Collectif des prisonnièr(e)s des
Cellules Communistes Combattantes
Une déclaration injustifiable
( À propos de la lettre de la RAF du
10 avril 1992 )
Au printemps de cette année, la Fraction Armée Rouge a rendu
public un important document politique. Dans ce texte, l'organisation
révolutionnaire allemande présente diverses réflexions concernant la situation
internationale et la conjoncture sociale, politique et militante dans son pays ( avec un intérêt
particulier pour la question des camarades emprisonné(e)s ), elle tire une sorte de bilan de son activité et le
conclut par la décision d'abandonner la lutte armée.
D'une certaine façon, cette conclusion ne nous a pas
surpris. Depuis longtemps nous ne comprenions plus dans quelles convictions et
analyses historiques, politiques et stratégiques la RAF pouvait puiser sa
vitalité combattante. Mais cela dit, cette conclusion nous paraît surtout
détestable : elle traduit non l'ouverture d'une
réflexion critique et autocritique soucieuse d'une rectification théorico-politique au profit de la cause révolutionnaire,
mais bien l'aboutissement liquidateur du processus de déviation et dégradation
politique qu'a connu la RAF au long de ses vingt années d'existence.
Nous savons que pour beaucoup de militant(e)s du mouvement dit « anti-impérialiste » en Allemagne, il est de très mauvais ton de parler
d'étapes successives dans l'histoire de la RAF. Pourtant, si on s'en réfère au
discours et à la pratique de l'organisation depuis le début des années 1970, il
est indiscutable que la RAF de 1972, 1977 ou 1982 présente trois visages
différents, fort distincts.
À l'origine, l'organisation se basait en partie sur les
principes et l'analyse marxistes et faisait preuve de créativité et
d'initiative politiques dans la lutte révolutionnaire. En 1977, elle se
retrouvait au faîte d'options stratégiquement défensives. En 1982, elle
affirmait — au travers du texte « guérilla,
résistance et front anti-impérialiste » —
l'abandon complet de ses références marxistes initiales et son entière inscription
dans le subjectivisme et le militarisme. Au cours des dix années suivantes, la
RAF allait s'enfoncer toujours plus loin dans cette impasse. De la très
tapageuse proclamation du « Front de
la guérilla ouest-européenne » avec AD
en 1985 et de la non moins médiatique signature commune d'une revendication
avec les BR / PCC
en 1988 à bon nombre d'actions de guérilla remarquables ( tout particulièrement l'exécution
du patron de la Treuhandanstalt, Rohwedder ), l'organisation allemande ne pouvait que s'épuiser
de bonne volonté en illusions perdues. Aujourd'hui la RAF semble ne plus
comprendre qui elle combat et pourquoi. C'est inévitable à terme quand on a
abandonné le matérialisme historique et le socialisme scientifique, l'objectif
de la révolution de classe et de la dictature du prolétariat.
Le document publié par la RAF au mois d'avril et
principalement sa conclusion d'un « Adieu
aux armes » ont provoqué d'importants remous
dans le mouvement militant allemand, ils ont suscité de nombreuses discussions
et prises de position jusqu'au niveau international. Nous avons ainsi eu
l'occasion de lire la très pertinente contribution du Comité Central du PCE(r)
intitulée « ¿ Replanteamiento estrategico o liquidacion ? ». Nous
voulons également intervenir sur le sujet, en regrettant le retard pris. Nous
pensons qu'il y va de notre responsabilité et de notre solidarité politiques à
l'égard du mouvement révolutionnaire tout entier.
Avant d'en venir au contenu du document de la RAF, nous
voulons dire quelques mots sur cette lettre même. Depuis de nombreuses années
un débat critique se développe dans le mouvement révolutionnaire européen.
