frappée de plein fouet dès la réactivation de la crise et le
premier « choc pétrolier ». Depuis lors, la situation n'a cessé de se dégrader
au fil des courts cycles récession / relance qui rythment dans les centres le mouvement
d'ensemble de la crise mondiale de l'impérialisme, et cela malgré l'application
de nombreux plans de redressement ...
dont le monde du travail est le seul à supporter le prix.
Pour citer quelques données, la réalité économico-sociale
en Belgique aujourd'hui c'est : un
chômage endémique de 15 %, une perte moyenne de 15 % du pouvoir d'achat en 10 ans ... et le quasi quadruplement de la dette d'État dans
le même temps ( actuellement : sept mille milliards de FB ), l'endettement catastrophique de toutes les
régions, villes, etc., des coupes sombres dans tous
les budgets sociaux, de l'enseignement à la santé, etc.
Bref, une faillite généralisée et sans la moindre perspective de solution.
Au niveau de la composition de classe, la crise renforce une
tendance caractéristique de l'impérialisme dans ses centres : la réduction de l'emploi productif et l'expansion
du secteur non productif ( dit : des services ).
Ce qui entraîne dans un même mouvement la réduction de la classe ouvrière et un
élargissement du prolétariat. Le développement impérialiste creuse donc la
fracture sociale, rejetant aussi dans le prolétariat une part toujours plus
grande de l'ancienne petite bourgeoisie. En ce qui concerne le secteur
agricole, il n'occupe plus que 3 % de la
population active et, à sa façon, connaît aussi une prolétarisation par son
encadrement professionnel et économique.
Sur le terrain de la lutte des classes, le maître mot reste
le réformisme syndical ou politique ...
même si depuis longtemps il n'est plus que synonyme d'échecs et d'impuissance
pour le monde du travail.
Dans notre pays, le taux de syndicalisation est fort élevé ( par exemple, jusqu'il
y a peu, 80 % de la classe ouvrière ), mais si cela a permis dans le passé — c'est-à-dire
dans les périodes de croissance capitaliste — d'indéniables pas en avant dans
le domaine social, cela se révèle aujourd'hui le meilleur instrument de la
bourgeoisie pour imposer autant de pas en arrière. Et ceci, tant du fait que
l'encadrement syndical ( allié
direct des sociaux-démocrates et des sociaux-chrétiens ) tient fermement le mouvement social par la bride,
que du fait que ce même mouvement ne dispose d'aucune véritable expérience ni
tradition de lutte en dehors de lui.
Au niveau de la politique parlementaire, la bourgeoisie
occupe l'entièreté de la scène à travers trois grandes familles : les sociaux-chrétiens ( « démocrates-chrétiens » ), les sociaux-démocrates et les libéraux. Et toute
l'histoire parlementaire et gouvernementale de la Belgique depuis la fin de la
Seconde Guerre mondiale n'est rien d'autre qu'une succession sans cesse
recommencée de ces gredins, chacun prétendument plus attaché que ses complices
au bonheur du peuple et au paradis démocratique … c'est-à-dire bizarrement à l'intérêt des banques, des holdings et des
transnationales de l'impérialisme, — sans oublier l'avantage de l'OTAN.
5.
Quel est votre
but ? A quelle étape de la révolution êtes-vous
maintenant ?
L'objectif essentiel de la lutte des Cellules Communistes
Combattantes est la révolution prolétarienne. Qu'entendons-nous par révolution
prolétarienne ? La prise du pouvoir d'État et
l'instauration de la dictature du prolétariat, la construction du socialisme.
Ces objectifs, comme étape et période de transition vers le communisme —
société sans classe et sans État, requièrent la conjonction de multiples
facteurs objectifs et subjectifs historiques. Globalement, ces derniers sont
l'affirmation de la conscience de classe pour soi parmi les secteurs avancés du
prolétariat, et sa traduction dans l'action d'un puissant Parti d'avant-garde
capable d'élever et diriger la lutte des grandes masses laborieuses.
