Introduction

Dans le courant de l'année 1990, Correspondances Révolutionnaires a établi un contact régulier avec des militants de la Ligue de Propagande Armée Marxiste-Léniniste emprisonnés en Turquie.

Parmi les premiers documents politiques échangés, deux questionnaires. Un que nous avons soumis aux camarades turcs, un autre qu'eux-mêmes ont adressé aux quatre militants des Cellules Communistes Combattantes prisonniers en Belgique.

C'est ce dernier que nous publions ici. Des questions simples, des réponses claires, l'amorce d'une rencontre entre révolutionnaires communistes, par-delà les frontières et les murs des geôles.

Et pourquoi pas aussi un premier pas de rencontre entre communistes ici ? C'est dans tel espoir que nous avons décidé de cette édition et que nous la diffusons largement.

Oui mais, et la contribution des militants de la Ligue de Propagande Armée Marxiste-Léniniste, où reste-t-elle ? Nous l'avons retenue pour le numéro spécial de la revue, à paraître cet automne. Un numéro qui sera consacré à d'importants documents du mouvement révolutionnaire turc.

À cet égard, nous lançons un appel pressant à ceux et celles qui pourraient directement nous aider, principalement dans le travail de traduction, mais peut-être aussi par leur connaissance de la situation là-bas. etc., nous en avons fortement besoin. Nous les remercions d'avance.

Premier Mai 1991

Le collectif de Correspondances Révolutionnaires

Collectif des prisonnièr(e)s des
Cellules Communistes Combattantes

Interview à la Ligue de Propagande Armée Marxiste-Léniniste  ( Turquie )
décembre 1990

1.         En quelle année et dans quelles conditions fut créée votre organisation ? À quelle nécessité répondait cette création ?

Les Cellules Communistes Combattantes sont apparues publiquement le 2 octobre 1984. A cette date, elles ouvraient la « Première campagne anti-impérialiste d'Octobre » par un attentat contre la multinationale US Litton Industrial. Au cours de cette campagne, des centres économiques, politiques et militaires de l’impérialisme furent successivement attaqués. La Première campagne anti-impérialiste d'Octobre visait à l'émergence d'une orientation révolutionnaire au sein d'une contradiction opposant l'ensemble de la population à l'impérialisme : la guerre impérialiste. A l'époque, un fort mouvement populaire était mobilisé dans notre pays ( comme en RFA, aux Pays-Bas, etc. ) contre l'implantation des missiles atomiques de l'OTAN sur le théâtre européen. Par la campagne, les Cellules resituaient le problème dans son juste cadre : la guerre est indissociable du capitalisme, le refus de l'une impose le rejet de l'autre. La campagne s'est achevée le 15 janvier 1985 par la destruction d'un centre de l'armée américaine près de Bruxelles.

Le 1er mai 1985, les Cellules Communistes Combattantes ont attaqué et détruit le quartier général du patronat belge, la Fédération des Entreprises de Belgique. À l'occasion de cette action, l'organisation a publié un de ses principaux documents politico-stratégiques : « À propos de la lutte armée ». Le 6 mai, les Cellules attaquaient un centre de la gendarmerie, celle-ci s'étant rendue responsable de la mort de deux pompiers lors de la destruction du bâtiment de la FEB.

Le 8 octobre 1985, les Cellules Communistes Combattantes ouvraient la « Campagne Karl Marx » par un attentat contre une des premières sociétés de distribution d'énergie dans le pays, Intercom. D'autres actions suivirent, toujours orientées contre des centres de pouvoir et d'exploitation capitalistes. La Campagne Karl Marx posait la question de la lutte prolétarienne contre « l'austérité » ( les mesures gouvernementales d'appauvrissement social ) et de la nécessité de l'organisation révolutionnaire de classe. Cette campagne ne fut pas achevée.

Du 19 octobre au 6 décembre 1985, les Cellules Communistes Combattantes menaient la « Campagne Pierre Akkerman — Combattre le militarisme bourgeois et le pacifisme petit-bourgeois » ( Pierre Akkerman était un communiste belge, volontaire dans les Brigades Internationales en Espagne, mort au combat le 1er janvier 1937 ). Cette campagne, située dans la continuité politique de la Première campagne anti-impérialiste d'Octobre, s'est dirigée contre des objectifs économiques et militaires de l'impérialisme et — de façon symbolique — contre la tendance bourgeoise au sein du mouvement anti-guerre. La campagne fut clôturée par une action internationale, un double attentat contre les installations du CEPS ( le système oléoducs de l'OTAN ) à Versailles en France et Peteghem en Belgique ; cette action fut revendiquée avec un groupe de révolutionnaires internationalistes en France.