D'intéressantes contributions, en provenance d'Espagne et d'Italie
principalement, circulent largement et de notre côté nous tâchons de participer
à l'échange selon nos modestes capacités. Une grande part des thèmes et
analyses de ce débat à l'échelle internationale visent précisément les positions
anti-marxistes, subjectivistes et militaristes que la RAF revendique au premier
chef depuis le début des années 1980. Or, à notre connaissance, la RAF n'a
jamais jugé utile de considérer ces critiques politiques, pas plus que de se
positionner vis-à-vis des arguments sur lesquels elles reposent. Et la lettre
du 10 avril les ignore toujours superbement.
Pourtant la RAF déclare aujourd'hui qu'une cause de l'échec
de ses conceptions tient dans le fait qu'elle s'est isolée en n'établissant pas
de véritable relation politique / organique avec ceux / celles qui s'inscrivent dans la perspective révolutionnaire.
Elle appelle à de nouveaux rapports, à des discussions et projets communs, etc. Mais concrètement elle continue à éviter le
débat et à formuler les questions et les réponses comme elle seule les entend.
Pour preuve cette étrange façon de faire :
afin de réunir les meilleures conditions d'une réflexion de fond traversant le
plus largement le mouvement militant en Allemagne - sur la lutte armée
révolutionnaire, la RAF abandonne celle-ci !
Autrement dit, pour favoriser une réflexion sur un sujet et en assurer la
justesse des conclusions, elle commence par liquider d'office le sujet en
question. À notre avis et dans ce cas précis, pareille façon de faire ne
traduit pas une recherche de progrès révolutionnaire mais révèle une tentative
de justifier a posteriori une décision prise en fonction d'autres intérêts,
inavoués.
Un autre aspect du document de la RAF mérite d'être
souligné. Il nous est revenu qu'il est compris de façons fort variées : certains y voient une habile manœuvre tactique,
d'autres la reconnaissance de l'inadéquation de la violence révolutionnaire, etc. Finalement beaucoup y trouvent l'occasion de se
convaincre de ce qu'ils ont envie et d'entretenir des parlottes sans fin ni
rigueur. Nous pensons que la RAF porte une grande part de responsabilité à ce
propos. Depuis longtemps elle développe dans son discours comme dans sa
pratique bon nombre d'incohérences et de confusions, signes d'un manque
indéniable de clarté idéologique. Ca fait tache d'huile.
L'expression embrouillée de la lettre du 10 avril ne résiste
pas à une analyse stricte. La position générale défendue tout au long de ce
texte ne permet pas plusieurs interprétations ou le doute. Elle n'est pas
ambiguë ni incertaine, et qu’elle soit formulée avec une pernicieuse maladresse
ne suffit pas à draper d'un voile honorable « l’Adieu aux armes » qu'elle recèle.
D'ailleurs nous devons reconnaître à ce document un grand ( mais unique ) mérite :
il met en lumière et avoue la stérilité du projet subjectiviste de la RAF
depuis dix ans. Hélas ! il est bien
dommage que cet éclairage et cet aveu ne procèdent pas d'un rapprochement du Marxisme-Léninisme, donc d'un éloignement du subjectivisme ( par exemple, via un rejet du militarisme que nous
pourrions saluer ), mais au contraire d'une nouvelle
manifestation de subjectivisme, cette fois dans le cadre général d'une débâcle
opportuniste. Si elle s'enferre dans les réflexions et conceptions exposées
dans sa lettre, la RAF quittera la scène révolutionnaire en conservant tous les
défauts politiques et idéologiques que nous lui connaissons et que nous avons
déjà critiqués, et elle la quittera sans espoir de retour.
Il importe donc de réfléchir précisément et clairement aux
différents points abordés par le document d'avril. Car combattre politiquement
et idéologiquement « l'Adieu aux armes » décrété dans ce texte signifie en premier lieu
combattre le subjectivisme et son corollaire l'opportunisme sous toutes leurs
formes, armées ou non. Après tout, l’actuel « Adieu aux armes » est-il autre chose que l'ultime et
spectaculaire étape d'une longue dérive politique ? Le pire faux pas commis par la RAF ne remonte-t-il pas à la moitié des
années 1970, quand l'organisation a commencé à se détacher ouvertement du
marxisme et d'une stratégie révolutionnaire conquérante ?
