D é b a t
Sommaire
Collectif des Prisonnièr(e)s des Cellules Communistes Combattantes ( Belgique )
LUTTE
ARMÉE ET POLITIQUE RÉVOLUTIONNAIRE ( I )
( Pour un débat avec l’OCML Voie Prolétarienne )
Lutte armée et politique révolutionnaire
A. Comment se pose le problème aujourd’hui
B. Le rôle politique de la propagande armée
C. La lutte armée comme élément stratégique du processus révolutionnaire
D. La critique léniniste du terrorisme anarchiste est juste
E. Expériences et leçons, évolution et influence de la lutte armée communiste
F. Violence d’avant-garde ou violence de masse : un faux dilemme
Comité Directeur de Voie Prolétarienne ( France )
VIOLENCE
RÉVOLUTIONNAIRE ET CONSTRUCTION DU PARTI,
AUJOURD’HUI, EN EUROPE
Le contexte politique de la lutte armée
A. Une position générale
B. La lutte armée en Europe
C. La situation en France
Les caractères prêtés à la lutte armée
A. Porter des coups à l’ennemi
B. Rompre avec le réformisme
C. Lutte armée et légalisme
D. La lutte armée comme élément stratégique
A. L’impact de la lutte armée
B. Parti et lutte armée
C. Les conditions de la lutte armée
A. Les oscillations de Voie Prolétarienne
B. Le dysfonctionnement des CCC
A. Une ambition démesurée
B. Quelle éducation à la violence et à l’illégalité ?
C. Quelles garanties pour l’avenir ?
Collectif des Prisonnièr(e)s des Cellules Communistes Combattantes ( Belgique )
LUTTE
ARMÉE ET POLITIQUE RÉVOLUTIONNAIRE ( II )
( Poursuite du débat avec l’OCML Voie Prolétarienne )
Lutte armée et politique révolutionnaire ( II )
A. Contexte et conditions de la
lutte armée
B. Les caractères prêtés à la lutte armée
C. La stratégie révolutionnaire
·
Le caractère
stratégique de la lutte armée
·
La stratégie
révolutionnaire
·
Quelques mots
encore sur l’expérience des Cellules et les leçons qu’il convient d’en tirer
·
Quelle version
de la conception insurrectionnelle aujourd’hui ?
M.P.M. — Arenas — ( Espagne )
SUR LA STRATEGIE DE LA LUTTE
ARMEE REVOLUTIONNAIRE
Cellule pour la constitution du Parti
Communiste Combattant ( Italie )
Début 1992, les prisonniers des Cellules Communistes
Combattantes ( Belgique ) et l'organisation Voie
Prolétarienne ( France ) décidaient d'ouvrir un débat
contradictoire. Les premiers produisaient « Lutte armée et politique
révolutionnaire », la seconde y répondait
avec « Violence révolutionnaire et
construction du Parti, aujourd'hui, en Europe ». Les deux documents étaient réunis
dans une brochure diffusée à l'automne.
Souhaitant aller plus loin dans la réflexion et la
confrontation, les camarades belges se remettaient alors au travail. En octobre
1993, ils présentaient un deuxième document, prolongeant le premier et
intégrant les apports de l'échange de l'année précédente. Pour leur part, les
camarades français décidaient d'en rester là.
La publication de la brochure des deux textes
initiaux n'était pas passée inaperçue. En avril 1994, Arenas
— dirigeant du Parti Communiste d'Espagne ( reconstitué ) — y réagissait à travers un
article dans la revue Resistencia : « Sur
la stratégie de la lutte armée révolutionnaire ». En octobre de la même année, la
Cellule pour la constitution du Parti Communiste Combattant ( Italie ) rendait publique une intéressante
contribution à la discussion.
Signalons qu'aucun des rédacteurs des trois textes
postérieurs ne connaissait la part de travail en cours simultanément à la
sienne. Cela explique certainement nombre de désaccords dans la forme, — que
nous invitons le lecteur attentif à ramener à leurs justes proportions de fond.
Nous avons pensé important de rassembler maintenant
tous ces matériaux dans une seule édition de qualité. Ils traitent d'une
question centrale sans cesse plus d'actualité, toujours plus pressante. Ils
éclairent d'une formidable façon la grande question de la stratégie
révolutionnaire, qui se pose aujourd'hui ouvertement aux forces se revendiquant
de la lutte communiste.
Nous espérons aussi que
cette édition favorisera de nouveaux apports politico-théoriques
sérieux et constructifs.