Cellules, Organisation d'avant-garde, Parti Communiste … Voilà les formes organisationnelles qui se succèdent
dans le processus révolutionnaire, et qui reflètent l'état objectif de maturité
des forces révolutionnaires et de la conscience de classe prolétarienne dans
une société.
Dans notre pays, il n'existe aucune organisation, aucun
Parti Communiste digne de ce nom. Comme dans beaucoup de pays européens, le
mouvement ouvrier socialiste a connu dans les années 1920 une scission dont est
né un parti communiste affilié à la IIIe
Internationale ... et qui, à sa façon ( fameuse ! ), a naturellement connu les mêmes déviations,
trahisons et échecs que ses pairs. Aujourd'hui ce parti révisionniste n'existe
quasiment plus, et encore moins sur le terrain politique. Les années 1965/1970
ont vu l'apparition de quelques groupuscules gauchistes, maoïstes, etc., fort excités en paroles mais plus encore réformistes
petits-bourgeois dans les programmes et les stratégies ; de tout ce feu de paille, il ne reste rien, si ce
n'est une ultime petite secte opportuniste et populiste à tendances social-fascistes.
Bref, une vacuité politico-organisationnelle
totale et un héritage de pourriture particulièrement puant. Une vacuité
d'autant plus entière qu'elle perdure sans discontinuité depuis bientôt un
demi-siècle. Ce qui nous fait dire que ici tout est à
construire, à créer. Alors, la réponse précise à la question, c'est qu'en
Belgique nous sommes au ni veau zéro de la révolution, nous n'en sommes qu'au
moment où des camarades surgissent, se cherchent, font leurs premiers pas sur
un chemin qu'il faut tracer envers et contre tout l'encadrement et la
tradition réformistes et révisionnistes dominants. En Belgique, la question
révolutionnaire se pose encore au niveau de sa propre affirmation,
revendication, et cela au travers des toutes premières — hésitantes et fragiles
— manifestations de propagande armée.
6.
Que pensez-vous
sur les méthodes de lutte ? Quelle est votre méthode principale ? Quel est l’objectif de la lutte armée ?
Comme nous le disions déjà en répondant à la troisième
question, nous pensons que le choix des méthodes de lutte n'est pas une affaire
subjective mais la conclusion de l'analyse scientifique des conditions
générales et particulières de chaque situation propre — et bien sûr pour
l'indéfectible finalité de la révolution prolétarienne. La question des
méthodes de lutte se pose donc pour nous à partir de la réalité générale d'un
pays impérialiste, de la crise économique mondiale, d'une démocratie bourgeoise
achevée, etc., et de la réalité particulière de la
Belgique, de son contexte économico-social, de son
histoire sur le terrain de la lutte des classes, de l'absence de traditions et
d'activités révolutionnaires, etc.
C'est dans ce cadre complet que nous devons décider de
l'orientation et des choix des méthodes de lutte révolutionnaire. Et c'est dans
ce cadre que nous fixons la lutte armée comme élément stratégique central et
non différable.
Nous reconnaissons la justesse historique générale des principes essentiels de
la guerre populaire, tels que Mao Tsé-toung les a
définis, et nous les appliquons à la réalité et aux spécificités de notre cadre
de lutte ( un
pays dominant dans la chaîne impérialiste, à caractère global urbain / industriel, ce
qui rend notamment impossible une guérilla rurale, des « zones libérées »,
etc. ).
Nous pensons que le processus révolutionnaire dans notre pays
se traduira à travers deux étapes distinctes mais complémentaires : l'étape de la guerre révolutionnaire prolongée et
l'étape de l'insurrection.
En ce qui concerne la définition de l’insurrection, il est
sans doute inutile de s'étendre. L'insurrection est l'offensive ultime au cours
de laquelle les forces révolutionnaires, jetées toutes entières dans la
bataille et portées par le soulèvement des masses, renversent le pouvoir de la
bourgeoisie et instaurent la dictature prolétarienne, — tout cela,
inévitablement, par la force des armes.
Toutefois, nous voulons apporter deux précisions à ce sujet.