Quatre militants et militante de l'organisation, ( c'est-à-dire nous-mêmes : Didier Chevolet, Pierre Carette, Bertrand Sassoye et Pascale Vandegeerde ), étaient arrêtés le 16 décembre 1985. Dans les semaines et les mois qui suivirent, de nombreuses bases de l'organisation tombèrent aussi aux mains de la police. Depuis lors, les Cellules Communistes Combattantes ne se sont plus manifestées, ni au niveau de l’activité politico-militaire ni même au niveau de la simple expression politique. La représentation de la mémoire et de la ligne d'organisation n'est actuellement assumée publiquement que par les prisonniers.

Que l'on nous permette à ce propos de présenter brièvement notre propre situation dans la prison depuis cinq années.

Dès les arrestations, nous avons été placés dans des conditions d'isolement carcéral total. En mai 1986, nous avons ouvert une première grève de la faim collective pour la revendication de conditions élémentaires d’existence et de travail politique. Après quarante-trois jours de lutte, le ministère s'engageait dans ce sens ... et trahissait tout de suite sa parole : l'isolement total continuait. En septembre 1988, nous ouvrions la seconde grève de la faim, pour les mêmes revendications minimales. Parallèlement se tenait un procès-spectacle où, au mépris le plus entier des prétentions juridico-démocratiques du régime, nous étions tous les quatre condamnés à la prison à vie. Pour notre part, au cours des audiences, nous avons mis en procès le capitalisme, la bourgeoisie et son État, et nous avons affirmé notre attachement indéfectible à la cause révolutionnaire du prolétariat, au Marxisme-Léninisme et à la lutte des Cellules Communistes Combattantes.

Aujourd'hui, nous sommes dispersés dans des prisons à travers le pays. Suite à la lutte de 1988, nos conditions de captivité ont été, dans la forme, plus ou moins normalisées, et surtout nous avons gagné le droit à des visites et à la correspondance « libre » entre nous.

En ce qui concerne la seconde partie de la question, nous répondons que les Cellules Communistes Combattantes sont une expression de la dynamique révolutionnaire historique, et qu'elles correspondent aux conditions objectives de cette dynamique dans notre pays. Mais, évidemment, cela est insuffisant ; nous compléterons notre réponse en face de questions plus précises que vous posez par la suite.

2.         Votre organisation est-elle un parti ? Quels en sont les principes organisationnels ?

Les Cellules Communistes Combattantes ne sont pas le Parti, ni même l'Organisation révolutionnaire de classe. Mais nous voulons immédiatement préciser cette phrase : si les Cellules ne sont ni l'Organisation, ni le Parti Communiste, cela traduit plus notre attachement à ces instruments qu'un rejet à leur égard. Nous pensons que l'Organisation, puis le Parti, sont des instruments nécessaires de la lutte prolétarienne révolutionnaire, et surtout qu'ils correspondent à des étapes objectives dans le progrès de cette lutte et non à des déclarations subjectives de la part d'une poignée de militants — aussi volontaires et dans la bonne voie soient-ils.

Dans le communiqué de l'action du 15 janvier 1985, contre une base yankee, les Cellules Communistes Combattantes écrivaient :

« La politique révolutionnaire a pour première phase le travail d'élaboration théorique et de propagande politique. Et cette démarche incontournable se réalise de pair avec l'organisation concrète des éléments d'avant-garde dans la pratique offensive. C'est ainsi qu'a surgi notre première offensive en tant que forces constituées. Voilà un point sur lequel nous voulons insister : l'étape de la propagande armée à travers laquelle les Cellules Communistes Combattantes sont à l'avant-garde de la lutte révolutionnaire n'est certainement pas une fin en soi ! Mais plutôt un vecteur qui dans la radicalisation des antagonismes de classe conduira aux développements objectifs des forces et de la politique prolétariennes et, par-là même, aux conditions de l'émergence de l'Organisation Combattante des Prolétaires. Et de ses forces quantitativement et qualitativement nouvelles, l'Organisation se battra pour que naisse le Parti Communiste  »

Donc, Cellules, parce que cela correspondait à la réalité de nos forces en 1984/1985 ; mais des « Cellules pour la construction de l'Organisation Combattante Prolétaires », finalement pour le Parti. A ce niveau, nous sommes donc aussi soucieux que respectueux des enseignements léninistes.