La lettre du 10 avril s'ouvre par une sorte de réflexion / bilan
stratégique sans aucune rigueur. Il y est question de l'échec de la stratégie
développée par la RAF ces dernières années, mais rien n'est défini des
protagonistes de la lutte, du caractère de l'affrontement, des objectifs à
atteindre à court ou à long terme, etc. Il
n'est jamais question que de « nous », du « contre-pouvoir
d'en bas », d'une « alternative sociale, ici et maintenant » de « combattre
pour la libération », ce qui est plutôt insuffisant
pour établir une réflexion stratégique révolutionnaire sérieuse. Mais cela suffit
quand même amplement à la RAF : pour
estimer que son expérience démontre qu'aujourd'hui « dans ce processus de construction, la guérilla ne peut
plus occuper une position centrale ».
Plus autocritique encore, la RAF précise même que « [ ses ] actions meurtrières (...) représentent une escalade
qui nuit au renouveau recherché et attendu par tous ».
Cette première partie se prolonge dans une deuxième. Le
fameux « renouveau attendu par
tous » implique « en priorité le combat pour la libération des
prisonniers politiques ». Selon la
RAF, une perspective crédible dans une certaine mesure. Le ministre de la
justice se serait en effet fait le représentant d’une fraction de la
bourgeoisie comprenant qu’elle ne résoudra pas les contradictions sociales par
la répression. S'adressant tacitement à cette fraction éclairée, la RAF ajoute
d'autres revendications sur la liste :
les prisons doivent devenir convenables, tout le monde doit disposer d'un
espace d'habitation et de vie, les citoyens de l'ex-RDA doivent disposer d'une autodétermination,
le discours dominant ne doit plus être raciste, etc.
Le document s'achève par un troisième volet dont la naïveté
et la logique laissent songeur : la
réponse qu'apportera l'Etat allemand à ces revendications indiquera si oui ou
non le réformisme politique est praticable !
Et dans le sincère souci de préserver cette démarche aussi platement réformiste
qu'incongrue, baptisée pour l'occasion « processus
de discussion et de construction », la RAF
annonce qu'elle abandonne son « escalade
de la violence ». Mais attention, si l'Etat ne
rallie pas à son tour ledit processus, eh bien la RAF reprendra ladite escalade ... pourtant jugée stratégiquement néfaste quelques
paragraphes plus haut. La dernière phrase de la lettre conclut avec une
effroyable éloquence : « Même si cela n'est pas notre intérêt [souligné par nous], on ne peut
répondre à la guerre que par la guerre ».
En quelque sorte, la vengeance jusqu'à la mort.
Il est flagrant depuis longtemps que le défaut principal de
la RAF réside dans sa méconnaissance — son refus ? — du
matérialisme historique. À un courage et une abnégation révolutionnaires
exemplaires, les camarades allemand(e)s allient un
subjectivisme inébranlable. Hélas !
L’héroïsme et le don de soi sont insuffisants à garantir le succès
révolutionnaire. La révolution n'est pas qu'affaire de personnes et de bonne
volonté. Elle est un phénomène historique qui répond à des déterminants sociaux
objectifs.
Il serait grand temps que la RAF réfléchisse à cette
dimension essentielle de la lutte révolutionnaire et présente ses objectifs
généraux, son analyse de la réalité objective, sa compréhension des mécanismes
historiques, ses conceptions stratégiques et tactiques, ses buts à court et
moyen terme, etc. Bref, tout ce qui relève
traditionnellement d'une plate-forme, des thèses et d'un programme
d'organisation. Car sans cela, qui pourrait jamais
savoir véritablement, précisément, ce que pense la RAF ? Comment la RAF elle-même pourrait-elle savoir ce
qu'elle pense et veut ? Comment pourrait-elle organiser et
guider son combat ?