Primo, l'insurrection revêtira obligatoirement chez nous un caractère aussi
limité dans le temps que radical dans l'effet, tant la configuration du pays
que ses structures sociales, économiques, etc., ne
permettant pas un affrontement militaire ouvert et prolongé, ou une guerre de
position. Secundo, le moment de l'insurrection est prioritairement dicté par
les conditions historiques objectives, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un moment
avant tout produit par les facteurs économiques, politiques, sociaux, de crise
historique, et non décidé ou accessible par la seule volonté des communistes.
Cette précision a une grande importance pour la conception de la guerre
révolutionnaire prolongée : elle en oriente le programme.
D'une façon schématique, nous divisons le programme de la
guerre révolutionnaire prolongée en trois phases.
La phase de la propagande armée. Il s'agit d'une phase à
dimension politico-idéologique quasi exclusive, qui a
pour but de dynamiser la combativité des avant-gardes ouvrières et des vrais
communistes, de leur rendre confiance dans la cause et la pratique
révolutionnaire. De surcroît, cette phase crée les conditions objectives du
progrès de la réflexion théorique et de l'élaboration politique. Cette phase
initiale se développe par la conscientisation et la mobilisation des éléments
prolétariens et communistes dévoués et combatifs, jusqu'à ce qu'émergent des
forces de plus en plus puissantes, actives, réellement représentatives, et
s'unifiant conséquemment jusqu'à fonder l'Organisation Communiste Combattante
susceptible de centraliser, incarner et guider la lutte révolutionnaire de la
classe. Le but principal de l'activité militaire menée au cours de cette étape
stratégique n'est pas la destruction des forces ennemies, mais plutôt la
propagande révolutionnaire au sens large, la dénonciation du réformisme et du
révisionnisme. ( Mais,
tant mieux si propagande et destruction chez l'ennemi se recouvrent ! ).
La phase du harcèlement. Il s'agit d'une phase médiane qui,
tout en poursuivant la propagande armée, construit les conditions de la phase « d'assiègementt »,
à venir. La phase du harcèlement combine les impératifs politiques généraux ( rallier des
couches de plus en plus larges de la classe à la cause révolutionnaire ) à des impératifs plus directement offensifs : assurer peu à peu au mouvement révolutionnaire une
position stratégique offensive dans la perspective de l'insurrection. Au cours
de cette phase, l'action révolutionnaire œuvre à la radicalisation des données
de l'antagonisme des classes, à la déstabilisation du système de domination
bourgeois. Par d'incessantes attaques contre les structures de gestion,
d'exploitation et de contrôle, les forces révolutionnaires imposent la
militarisation du régime, et par-là creusent la fracture entre le corps social
et l'appareil bourgeois.
La phase de « l'assiègement ». Cette
phase est réellement celle qui consacre la guerre révolutionnaire prolongée. En
précipitant la dégradation de l'État bourgeois et en exacerbant les
contradictions du système capitaliste, la guérilla révolutionnaire contribue, à
son échelle, à la maturation des facteurs historiques objectifs de crise, tout
en renforçant sans cesse sa capacité de vaincre lors de l'affrontement
insurrectionnel.
Voilà, très schématiquement présentée, la conception
stratégique révolutionnaire que nous défendons,— et dans
laquelle s'inscrit l’activité des Cellules Communistes Combattantes.
Une dernière indication pour conclure cette fois : sur la question du rôle des classes intermédiaires
dans le processus révolutionnaire, nous rejetons toute perspective d'alliance à
quelque niveau essentiel. Dans notre pays, où la prolétarisation de l'ensemble
du monde du travail est achevée et où la démocratie bourgeoise a été poussée
jusqu'à devenir le plus encombrant garde du corps de l'impérialisme, le clivage
révolution / contre-révolution ne permet plus la moindre altération de la
revendication révolutionnaire prolétarienne.
7.
Que pensez-vous
de la dictature du prolétariat ?