Ce souci et ce respect étaient pleinement présents dans le fonctionnement interne des Cellules. Si même la confidentialité de nos rangs en 1984/1985 n'exigeait pas encore la structuration d'un véritable appareil organisationnel de type bolchevique, il n'empêche que nous appliquions alors déjà dans notre processus collectif les principes communistes d'organisation, nous anticipions l'agir partitiste ( centralisme démocratique, hiérarchie de la compétence et du mérite, discipline et responsabilisation, etc. )

3.         Pourquoi avez-vous choisi la voie clandestine ? Que pensez-vous de la lutte et des organisations légales ?

Les orientations organisationnelles et stratégiques de la lutte révolutionnaire relèvent d'obligations historiques objectives ; on ne peut donc pas vraiment parler de choix à leur propos.

Est-il permis d'imaginer un Parti Communiste, œuvrant réellement à la révolution — c'est-à-dire en finalité au renversement du pouvoir bourgeois par la violence — qui ait une existence reconnue, ou ne fût-ce même que tolérée par ce pouvoir bourgeois ? Le bon sens élémentaire et l'expérience du Mouvement Communiste International apportent une réponse indiscutable à cette question : non. La clandestinisation du Parti est déjà une simple priorité d'autodéfense pour tout Parti révolutionnaire authentique.

La lutte armée est-elle une nécessité stratégique et tactique du combat pour la révolution ? À notre point de vue : oui ( nous développerons quelque peu cette affirmation en répondant à la sixième question ). Peut-on croire un seul instant qu'un pouvoir en place ne criminalise pas automatiquement ceux qui s'attaquent à son monopole de la force armée — sur laquelle, jusqu'à nouvel ordre, repose tout pouvoir ? Bien évidemment : non.

Donc la clandestinité est inévitable pour ceux-là.

Nous disons ainsi que la clandestinité n'est pas un choix fait pour lui-même, mais la conséquence des choix révolutionnaires. D'ailleurs, c'est dans cet esprit que les Cellules Communistes Combattantes écrivaient en 1985 :

« … il faut expliquer ce que nous entendons par clandestinisation. Il s'agit d'une clandestinité de masse au sein des masses. Il s'agit de la clandestinisation de l'activité révolutionnaire et non des militants révolutionnaires. Les militants doivent rester au sein du monde du travail, de l'univers social du prolétariat, mais doivent couvrir — avec anticipation — leurs activités militantes au sein de l'Organisation d'une discrétion imposée par le degré de répression que la bourgeoisie engage contre le degré de développement révolutionnaire. La répression menée par les mercenaires de la bourgeoisie est inévitable quand l'Organisation prolétarienne développe une politique vraiment révolutionnaire, c'est-à-dire s'organisant en fonction de la destruction de l'État bourgeois  »

Donc, pour achever notre réponse, nous pouvons dire que nous ne rejetons en rien l'activité légale, publique … tant qu'elle sert les intérêts du progrès révolutionnaire. Par exemple, dans notre pays où les droits démocratiques bourgeois sont en vigueur, comme celui de la liberté d'expression, eh bien nous pensons qu'il serait absurde de ne pas l'exploiter afin que circulent largement le discours et la propagande révolutionnaires ! Ce qui s'impose simplement, c'est de comprendre la précarité des droits démocratiques bourgeois, et d’anticiper leur disparition face au progrès révolutionnaire, c'est tout.

4.         Comment définissez-vous la structure socio-économique de votre pays ?

La Belgique est un petit pays inscrit au cœur de l'organisation impérialiste. Mais dans ce cadre, en tant que lui-même, c'est surtout un pays d'arrière-plan, disons plutôt : dépossédé de toute autonomie ou même indépendance réelle. D'une façon générale, l'histoire du pays au cours du siècle n'est d'ailleurs qu'un lent mais inexorable déclin national au profit de l'organisation impérialiste et ses nations dominantes.

Mise en coupe réglée dans le cadre du plan Marshall après la Seconde Guerre mondiale, l'économie de la Belgique jouira conséquemment de l'essor de la période 1955/1970 ... pour ensuite être frappée de plein fouet dès la réactivation de la crise et le premier « choc pétrolier ». Depuis lors, la situation n'a cessé de se dégrader au fil des courts cycles récession / relance qui rythment dans les centres le mouvement d'ensemble de la crise mondiale de l'impérialisme, et cela malgré l'application de nombreux plans de redressement ... dont le monde du travail est le seul à supporter le prix.