À quoi rime de parler de stratégie révolutionnaire sans même
avoir défini clairement quels sont les objectifs concrets du processus
révolutionnaire ( par
exemple, que pense la RAF de la dictature du prolétariat, de l'édification
socialiste ? ),
qui en est le sujet principal ( par
exemple, que pense la RAF du prolétariat ?
Comment le définit-elle ? Quel rôle lui reconnaît-elle ? ) et comment il se développe ? ( par
exemple, comment la RAF envisage-t-elle le problème des conditions objectives
et subjectives du processus révolutionnaire ?
Le rôle du Parti ? )
Voilà à notre avis le premier travail que devrait entreprendre la RAF et
qu'elle devrait soumettre au mouvement révolutionnaire et au prolétariat
allemands.
La RAF constate avec franchise l'impasse dans laquelle elle
se trouve. Elle avance diverses explications de cet état de fait, explications
qui nous semblent seulement illustrer sa faiblesse d'analyse. D'abord,
l'effondrement du révisionnisme et l'actuelle débâcle de l'ex-<<bloc de
l'Est » dans l'affrontement inter-impérialiste ...
Mais qui pouvait encore croire que ces pays étaient porteurs de quelque façon
d'une authentique dynamique ou influence révolutionnaire ? Ensuite, l’échec du « projet de créer une brèche pour la libération dans la lutte internationale ». S'il est question du mouvement anti-impérialiste
dans le tiers-monde, il recule depuis bientôt quinze ans, et s'il s'agit de
l'illusoire « Front de la guérilla
ouest-européenne », il n'a vécu que par le
sensationnalisme journalistique.
Alors, autant nous sommes parfaitement d'accord avec la
conclusion que tire la RAF, à savoir que la lutte révolutionnaire ne peut se
fonder que dans les conditions sociales objectives de chaque peuple, autant
nous pensons qu'elle aurait pu en arriver plus tôt à cette conclusion en
adoptant simplement un point de vue de classe et en étudiant le patrimoine
d'analyse et d'expérience du Mouvement Communiste International.
C'est un point d'autant plus crucial que la rectification
défendue par la RAF s'accompagne d'une déviation qui en ruine tout l'avantage.
Si elle a abandonné sa chimère de « Front » international en se retournant vers sa réalité
sociale actuelle, la RAF a par la même occasion abandonné
sa raison révolutionnaire et sa responsabilité d'avant-garde
politico-militaire.
Nous avons déjà évoqué plus haut dans notre critique
l'absence de définition globale de la part de la RAF, absence de références qui
rend quasi impossible un véritable échange politique. Le problème réapparaît
crûment quand on découvre que la RAF abandonne sans inquiétude l'objectif
révolutionnaire et troque sans s'émouvoir son rôle d'avant-garde ( et dieu sait combien
en 1972 elle en remplissait un, formidable, pour tout le mouvement
révolutionnaire des métropoles ... à tel
point qu'elle en jouit encore de l'aura ! ) contre un suivisme du mouvement « alternatif ».
Le vrai contenu des positions défendues à présent par la RAF
est le suivant : faute d'avoir vu ses illusions
militaristes aboutir, la RAF cherche une autre manière de fusionner avec la
marais « alternatif », fusion à laquelle elle aspire ouvertement depuis
1982. À l'époque, la chose devait se faire en liquidant le marais, la RAF
écrivait à ce sujet dans « guérilla, résistance et front anti-impérialiste » : « il ne s'agit plus de "changer le système",
de "modèles alternatifs" à l'intérieur de l'État, tout cela est
devenu complètement grotesque ». Dix ans
plus tard, pour la même chose, les militant(e)s de la
RAF sont prêt(e)s à offrir la liquidation de leur organisation. C'est
l'aboutissement logique de leur dérive stratégique frontiste et anti-parti. Au
lieu de se maintenir avec indépendance et détermination à l'avant-garde de la
lutte révolutionnaire — en procédant à une autocritique et à une
réorientation offensive sur base du Marxisme-Léninisme,
en adoptant la stratégie et la tactique nécessaires à l'élévation du niveau
général de la lutte en Allemagne, en mobilisant, recrutant et organisant de
plus en plus de prolétaires combatifs et révolutionnaires, etc. —
la RAF envisage plutôt de se dissoudre dans la masse marginale et de capituler
devant les desiderata et limites actuelles du marais « alternatif ».