Les Editeurs, 19 juin 1997
Collectif des Prisonnièr(e)s des Cellules Communistes Combattantes
LUTTE ARMÉE ET POLITIQUE RÉVOLUTIONNAIRE ( I )
( Pour un débat avec l’OCML
Voie Prolétarienne )
Une longue introduction
Au moment d’ouvrir un débat avec l’Organisation
Communiste Marxiste-Léniniste Voie Prolétarienne,
nous nous posons la question : pourquoi si tard ? Nous voulons commencer par y réfléchir.
Formellement, l’initiative de la discussion nous
revient. Mais nous croyons sincèrement que l’attitude de VP au sein du
mouvement communiste révolutionnaire a constitué un important catalyseur de
notre décision. Et si l’on peut considérer l’ouverture d’un débat fraternel
comme étant déjà en soi un succès, nous pensons que le mérite dans ce cas en
revient aux camarades de VP. Nous tenions à le souligner d’emblée.
Depuis quelques années se dessine au sein du
mouvement révolutionnaire international une nouvelle tendance à l’échange et la
confrontation d’idées — mais qui reste encore fort modeste et sélective. Nous
sommes convaincus que cette tendance, malgré ses faiblesses, témoigne d’un
double progrès : une capacité de réflexion
et discussion théorico-politiques issue de
l’expérience d’une part et la volonté de dépasser les limites de cette
expérience d’autre part. Nous ne pouvons donc que l’encourager et tâcher de
nous y inscrire de façon constructive. C’est dans tel esprit que nous
présentons le travail qui suit.
Le cadre particulier de cette contribution est un
échange entre militants communistes révolutionnaires se revendiquant
unanimement du Marxisme-Léninisme, mais pourtant en
désaccord sur un point fondamental : Voie Prolétarienne ne juge pas nécessaire dès aujourd’hui
la pratique de la lutte armée, pour notre part nous sommes persuadés de sa
nécessité immédiate. Pareille divergence de vue est essentielle et c’est
naturellement sur elle que va se concentrer toute notre attention ( beaucoup
d’autres désaccords entre VP et nous relevant sans aucun doute directement ou
indirectement de cette divergence d’opinion centrale ).
On pourrait croire que le caractère totalisant du
problème rend le débat impossible, inévitablement stérile. Tel n’est pas notre
avis. Contrairement à de nombreux camarades du courant « combattant », nous n’estimons pas la
reconnaissance, ou non, de la nécessité actuelle de la lutte armée ( voire sa
pratique ) comme la frontière entre
forces révolutionnaires et forces révisionnistes, réformistes, opportunistes, etc. Et cela de deux façons distinctes.
D’abord, nous n’incluons pas dans le mouvement
révolutionnaire les courants politiques qui mènent la lutte armée au service
d’objectifs radicaux-réformistes avoués ou
nationalistes ( petits-)bourgeois.
Et au sein même du mouvement combattant pour la révolution existent de
nombreuses forces égarées par le subjectivisme, dont les lignes politiques sont
à ce point erronées que finalement elles desservent plus le processus
révolutionnaire qu’elles ne le servent. La pratique armée n’est donc en aucun
cas un critère de référence suffisant en soi.
Ensuite, bien que nous jugions que la lutte armée
soit dès maintenant dans les conditions de nos pays une « nécessité stratégique et tactique du
combat pour la révolution », et que fidèles au principe d’unicité de la juste ligne
nous condamnions expressément l’orientation actuellement non armée de VP, nous
pensons toutefois que cette organisation contribue aujourd’hui à sa façon au
progrès révolutionnaire. Au travers de ce que nous connaissons du discours et
de la pratique de VP, nous croyons pouvoir reconnaître une force
authentiquement révolutionnaire ( quoique,
bien entendu, s’appuyant sur une analyse stratégique erronée ), servant objectivement le
processus révolutionnaire ( quoique précisément handicapée par l’erreur en question et
les lacunes qui s’y rattachent ).
L’OCML Voie Prolétarienne tranche de façon salutaire
sur les faux révolutionnaires qui rejettent la lutte armée en prétendant
abusivement qu’elle irait à l’encontre du Marxisme-Léninisme,
alors qu’en fait ils la rejettent et la craignent parce qu’elle va à l’encontre
de leur crétinisme parlementaire, qu’elle dénonce leur fétichisme syndicaliste
et stigmatise leur opportunisme politique. Pour illustrer ces cliques
lamentables et néfastes citons-en le fleuron national, le Parti du Travail de
Belgique, qui se singularisa par l’hystérie et la malhonnêteté de ses
gesticulations dès l’apparition de notre organisation ( campagnes acharnées d’intox « CCC = CIA », etc. ) Mais n’oublions pas non plus
l’éventail complet des groupes révisionnistes, trotskystes, ultra-gauchistes,
etc. qui, pour avoir eu une réaction moins affolée et ordurière face à l’émergence
d’une lutte armée dans le pays, occupèrent malgré tout consciencieusement leur
place en queue du cortège contre-révolutionnaire bourgeois.