Pour citer quelques données, la réalité économico-sociale en Belgique aujourd'hui c'est : un chômage endémique de 15 %, une perte moyenne de 15 % du pouvoir d'achat en 10 ans ... et le quasi quadruplement de la dette d'État dans le même temps ( actuellement : sept mille milliards de FB ), l'endettement catastrophique de toutes les régions, villes, etc., des coupes sombres dans tous les budgets sociaux, de l'enseignement à la santé, etc.  Bref, une faillite généralisée et sans la moindre perspective de solution.

Au niveau de la composition de classe, la crise renforce une tendance caractéristique de l'impérialisme dans ses centres : la réduction de l'emploi productif et l'expansion du secteur non productif ( dit : des services ). Ce qui entraîne dans un même mouvement la réduction de la classe ouvrière et un élargissement du prolétariat. Le développement impérialiste creuse donc la fracture sociale, rejetant aussi dans le prolétariat une part toujours plus grande de l'ancienne petite bourgeoisie. En ce qui concerne le secteur agricole, il n'occupe plus que 3 % de la population active et, à sa façon, connaît aussi une prolétarisation par son encadrement professionnel et économique.

Sur le terrain de la lutte des classes, le maître mot reste le réformisme syndical ou politique ... même si depuis longtemps il n'est plus que synonyme d'échecs et d'impuissance pour le monde du travail.

Dans notre pays, le taux de syndicalisation est fort élevé ( par exemple, jusqu'il y a peu, 80 % de la classe ouvrière ), mais si cela a permis dans le passé — c'est-à-dire dans les périodes de croissance capitaliste — d'indéniables pas en avant dans le domaine social, cela se révèle aujourd'hui le meilleur instrument de la bourgeoisie pour imposer autant de pas en arrière. Et ceci, tant du fait que l'encadrement syndical ( allié direct des sociaux-démocrates et des sociaux-chrétiens ) tient fermement le mouvement social par la bride, que du fait que ce même mouvement ne dispose d'aucune véritable expérience ni tradition de lutte en dehors de lui.

Au niveau de la politique parlementaire, la bourgeoisie occupe l'entièreté de la scène à travers trois grandes familles : les sociaux-chrétiens ( « démocrates-chrétiens » ), les sociaux-démocrates et les libéraux. Et toute l'histoire parlementaire et gouvernementale de la Belgique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale n'est rien d'autre qu'une succession sans cesse recommencée de ces gredins, chacun prétendument plus attaché que ses complices au bonheur du peuple et au paradis démocratique … c'est-à-dire bizarrement à l'intérêt des banques, des holdings et des transnationales de l'impérialisme, — sans oublier l'avantage de l'OTAN.

5.         Quel est votre but ? A quelle étape de la révolution êtes-vous maintenant ?

L'objectif essentiel de la lutte des Cellules Communistes Combattantes est la révolution prolétarienne. Qu'entendons-nous par révolution prolétarienne ? La prise du pouvoir d'État et l'instauration de la dictature du prolétariat, la construction du socialisme. Ces objectifs, comme étape et période de transition vers le communisme — société sans classe et sans État, requièrent la conjonction de multiples facteurs objectifs et subjectifs historiques. Globalement, ces derniers sont l'affirmation de la conscience de classe pour soi parmi les secteurs avancés du prolétariat, et sa traduction dans l'action d'un puissant Parti d'avant-garde capable d'élever et diriger la lutte des grandes masses laborieuses.

Cellules, Organisation d'avant-garde, Parti Communiste … Voilà les formes organisationnelles qui se succèdent dans le processus révolutionnaire, et qui reflètent l'état objectif de maturité des forces révolutionnaires et de la conscience de classe prolétarien­ne dans une société.

Dans notre pays, il n'existe aucune organisation, aucun Parti Communiste digne de ce nom. Comme dans beaucoup de pays européens, le mouvement ouvrier socialiste a connu dans les années 1920 une scission dont est né un parti communiste affilié à la IIIe Internationale ... et qui, à sa façon ( fameuse ! ), a naturellement connu les mêmes déviations, trahisons et échecs que ses pairs. Aujourd'hui ce parti révisionniste n'existe quasiment plus, et encore moins sur le terrain politique. Les années 1965/1970 ont vu l'apparition de quelques groupuscules gauchistes, maoïstes, etc., fort excités en paroles mais plus encore réformistes petits-bourgeois dans les programmes et les stratégies ; de tout ce feu de paille, il ne reste rien, si ce n'est une ultime petite secte opportuniste et populiste à tendances social-fascistes.