Bien entendu, l'organisation révolutionnaire ne doit pas
être coupée des masses ( prolétariennes ! ), mais
cela ne peut jamais la conduire à abdiquer son indépendance politique et à
renoncer à une activité autonome.
Or dans ce document d'avril, nous pouvons lire que la RAF
pose le problème de son rôle et de son influence dans les termes suivants : « Nous
avions fortement concentré notre politique sur les attaques contre les
stratégies des impérialistes et la recherche de buts positifs immédiats nous a
fait défaut, ainsi que de savoir comment une alternative sociale pourrait
commencer à exister ici et maintenant ».
Qu'est ce que cela signifie ? Que loin
de s'approprier la critique déjà cent fois portée à la stratégie « anti-anti » du courant « anti-impérialiste » dont elle était le porte-drapeau militariste ( « notre
stratégie est d'être contre leur stratégie »,
etc. ), la RAF
ne considère pas la construction et la structuration d'un puissant mouvement
révolutionnaire communiste comme un « objectif
positif ». Par contre, le réformisme le plus
vulgaire qui considère comme « positifs » seulement les objectifs accessibles à court terme et dans le système capitaliste apparaît
maintenant aux yeux de la RAF comme la plus alléchante option stratégique. Et
l'opportunisme le plus achevé tient lieu de cerise sur le gâteau : ne peut-on apprendre que la RAF est soucieuse de
laisser s'épanouir les « propres valeurs sociales » de ceux et celles qui lui sont proches, « dans leur vie de tous les jours » ? Ou
encore qu'elle entend s'adapter « à
cette époque où chacun est à la recherche de soi, et sur de nouvelles bases » ? Le
processus révolutionnaire n'exige donc plus un processus d'acquisition de
conscience de classe ? La responsabilité des
révolutionnaires n'est donc plus de maintenir cette conscience et d'en servir
l'acquisition par l'éducation - contre l'épanouissement d'une « spontanéité »
inévitablement façonnée par les catégories de l'idéologie dominante ?
Avec sa lettre du 10 avril, la RAF renforce plutôt
qu'atténue son idéalisme philosophique et son subjectivisme politique.
Considérons son point de vue et ses projets concrets dans le cadre de
l'actuelle situation sociale et politique en Allemagne. La RAF est d'avis
qu'elle a manqué d'attention à l'égard d'une « alternative sociale, ici et maintenant ». Une alternative à l'en croire à portée de
main, car « les expériences que d'autres ont
menées ont démontré que cela est possible ici ». Plus loin, l'organisation présente alors une liste de réformes
sociales qu'elle met l'Etat allemand en demeure de réaliser. Nous pensons que
tout cela relève d'une incompréhension phénoménale des réalités.
D'abord la question d'une « alternative » sociale, de quoi s'agit-il ? D'une position nécessairement marginale. Une marge
qui peut seulement être occupée par des petits-bourgeois ou des éléments
déclassés. En quoi cette catégorie et son cadre, aux aspirations et intérêts
spécifiques, pourraient-ils constituer un devenir révolutionnaire généralisable ? La révolution est une affaire de classe sociale, « ici et maintenant »
une affaire prolétarienne. La révolution n'a rien à voir avec une alternative à
la société dans la société mais tout à voir avec une transformation de la
société, de toute la société. La façon dont le pouvoir bourgeois peut à l'occasion
rencontrer les revendications particulières du marais « alternatif »
est incomparable à la contradiction de classe qui traverse toute la société. Se
baser sur l'exemple de succès dans le premier cas pour prétendre que d'autres
sont pareillement accessibles dans le second est tout bonnement aberrant.