Nous n'en pensons rien de plus que ce qu'elle est : une étape nécessaire, inévitable, progressiste dans
le mouvement de l'histoire vers le communisme. La dictature du prolétariat est
le système politique de l’édification socialiste, la première forme de
démocratie authentique : le vrai pouvoir du peuple.
Refuser ou abandonner le principe de la dictature du
prolétariat revient objectivement à refuser ou abandonner toute l'idée de la
révolution, à fausser toute la vérité de la lutte des classes.
Donc, nous pensons qu'en Belgique comme partout, quand
triomphera l'insurrection, il sera du devoir et de la responsabilité des avant-gardes
dirigeantes d'organiser un régime infaillible de dictature prolétarienne, un
régime qui sache allier en pleine conscience la magnifique générosité du peuple
à sa plus impitoyable fermeté.
Cela dit, plus loin que les principes fondamentaux, se pose
la question du programme concret de la dictature du prolétariat, de
l'organisation de la continuation de la lutte des classes dans la révolution. A
cet égard, nous disposons de quelques exemples historiques dont les plus
importants sont bien sûr la révolution soviétique jusqu'à la victoire des
révisionnistes ( consacrée
au XXe Congrès du PCUS ), et la révolution chinoise jusqu'à la défaite de la
GRPC. Tous les révolutionnaires se doivent d'étudier ces expériences avec le
plus grand soin critique, afin d'en retenir les formidables enseignements — qu'ils
appliqueront en fonction des situations spécifiques auxquelles ils seront
confrontés.
8.
Comment doivent être
réalisées la relation et la solidarité de la lutte révolutionnaire entre les
pays sous-développés et les métropoles ?
Nous pensons que l'internationalisme prolétarien représente
la dimension la plus totalisante de la cause communiste. À l'époque de
l'impérialisme, qui voit les prolétaires et les peuples du monde entier
exploités, opprimés par une même logique de profit capitaliste, par les mêmes
holdings et consortiums monopolisateurs, — et le tout garanti par les mêmes
alliances militaires —, la formule célèbre « Ou
bien il y aura le communisme pour tous, ou bien il n'y aura de communisme pour
personne » est définitivement d'actualité.
La cause du prolétariat et des peuples du monde est unique,
indivisible, et l'internationalisme prolétarien en est la seule perspective. La
solidarité entre les masses de tous les pays, l'unité des forces communistes
par-delà les frontières, sont donc des tâches auxquelles il s'impose d'œuvrer
sans retard ni faiblesse. La fondation d'une nouvelle Internationale
Communiste, de l'Internationale Communiste Combattante, est inscrite parmi les
tâches d'avenir du mouvement révolutionnaire mondial.
Au niveau stratégique, notre conception de l'internationalisme
prolétarien peut être symbolisée par une autre citation bien connue : « Faire la
révolution dans son propre pays, contribuer à ce qu'elle triomphe partout ! »
Qu'est-ce que cela signifie ? Tout
simplement qu'en tant que marxistes nous n'ignorons pas que les conditions
objectives de la révolution prolétarienne, celles qui sont le cadre d'existence
même de la classe prolétarienne, relèvent inévitablement d'un contexte national
— à de multiples et complexes niveaux — et qu'il n'est pas permis d'en faire
abstraction.
Imaginer le développement d'emblée d'un processus
révolutionnaire international ( comme
d'ailleurs la chose est en vogue auprès de certains groupes combattants en
Europe de l'ouest ) ne révèle jamais qu'une méconnaissance
profonde du matérialisme historique et, en premier lieu, des lois mêmes de
l'inégalité des développements, et des mécanismes contradictoires de
l'impérialisme. Donc, nous disons qu'en ce qui concerne l'objectif de la
révolution prolétarienne, les communistes se doivent d'agir à partir de la
situation nationale fixée par le cours historique et aujourd'hui
l'impérialisme, — et dans la meilleure compréhension des caractères spécifiques
de chaque situation. Et cela, bien sûr, dans la claire intelligence qu'ils
s'engagent toujours dans une lutte qui s'achèvera non pas avec la libération
nationale, mais avec la liquidation de l'impérialisme partout dans le monde.
