Collectif des prisonnièr(e)s des
Cellules Communistes Combattantes
Message aux Journées de solidarité
avec les prisonnièr(e)s
révolutionnaires en avril (Berlin) et en juin (Milan, Paris et
Bruxelles), 1999
Chèr(e)s ami(e)s,
chèr(e)s camarades,
Il n’est bien sûr pas question de discuter ici des mérites
et des erreurs de Louis Blanc. Il a joué un rôle phare à l’aube du mouvement
socialiste français mais, plus tard, il a tristement condamné la Commune de
Paris. Déjà lors des journées révolutionnaires de février et de juin 1848, il
était apparu que ses conceptions, héritées de l’œuvre de Robespierre, ne
pouvaient servir une lutte de classe devenue purement prolétarienne. Toutefois,
que lui soit rendu le mérite d’avoir démasqué un élément clé du discours
bourgeois. Dans ses « Pages d’histoire de la révolution de
février 1848 », qui furent éditées en 1850 à
Bruxelles où il vivait en exil, Louis Blanc a écrit : « Appeler LA
SOCIETE l’espèce particulière de société dont ils profitent, voilà l’éternel
sophisme des oppresseurs de tous les temps. »
Notre expérience de prisonniers révolutionnaires en Belgique
n’est sans doute pas différente de celle des camarades emprisonnés en Allemagne
ou ailleurs. Les traitements d’exception que nous avons subis ( isolement total,
etc. ), les
mesures exceptionnelles dont nous faisons toujours l’objet ( inapplication de la procédure de libération, etc. ) sont prétendument justifiés par ce
sophisme. Nous pourrions encore représenter un « danger pour la société ».
Nos Goebbels en chemise Lacoste qui hier s’indignaient de « l’injustifiable terrorisme » des actions des Cellules Communistes Combattantes
contre les fabricants des missiles de croisière ( Litton, Honeywell ) parlent
aujourd’hui du tir de ces mêmes missiles sur Belgrade en terme de « mal nécessaire ».
D’autres nous chantent la gloire de l’OTAN pour sa « guerre pour des valeurs » ( démocratie
et droits de l’homme ) en s’abstenant bien de rappeler
que la Turquie est membre de l’OTAN depuis 1952 et qu’elle perpètre depuis
vingt ans en toute impunité un génocide au Kurdistan.
Certains verront peut-être là une simple question de « deux poids, deux mesures ». Nous pensons qu’il faut réfléchir plus loin. La
répression extraordinaire contre nous ( nous battons des records de
détention en tant que non récidivistes, Pascale est la plus ancienne
prisonnière dans le pays ) procède de la même logique que
celle qui commande le procès des travailleurs des Forges de Clabecq.
Ils se retrouvent au tribunal pour avoir giflé le candidat fossoyeur de l’usine
tandis que les capitalistes qui augmentent les cadences et imposent la
flexibilité, et qui ont de cette manière tué et mutilé plusieurs ouvriers des
Forges, par seule soif de profits, ont droit — eux — à tous les honneurs.
C’est là moins un problème d’équité que l’expression de la
lutte des classes. Ce sont les intérêts de la bourgeoisie impérialiste qui
commandent de fabriquer des missiles de croisière, de briser les reins au
syndicalisme de combat, de noyer le peuple kurde dans son sang, et de dépecer
la Yougoslavie. Derrière la problématique morale et superficielle du « deux poids, deux mesures », il y a une réalité antagonique extrêmement
concrète et pratique : leurs intérêts contre les nôtres,
les intérêts des capitalistes contre ceux des prolétaires, les intérêts des
impérialistes contre les intérêts des peuples.
Le « sophisme » dénoncé par Louis Blanc apparaît alors moins comme
le produit d’une volonté de tromper que comme le produit d’une vision du monde.
Leur vision du monde. Pourquoi dès lors s’en indigner ? Ils ne peuvent en avoir une autre ! C’est quand cette vision du monde est partagée par
ceux qui en sont les victimes que l’insupportable commence. C’est quand le
prolétaire a honte de la gifle au curateur des Forges de Clabecq
et qu’il considère la mort atroce, par électrocution, d’un ouvrier de l’usine
comme un fait divers relevant de la fatalité. C’est quand le prolétaire se
scandalise du sabotage de la production de missiles de croisière et qu’il
applaudit leur envol vers Belgrade.
Nous ne découvrons rien. L’aliénation est vieille comme
l’oppression. Elle en relève, elle s’en nourrit, elle la nourrit. Le combat
contre la prééminence, au sein du monde du Travail, d’une vision du monde
foncièrement hostile à ses intérêts, est un combat de toujours. C’est un combat
difficile mais essentiel. C’est une lutte complexe, les médias du régime
n’étant que la face la plus visible de la pression idéologique bourgeoise.
C’est une lutte à laquelle nous tenons à participer.
Pas plus que de Louis Blanc, ce n’est ici l’occasion de
parler des mérites et erreurs de la lutte des Cellules Communistes
Combattantes, de l’espoir qu’elles ont porté ou de la défaite radicale qu’elles
ont subie — et qui a débouché sur leur démantèlement. La bataille idéologique,
le choc des visions du monde s’attachent moins à la question du « fallait-il faire cela ? Etait-il opportun de le faire ? » qu’à celle de la
légitimité. L’ennemi ne s’y trompe pas. Les autorités exigent à présent de nous
une déclaration qui, derrière une tournure apparemment « apolitique »,
signifie une condamnation de principe de la lutte révolutionnaire.
Voilà plus de treize ans que nous sommes en prison. Il nous
est impossible d’estimer précisément ce qu’il convient aujourd’hui de faire, de
ne pas faire, de ne plus faire dans la pratique militante. Ce qui est certain,
c’est que nous ne jouerons jamais le rôle sordide qu’on prétend nous faire
jouer. Nous ne signerons aucun papier dont le contenu traduirait une quelconque
condamnation de la légitimité de la lutte révolutionnaire. Et cela même si, en
échange de cette infamie, les fonctionnaires du ministère de la justice sont
prêts à monnayer congés pénitentiaires et libérations conditionnelles.
L’apparition et le développement d’initiatives de solidarité
avec les prisonniers révolutionnaires constituent pour nous un puissant
encouragement. C’est le signe que, malgré tous ses efforts, la bourgeoisie
n’arrive pas à imposer sa vision du monde rapace et asociale, à faire de ses
victimes les artisans de leur propre malheur, à faire croire qu’il n’est pire
crime que la lutte révolutionnaire.
Revendiquer la libération des prisonniers révolutionnaires,
c’est exprimer pleinement et radicalement ce refus d’une soumission à la
volonté bourgeoise. C’est dire aussi son espoir d’un autre monde. Cette
revendication est d’autant plus significative quand elle provient de cercles
au-delà du mouvement révolutionnaire même, lorsqu’elle s’étend dans les milieux
syndicaux, démocratiques et populaires.
C’est pour cette raison, chèr(e)s ami(e)s, chèr(e)s camarades, que nous saluons fraternellement votre
initiative et que nous souhaitons qu’elle rencontre un grand succès.
VIVE LA SOLIDARITE DE CLASSE, VIVE
LA SOLIDARITE REVOLUTIONNAIRE !
VIVE LE COMMUNISME !
Pierre Carette, Pascale Vandegeerde,
Bertrand Sassoye,
prisons à Louvain, Namur et Lantin, avril 1999.