Verra-t-on jamais la bourgeoisie admettre ou prendre la défense des intérêts
historiques des opprimés ? Il est absurde d'imaginer cela,
parce que cette défense passe justement par l'élimination ( et non l'aménagement « alternatif » ) de la bourgeoisie et de son système social.
L'idéalisme philosophique et le subjectivisme opportuniste
de la RAF l'ont conduite à imaginer que le pouvoir bourgeois serait libre de
faire ce qu'il veut et qu'il serait même accessible à une sorte d'Esprit
rationnel, supérieur. À propos de sa liste de revendications sociales, la RAF
déclare que la réponse qu'apportera le pouvoir « décidera dans quelle mesure un espace politique pour des solutions
pourra être conquis ici ». Mais qui
pourrait jamais croire qu'il existe des solutions interclassistes au
capitalisme, à ses contradictions antagoniques, à l'augmentation de
l'exploitation et à la dégradation sociale induite par sa crise ? La bourgeoisie n'a pas le choix entre une intelligence
conciliatrice et une attitude « jusqu'au-boutiste », elle est la classe dominante dans le capitalisme,
la classe qui tire profit de l'exploitation capitaliste et la défend, une
classe qui ne peut être autre chose ni agir hors de ce cadre qui a ses lois
propres. S’il existait des solutions interclassistes à la crise économique, la
RAF ne croit-elle pas que sans l’attendre les dirigeants bourgeois les auraient
découvertes et appliquées depuis bien longtemps ?
Que reste-t-il de la compréhension matérialiste de l'histoire
de confiance véritable, scientifique, dans l'avenir révolutionnaire, dans la
nouvelle démarche de la RAF ? Rien,
tout simplement rien. À en croire les camarades allemands, le système capitaliste
serait réformable de l'intérieur. Il suffirait pour cela que la bourgeoisie le
comprenne — et bien sûr tant pis si c'est contre ses propres intérêts. Les
réformes sociales seraient de tout temps accessibles à partir du moment où la
bourgeoisie en aurait l'intelligence ( peut-être faudra-t-il l'aider ), la paix sociale serait de tout temps accessible à
partir du moment où la bourgeoisie en aurait la bonne volonté ( idem ) ! En finalité, la RAF perçoit maintenant le capitalisme
comme une production de la bourgeoisie et non la bourgeoisie comme une production
du capitalisme.
Un point particulier mérite d'être traité à part. Il s'agit
de la question des prisonnièr(e)s
et d'éventuelles libérations ou améliorations des conditions de détention. Nous
pensons devoir être excessivement prudents à ce sujet. Les manœuvres tactiques
sont souvent complexes, elles ne peuvent être correctement appréciées que dans
la connaissance complète de leurs tenants et aboutissants, aussi nous nous
abstiendrons de tout jugement catégorique. Pourtant, nous ne cacherons pas notre
perplexité et nous voulons quand même présenter quelques réflexions.
Nous pensons bien évidemment que la libération de camarades
n'est pas un souci négligeable et qu'il est juste qu'une organisation
combattante exploite toutes les possibilités et occasions à cette fin — donc
aussi la négociation quand elle est crédible. Mais à aucun moment cela ne peut
se faire aux dépens de la lutte, de son avenir et de ses objectifs
fondamentaux. Le combat révolutionnaire entraîne inévitablement une répression,
la victoire révolutionnaire imposera d'immenses sacrifices, c'est là une loi
historique et chercher prioritairement à s'en préserver conduit obligatoirement
à l'abandon de la lutte.
Le ministre de la justice aurait annoncé, au début de
l'année, que la libération de quelques prisonnièr(e)s de très longue date ou dont l'état de santé est détérioré
était envisageable. Mais dans les faits rien de probant jusqu'ici et au
contraire des pressions perfides sur l'espoir suscité. La RAF analyse-t-elle
lucidement la situation ? Ne surestime-t-elle pas sa force,
son poids dans ce cas ? N'est-elle pas manœuvrée là où
elle croit manœuvrer ?