En ce qui concerne les relations qui doivent exister entre
les forces révolutionnaires des différents pays ou régions, nous pensons
qu'elles doivent traduire le plus grand respect réciproque de pair avec la plus
forte solidarité mutuelle. L'information, le débat, l'encouragement et la
critique fraternelle, ( toutes
choses qui n'ont rien à voir avec l'ingérence autoritaire ! ), sont
bien entendu les méthodes saines de la relation politique ; le partage des expériences, des acquis, afin de
valoriser collectivement chaque capacité particulière, l'appui réfléchi, etc., sont indiscutablement les méthodes justes du soutien
et de la solidarité. Plus loin que ces niveaux généraux, de multiples relations
peuvent exister, structurellement ou ponctuellement, entre diverses forces
révolutionnaires à l'échelle internationale ;
mais dans ce cadre nous insistons sur la priorité de deux principes : l'unité politique est primordiale et chaque
mouvement doit toujours — en finalité — ne compter que sur ses propres forces.
9.
Pouvez-vous
décrire le tableau général du monde aujourd’hui ?
Au rythme où surgissent les bouleversements ces derniers
temps, et à la vitesse à laquelle ils évoluent, nous ne nous hasarderons pas
sur le terrain de la description minutieuse ou de la prédiction. Nous
limiterons notre réponse à quelques grands caractères de l'époque.
Nous pensons que la thèse historique des communistes chinois
— les trois contradictions —reflète toujours parfaitement le cadre de l'époque.
Cependant, nous estimons qu'aujourd'hui la contradiction entre le prolétariat
international et la bourgeoisie impérialiste a acquis la primauté sur les deux
autres ; et qu'entre celles-là, la
contradiction entre les peuples dominés et les puissances impérialistes
s'impose à celle qui oppose les divers camps impérialistes.
Pourquoi plaçons-nous en avant la contradiction prolétariat
international / bourgeoisie impérialiste ? Parce que, dans le développement même de l'impérialisme, elle a
maintenant acquis une dimension universelle. Les inégalités croissantes entre
les centres impérialistes, leurs périphéries, les pays dépendants, le tiers-monde,
etc., ne relevant plus du pillage colonialiste au
strict sens économique du terme, mais de la planification impérialiste. Nous
pensons que la contradiction entre les peuples dominés et les nations
impérialistes, même si inévitablement elle mobilise sans cesse d'immenses
masses populaires à travers le monde, a objectivement culminé entre les années
1930/1970, mais qu’aujourd’hui elle n'a plus d'autre issue que dans son
prolongement à travers la contradiction prolétariat international /
bourgeoisie impérialiste.
En ce qui concerne la situation de l'économie, la
réactivation — au début des années 1970 — de la crise générale du mode de
production capitaliste ( crise
déjà activée une première fois dans l'entre-deux-guerres ) a provoqué et continue de provoquer une succession
de crises de suraccumulation dont personne ni rien n'est capable d'enrayer
l'inexorable exacerbation. Derrière les discours lénitifs quand pas triomphalistes
des « managers » bourgeois, la réalité du monde se dégrade comme
jamais auparavant : désordres systématiques des systèmes
monétaires et financiers, déficits vertigineux des budgets des états,
endettement du tiers-monde, inflation / récession, etc. Une crise
inextricable dont les effets socialement négatifs croissent partout, de
l'appauvrissement mesuré, du chômage endémique, etc.,
dans les centres, jusqu' au génocide par la faim et la maladie dans le tiers-monde.
D'une façon générale, les enseignements historiques confirment la théorie à ce
sujet, l'impérialisme ne dispose que d'une solution pour sortir passagèrement
de cette impasse qu'il a construit ( et
pour entreprendre un nouveau cycle d’accumulation qui le mènera à une crise
plus effroyable encore ) :
une guerre destructrice à très grande échelle.