Bref, une vacuité politico-organisationnelle totale et un héritage de pourriture particulièrement puant. Une vacuité d'autant plus entière qu'elle perdure sans discontinuité depuis bientôt un demi-siècle. Ce qui nous fait dire que ici tout est à construire, à créer. Alors, la réponse précise à la question, c'est qu'en Belgique nous sommes au ni veau zéro de la révolution, nous n'en sommes qu'au moment où des camarades surgissent, se cherchent, font leurs premiers pas sur un chemin qu'il faut tracer envers et contre tout l'enca­drement et la tradition réformistes et révisionnistes dominants. En Belgique, la question révolutionnaire se pose encore au niveau de sa propre affirmation, revendication, et cela au travers des toutes premières — hésitantes et fragiles — manifestations de propagande armée.

6.         Que pensez-vous sur les méthodes de lutte ? Quelle est votre méthode principale ? Quel est l’objectif de la lutte armée ?

Comme nous le disions déjà en répondant à la troisième question, nous pensons que le choix des méthodes de lutte n'est pas une affaire subjective mais la conclusion de l'analyse scientifique des conditions générales et particulières de chaque situation propre — et bien sûr pour l'indéfectible finalité de la révolution prolétarienne. La question des méthodes de lutte se pose donc pour nous à partir de la réalité générale d'un pays impérialiste, de la crise économique mondiale, d'une démocratie bourgeoise achevée, etc., et de la réalité particulière de la Belgique, de son contexte économico-social, de son histoire sur le terrain de la lutte des classes, de l'absence de traditions et d'activités révolutionnaires, etc.

C'est dans ce cadre complet que nous devons décider de l'orientation et des choix des méthodes de lutte révolutionnaire. Et c'est dans ce cadre que nous fixons la lutte armée comme élément stratégique central et non différable. Nous reconnaissons la justesse historique générale des principes essentiels de la guerre populaire, tels que Mao Tsé-toung les a définis, et nous les appliquons à la réalité et aux spécificités de notre cadre de lutte ( un pays dominant dans la chaîne impérialiste, à caractère global urbain / industriel, ce qui rend notamment impossible une guérilla rurale, des « zones libérées », etc. ).

Nous pensons que le processus révolutionnaire dans notre pays se traduira à travers deux étapes distinctes mais complémentaires : l'étape de la guerre révolutionnaire prolongée et l'étape de l'insurrection.

En ce qui concerne la définition de l’insurrection, il est sans doute inutile de s'étendre. L'insurrection est l'offensive ultime au cours de laquelle les forces révolutionnaires, jetées toutes entières dans la bataille et portées par le soulèvement des masses, renversent le pouvoir de la bourgeoisie et instaurent la dictature prolétarienne, — tout cela, inévitablement, par la force des armes.

Toutefois, nous voulons apporter deux précisions à ce sujet. Primo, l'insurrection revêtira obligatoirement chez nous un caractère aussi limité dans le temps que radical dans l'effet, tant la configuration du pays que ses structures sociales, économiques, etc., ne permettant pas un affrontement militaire ouvert et prolongé, ou une guerre de position. Secundo, le moment de l'insurrection est prioritairement dicté par les conditions historiques objectives, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un moment avant tout produit par les facteurs économiques, politiques, sociaux, de crise historique, et non décidé ou accessible par la seule volonté des communistes. Cette précision a une grande importance pour la conception de la guerre révolutionnaire prolongée : elle en oriente le programme.

D'une façon schématique, nous divisons le programme de la guerre révolutionnaire prolongée en trois phases.

La phase de la propagande armée. Il s'agit d'une phase à dimension politico-idéologique quasi exclusive, qui a pour but de dynamiser la combativité des avant-gardes ouvrières et des vrais communistes, de leur rendre confiance dans la cause et la pratique révolutionnaire. De surcroît, cette phase crée les conditions objectives du progrès de la réflexion théorique et de l'élaboration politique. Cette phase initiale se développe par la conscientisation et la mobilisation des éléments prolétariens et communistes dévoués et combatifs, jusqu'à ce qu'émergent des forces de plus en plus puissantes, actives, réellement représentatives, et s'unifiant conséquemment jusqu'à fonder l'Organisation Communiste Combattante susceptible de centraliser, incarner et guider la lutte révolutionnaire de la classe. Le but principal de l'activité militaire menée au cours de cette étape stratégique n'est pas la destruction des forces ennemies, mais plutôt la propagande révolutionnaire au sens large, la dénonciation du réformisme et du révisionnisme. ( Mais, tant mieux si propagande et destruction chez l'ennemi se recouvrent ! ).