Qu'une fraction bourgeoise rendue euphorique parce qu'elle
croit avoir jeté une nouvelle fois les bases d'un « Reich de Mille Ans »( cette fois
intitulé « Nouvel Ordre International » ) se
laisse aller à quelques mansuétudes humanistes — et publicitaires ! — envers une poignée de camarades éprouvés ne
peut-être confondu avec un repli défensif de l'ennemi. Que du contraire ! D'ailleurs, pour ce que nous en savons, le
ministère serait occupé très concrètement à renforcer la répression contre
d'autres prisonnièr(e)s ( notamment grâce à la collaboration d'anciens
militants, à présent collaborateurs. arrêtés dans l'ex-RDA ). L'ouverture — verbale — faite par Kinkel
vise-t-elle finalement autre chose que justifier une répression plus féroce
contre ceux et celles qui conservent leurs idées et leur intégrité combattantes ? N'est-elle pas une duperie destinée à affaiblir les
forces authentiquement révolutionnaires ?
N’est-elle pas une tromperie déjà efficace puisqu'on constate qu'elle a poussé
la RAF à abandonner sa raison, son indépendance et ses armes aux bords du
marais « alternatif » ? C'est
pour de vagues promesses charitables déjà démenties par un renforcement
répressif que la RAF n'a pas hésité à liquider publiquement son héritage de
vingt années de combat.
Nous allons conclure maintenant. Nous voulons croire que la
lettre du 10 avril ne reflète pas la pensée de tous les camarades allemands
et notamment des prisonnièr(e)s qui ne doivent
sûrement pas apprécier d'ajouter au prix qu'ils et elles paient la négation de
leur engagement politique et la liquidation de leur organisation. Le parcours
de la RAF, depuis ses origines, est à ce point sinueux qu'il est difficile
d'accepter l'idée que tous et toutes ont étroitement adhéré à chacun de ses
méandres politiques. Nous voulons croire qu'une fois dissipé le nuage de fumée
d'une formulation confuse, les camarades de la RAF prendront conscience de la
nature subjectiviste et opportuniste des positions avancées dans leur document
d'avril, tiendront celui-ci pour une erreur de parcours, le considéreront comme
nul et non avenu et entreprendront enfin de faire face aux réels problèmes qui
se posent à leur organisation et au mouvement révolutionnaire allemand. Cela
sur une base véritablement révolutionnaire associant l'esprit d'autocritique à
la volonté de valoriser le patrimoine du Mouvement Communiste International
synthétisé dans le Marxisme-Léninisme.
Au début des années 1970, la RAF a joué un rôle
inestimable et irremplaçable dans la reconstruction du mouvement
révolutionnaire européen. Et même si au fil des années des erreurs de plus en
plus graves ont été commises, cela ne nous fera jamais oublier tout ce que nous
lui devons, à elle et à ses héroïques fondateurs massacrés sur ordre de cet
Etat avec lequel la lettre du 10 avril invite à composer ... Nous avons suffisamment confiance dans le
dynamisme du mouvement révolutionnaire allemand pour attendre une réaction énergique
contre cette désastreuse et injustifiable déclaration, contre le processus de
dérive politique et idéologique qu'elle couronne, et pour espérer que les
militant(e)s de la RAF puissent reprendre leur ancienne et glorieuse place aux
premiers rangs du mouvement révolutionnaire européen.
Pour le ralliement de
la Fraction Armée Rouge à l'expérience du Mouvement Communiste International
synthétisée dans le Marxisme-Léninisme !
Honneur à la mémoire
des camarades de la Fraction Armée Rouge tué(e)s dans
la lutte et les prisons ! Honneur à la mémoire
des camarades du Commando Martyr Halymeh tués à
Mogadiscio !
Vive l'internationalisme prolétarien !
Collectif des prisonnièr(e)s des Cellules Communistes Combattantes
18 octobre 1992