Bien évidemment, ce trop rapide tour d’horizon impose de dire
aussi quelques mots sur les « événements » dans les pays d'Europe de l'est et en Union
Soviétique ( ou
encore en Chine ). Nous assistons depuis peu à « l'effondrement officiel » du révisionnisme, c'est-à-dire à l'aboutissement inévitable du
processus bourgeois consacré par le XXe
Congrès du PCUS, effondrement qui s'inscrit pleinement dans le cadre de la
crise mondiale de l'impérialisme. Car indépendamment des cris de victoire
poussés à Washington ou Tokyo, la razzia impérialiste sur les pays anciennement
dits socialistes ne résoudra rien des problèmes de fond de la crise mondiale, —
et au contraire même ! De surcroît, au niveau politique,
nous pensons que la franchise du gredin Gorbatchev et de sa clique prostituée à
l'impérialisme aura finalement un effet bénéfique pour le prolétariat mondial —
et principalement soviétique : indiquer
l'urgence et la direction d'une nouvelle vague révolutionnaire sur tous les
continents.
Pour conclure ce bref aperçu, nous dirons que nous sommes
maintenant face à un avenir de crise, de guerre, mais plus encore de révolution !
10. Voulez-vous adresser un message au peuple et aux
révolutionnaires de la Turquie ?
Nous saluons respectueusement les peuples travailleurs de Turquie
et du Kurdistan. Nous savons la brutalité de l'oppression et de l'exploitation
impérialistes auxquelles ils sont confrontés quotidiennement, et nous admirons
grandement leurs inlassables et courageuses luttes.
La cause des peuples, des prolétaires, dans le monde, est
unique ; les femmes et les hommes de
Turquie, du Kurdistan, de Belgique ou d'ailleurs ont un même avenir à conquérir : la justice sociale, la liberté, la paix, la
fraternité, en un mot, le communisme.
Pour notre part, nous nous engageons à toujours faire vivre
l'internationalisme prolétarien comme principe supérieur du combat
révolutionnaire dans notre pays, et nous voulons répéter devant les masses de
Turquie et du Kurdistan une déclaration que nous avons faite à l'occasion du
procès contre notre organisation :
« Tant qu'un seul homme, une seule
femme, un seul enfant sur la terre sera exploité, opprimé ou humilié, il sera
juste de se battre, il sera défendu d'abandonner les armes … »
C'est cela le sens de notre engagement « Servir le peuple ! ».
A vous Camarades de Turquie et du Kurdistan, frères et sœurs
dans le magnifique combat communiste, nous disons toute notre estime, notre
solidarité et notre affection. Nous savons les conditions terribles de
l'affrontement que vous honorez, et soyez convaincus que vous marchez vers la
victoire, — aussi parce que votre exemple rayonne puissamment au-delà des
frontières.
Construisons les outils de notre cause commune ! Apprenons les uns des autres, portons-nous la
critique fraternelle, unissons toutes nos forces contre l’impérialisme, voilà
les justes mots d'ordre de l’internationalisme.
Aujourd'hui, la soldatesque belge — intégrée à l'OTAN — est
à l'œuvre en Turquie, dans le cadre des manœuvres bellicistes au Moyen-Orient.
Combien grande est la misère d'un peuple qui tolère pareille infamie de ses
dirigeants ! Et quelle honte pour les
progressistes et révolutionnaires de ce pays qui ont été incapables d'organiser
une riposte à la hauteur du crime !
Mais la clé de l’histoire n'est pas un constat ou des regrets, elle est travail
pour transformer la réalité : elle est
combat.
Notre vie est à celui-là, au combat
communiste, et nous n'aurons de cesse d'œuvrer à désarmer pour toujours la
bourgeoisie et les impérialistes de notre pays, et partout sur la Terre.
VIVE L'INTERNATIONALISME PROLETARIEN !
VIVE LA LUTTE DES PEUPLES DE TURQUIE
ET DU KURDISTAN !
HOMMAGE AUX MARTYRS DE LA CAUSE
REVOLUTIONNAIRE !
POUR LE COMMUNISME !
Didier Chevolet, Bertrand Sassoye,
Pascale Vandegeerde, Pierre Carette
Décembre 1990