La phase du harcèlement. Il s'agit d'une phase médiane qui, tout en poursuivant la propagande armée, construit les conditions de la phase « d'assiègementt », à venir. La phase du harcèlement combine les impératifs politiques généraux ( rallier des couches de plus en plus larges de la classe à la cause révolutionnaire ) à des impératifs plus directement offensifs : assurer peu à peu au mouvement révolutionnaire une position stratégique offensive dans la perspective de l'insurrection. Au cours de cette phase, l'action révolutionnaire œuvre à la radicalisation des données de l'antagonisme des classes, à la déstabilisation du système de domination bourgeois. Par d'incessantes attaques contre les structures de gestion, d'exploitation et de contrôle, les forces révolutionnaires imposent la militarisation du régime, et par-là creusent la fracture entre le corps social et l'appareil bourgeois.

La phase de « l'assiègement ». Cette phase est réellement celle qui consacre la guerre révolutionnaire prolongée. En précipitant la dégradation de l'État bourgeois et en exacerbant les contradictions du système capitaliste, la guérilla révolutionnaire contribue, à son échelle, à la maturation des facteurs historiques objectifs de crise, tout en renforçant sans cesse sa capacité de vaincre lors de l'affrontement insurrectionnel.

Voilà, très schématiquement présentée, la conception stratégique révolutionnaire que nous défendons,— et dans laquelle s'inscrit l’activité des Cellules Communistes Combattantes.

Une dernière indication pour conclure cette fois : sur la question du rôle des classes intermédiaires dans le processus révolutionnaire, nous rejetons toute perspective d'alliance à quelque niveau essentiel. Dans notre pays, où la prolétarisation de l'ensemble du monde du travail est achevée et où la démocratie bourgeoise a été poussée jusqu'à devenir le plus encombrant garde du corps de l'impérialisme, le clivage révolution / contre-révolution ne permet plus la moindre altération de la revendication révolutionnaire prolétarienne.

7.         Que pensez-vous de la dictature du prolétariat ?

Nous n'en pensons rien de plus que ce qu'elle est : une étape nécessaire, inévitable, progressiste dans le mouvement de l'histoire vers le communisme. La dictature du prolétariat est le système politique de l’édification socialiste, la première forme de démocratie authentique : le vrai pouvoir du peuple.

Refuser ou abandonner le principe de la dictature du prolétariat revient objectivement à refuser ou abandonner toute l'idée de la révolution, à fausser toute la vérité de la lutte des classes.

Donc, nous pensons qu'en Belgique comme partout, quand triomphera l'insurrection, il sera du devoir et de la responsabilité des avant-gardes dirigeantes d'organiser un régime infaillible de dictature prolétarienne, un régime qui sache allier en pleine conscience la magnifique générosité du peuple à sa plus impitoyable fermeté.

Cela dit, plus loin que les principes fondamentaux, se pose la question du programme concret de la dictature du prolétariat, de l'organisation de la continuation de la lutte des classes dans la révolution. A cet égard, nous disposons de quelques exemples historiques dont les plus importants sont bien sûr la révolution soviétique jusqu'à la victoire des révisionnistes ( consacrée au XXe Congrès du PCUS ), et la révolution chinoise jusqu'à la défaite de la GRPC. Tous les révolutionnaires se doivent d'étudier ces expériences avec le plus grand soin critique, afin d'en retenir les formidables enseignements — qu'ils appliqueront en fonction des situations spécifiques auxquelles ils seront confrontés.

8.         Comment doivent être réalisées la relation et la solidarité de la lutte révolutionnaire entre les pays sous-développés et les métropoles ?

Nous pensons que l'internationalisme prolétarien représente la dimension la plus totalisante de la cause communiste. À l'époque de l'impérialisme, qui voit les prolétaires et les peuples du monde entier exploités, opprimés par une même logique de profit capitaliste, par les mêmes holdings et consortiums monopolisateurs, — et le tout garanti par les mêmes alliances militaires —, la formule célèbre « Ou bien il y aura le communisme pour tous, ou bien il n'y aura de communisme pour personne » est définitivement d'actualité.

La cause du prolétariat et des peuples du monde est unique, indivisible, et l'internationalisme prolétarien en est la seule perspective. La solidarité entre les masses de tous les pays, l'unité des forces communistes par-delà les frontières, sont donc des tâches auxquelles il s'impose d'œuvrer sans retard ni faiblesse. La fondation d'une nouvelle Internationale Communiste, de l'Internationale Communiste Combattante, est inscrite parmi les tâches d'avenir du mouvement révolutionnaire mondial.

Au niveau stratégique, notre conception de l'internationalisme prolétarien peut être symbolisée par une autre citation bien connue : « Faire la révolution dans son propre pays, contribuer à ce qu'elle triomphe partout ! » Qu'est-ce que cela signifie ? Tout simplement qu'en tant que marxistes nous n'ignorons pas que les conditions objectives de la révolution prolétarienne, celles qui sont le cadre d'existence même de la classe prolétarienne, relèvent inévitablement d'un contexte national — à de multiples et complexes niveaux — et qu'il n'est pas permis d'en faire abstraction.

Imaginer le développement d'emblée d'un processus révolutionnaire international ( comme d'ailleurs la chose est en vogue auprès de certains groupes combattants en Europe de l'ouest ) ne révèle jamais qu'une méconnaissance profonde du matérialisme historique et, en premier lieu, des lois mêmes de l'inégalité des développements, et des mécanismes contradictoires de l'impérialisme. Donc, nous disons qu'en ce qui concerne l'objectif de la révolution prolétarienne, les communistes se doivent d'agir à partir de la situation nationale fixée par le cours historique et aujourd'hui l'impérialisme, — et dans la meilleure compréhension des caractères spécifiques de chaque situation. Et cela, bien sûr, dans la claire intelligence qu'ils s'engagent toujours dans une lutte qui s'achèvera non pas avec la libération nationale, mais avec la liquidation de l'impérialisme partout dans le monde.

En ce qui concerne les relations qui doivent exister entre les forces révolutionnaires des différents pays ou régions, nous pensons qu'elles doivent traduire le plus grand respect réciproque de pair avec la plus forte solidarité mutuelle. L'information, le débat, l'encouragement et la critique fraternelle, ( toutes choses qui n'ont rien à voir avec l'ingérence autoritaire ! ), sont bien entendu les méthodes saines de la relation politique ; le partage des expériences, des acquis, afin de valoriser collectivement chaque capacité particulière, l'appui réfléchi, etc., sont indiscutablement les méthodes justes du soutien et de la solidarité. Plus loin que ces niveaux généraux, de multiples relations peuvent exister, structurellement ou ponctuellement, entre diverses forces révolutionnaires à l'échelle internationale ; mais dans ce cadre nous insistons sur la priorité de deux principes : l'unité politique est primordiale et chaque mouvement doit toujours — en finalité — ne compter que sur ses propres forces.

9.         Pouvez-vous décrire le tableau général du monde aujourd’hui ?

Au rythme où surgissent les bouleversements ces derniers temps, et à la vitesse à laquelle ils évoluent, nous ne nous hasarderons pas sur le terrain de la description minutieuse ou de la prédiction. Nous limiterons notre réponse à quelques grands caractères de l'époque.

Nous pensons que la thèse historique des communistes chinois — les trois contradictions —reflète toujours parfaitement le cadre de l'époque. Cependant, nous estimons qu'aujourd'hui la contradiction entre le prolétariat international et la bourgeoisie impérialiste a acquis la primauté sur les deux autres ; et qu'entre celles-là, la contradiction entre les peuples dominés et les puissances impérialistes s'impose à celle qui oppose les divers camps impérialistes.

Pourquoi plaçons-nous en avant la contradiction prolétariat international / bourgeoisie impérialiste ? Parce que, dans le développement même de l'impérialisme, elle a maintenant acquis une dimension universelle. Les inégalités croissantes entre les centres impérialistes, leurs périphéries, les pays dépendants, le tiers-monde, etc., ne relevant plus du pillage colonialiste au strict sens économique du terme, mais de la planification impérialiste. Nous pensons que la contradiction entre les peuples dominés et les nations impérialistes, même si inévitablement elle mobilise sans cesse d'immenses masses populaires à travers le monde, a objectivement culminé entre les années 1930/1970, mais qu’aujourd’hui elle n'a plus d'autre issue que dans son prolongement à travers la contradiction prolétariat international / bourgeoisie impérialiste.

En ce qui concerne la situation de l'économie, la réactivation — au début des années 1970 — de la crise générale du mode de production capitaliste ( crise déjà activée une première fois dans l'entre-deux-guerres ) a provoqué et continue de provoquer une succession de crises de suraccumulation dont personne ni rien n'est capable d'enrayer l'inexorable exacerbation. Derrière les discours lénitifs quand pas triomphalistes des « managers » bourgeois, la réalité du monde se dégrade comme jamais auparavant : désordres systématiques des systèmes monétaires et financiers, déficits vertigineux des budgets des états, endettement du tiers-monde, inflation / récession, etc.  Une crise inextricable dont les effets socialement négatifs croissent partout, de l'appauvrissement mesuré, du chômage endémique, etc., dans les centres, jusqu' au génocide par la faim et la maladie dans le tiers-monde. D'une façon générale, les enseignements historiques confirment la théorie à ce sujet, l'impérialisme ne dispose que d'une solution pour sortir passagèrement de cette impasse qu'il a construit ( et pour entreprendre un nouveau cycle d’accumulation qui le mènera à une crise plus effroyable encore ) : une guerre destructrice à très grande échelle.

Bien évidemment, ce trop rapide tour d’horizon impose de dire aussi quelques mots sur les « événements » dans les pays d'Europe de l'est et en Union Soviétique ( ou encore en Chine ). Nous assistons depuis peu à « l'effondrement officiel » du révisionnisme, c'est-à-dire à l'aboutissement inévitable du processus bourgeois consacré par le XXe Congrès du PCUS, effondrement qui s'inscrit pleinement dans le cadre de la crise mondiale de l'impérialisme. Car indépendamment des cris de victoire poussés à Washington ou Tokyo, la razzia impérialiste sur les pays anciennement dits socialistes ne résoudra rien des problèmes de fond de la crise mondiale, — et au contraire même ! De surcroît, au niveau politique, nous pensons que la franchise du gredin Gorbatchev et de sa clique prostituée à l'impérialisme aura finalement un effet bénéfique pour le prolétariat mondial — et principalement soviétique : indiquer l'urgence et la direction d'une nouvelle vague révolutionnaire sur tous les continents.

Pour conclure ce bref aperçu, nous dirons que nous sommes maintenant face à un avenir de crise, de guerre, mais plus encore de révolution !

10.    Voulez-vous adresser un message au peuple et aux révolutionnaires de la Turquie ?

Nous saluons respectueusement les peuples travailleurs de Turquie et du Kurdistan. Nous savons la brutalité de l'oppression et de l'exploitation impérialistes auxquelles ils sont confrontés quotidiennement, et nous admirons grandement leurs inlassables et courageuses luttes.

La cause des peuples, des prolétaires, dans le monde, est unique ; les femmes et les hommes de Turquie, du Kurdistan, de Belgique ou d'ailleurs ont un même avenir à conquérir : la justice sociale, la liberté, la paix, la fraternité, en un mot, le communisme.

Pour notre part, nous nous engageons à toujours faire vivre l'internationalisme prolétarien comme principe supérieur du combat révolutionnaire dans notre pays, et nous voulons répéter devant les masses de Turquie et du Kurdistan une déclaration que nous avons faite à l'occasion du procès contre notre organisation :

« Tant qu'un seul homme, une seule femme, un seul enfant sur la terre sera exploité, opprimé ou humilié, il sera juste de se battre, il sera défendu d'abandonner les armes  »

C'est cela le sens de notre engagement « Servir le peuple ! ».

A vous Camarades de Turquie et du Kurdistan, frères et sœurs dans le magnifique combat communiste, nous disons toute notre estime, notre solidarité et notre affection. Nous savons les conditions terribles de l'affrontement que vous honorez, et soyez convaincus que vous marchez vers la victoire, — aussi parce que votre exemple rayonne puissamment au-delà des frontières.

Construisons les outils de notre cause commune ! Apprenons les uns des autres, portons-nous la critique fraternelle, unissons toutes nos forces contre l’impérialisme, voilà les justes mots d'ordre de l’internationalisme.

Aujourd'hui, la soldatesque belge — intégrée à l'OTAN — est à l'œuvre en Turquie, dans le cadre des manœuvres bellicistes au Moyen-Orient. Combien grande est la misère d'un peuple qui tolère pareille infamie de ses dirigeants ! Et quelle honte pour les progressistes et révolutionnaires de ce pays qui ont été incapables d'organiser une riposte à la hauteur du crime ! Mais la clé de l’histoire n'est pas un constat ou des regrets, elle est travail pour transformer la réalité : elle est combat.

Notre vie est à celui-là, au combat communiste, et nous n'aurons de cesse d'œuvrer à désarmer pour toujours la bourgeoisie et les impérialistes de notre pays, et partout sur la Terre.

VIVE L'INTERNATIONALISME PROLETARIEN !

VIVE LA LUTTE DES PEUPLES DE TURQUIE ET DU KURDISTAN !

HOMMAGE AUX MARTYRS DE LA CAUSE REVOLUTIONNAIRE !

POUR LE COMMUNISME !

Didier Chevolet, Bertrand Sassoye, Pascale Vandegeerde, Pierre Carette

Décembre 1990