Des réponses spécifiques ont déjà été apportées aux
manœuvres et diffamations des opportunistes établis. Nous pouvons signaler « La critique contemplative » des camarades du PCE(r), qui
démasque le verbiage de l’autoproclamé Mouvement Révolutionnaire
Internationaliste, ou encore la « Lettre ouverte aux militants de base de PTB ... et aux autres » que notre organisation avait jugé
bon de publier en 1985 pour dévoiler les intrigues ignobles de la direction du dit
parti. Mais en tout état de cause la meilleure dénonciation de ces cliques
opportunistes reste tout simplement la vraie politique révolutionnaire
communiste. Par contraste tangible, la vraie pratique communiste met à nu la
compromission honteuse des opportunistes avec le système qu’ils prétendent
combattre alors qu’en fait ils le soutiennent en s’y creusant de confortables
niches.
Il en va donc différemment, selon nous, en ce qui
concerne Voie Prolétarienne. Et outre les orientations politiques générales ( thèses,
analyses, etc. ) propres à cette
organisation et qui la distinguent déjà précisément de ce qu’il est convenu
d’appeler « l’extrême gauche institutionnelle », nous voulons surtout ici en
souligner la grande morale. Nous voulons louer la correction avec laquelle ces
camarades traitent de nos positions ( ils les considèrent et exposent généralement fidèlement, ne
les déforment ni ne les manipulent comme c’est l’usage dans la presse
bourgeoise et dans l’extrême-gauche corrompue ) ; la confiance qu’ils portent à
l’intelligence critique du mouvement révolutionnaire ( et finalement des masses ) quand ils relaient des documents
de notre courant parce qu’au-delà des désaccords ils en jugent l’étude utile ; ou encore la solidarité qu’ils ont
coutume de témoigner aux luttes des combattants emprisonnés ( lors des grèves de la faim, par
exemple ).
Autant nous tenons à ce que toute clarté soit faite
parmi les forces révolutionnaires « combattantes » ( principalement
selon la ligne de fracture entre le courant marxiste-léniniste et les autres,
mais aussi au sein même du courant m.-l. ), autant nous jugeons indispensable de distinguer ceux qui
— quoi qu’ils en disent — rejettent la lutte armée par révisionnisme,
réformisme ou opportunisme consommé, de ceux qui la rejettent selon nous par
sincère défaut d’analyse et sans renier en rien la cause et la morale
révolutionnaires.
Nous espérons vivement que les camarades de l’OCML VP s’investiront avec intérêt dans l’échange que nous
proposons ici, de même que de nombreux autres camarades y interviendront à leur
tour. Par principe, nous croyons qu’une discussion entre sincères
révolutionnaires marxistes-léninistes divisés sur l’importante question de la
nécessité immédiate de la lutte armée doit être suffisamment honnête,
intelligente et riche pour permettre un apport consistant à leur cause commune.
Apport qui peut éventuellement se traduire de diverses façons : une clarification des positions
respectives, un rapprochement théorico-politique, et
dans le cadre particulier de cet échange, pourquoi pas, l’affinement d’une
incisive critique collective aux déviations qui nous avoisinent respectivement ( que ce soit, en ce qui nous concerne,
la critique au subjectivisme et au militarisme d’organisations comme la RAF ou
AD que nous avons côtoyées, ou en ce qui concerne Voie Prolétarienne, la
critique à l’opportunisme et au légalisme petit bourgeois — et à l’immoralité —
de faux révolutionnaires à la PTB avec lesquels elle est parfois injustement
confondue ).
La petite brochure diffusée par Partisan ( l’organe de l’OCML VP ) en mai 1991 et intitulée « Situation en Europe et lutte armée ( Débat avec un lecteur ) » est le premier objet de notre
intervention. Ce document présente l’avantage d’être relativement récent — donc
d’exposer les idées actuelles des camarades — et tout entier consacré au sujet
qui nous occupe. Mais il présente aussi l’inconvénient d’être une réponse
spécifique aux propos particuliers d’une personne qui défend une conception de
la lutte armée révolutionnaire qui n’est pas la nôtre ( une conception militaro-subjectiviste
très proche d’Action Directe ). Notre propre critique aux positions de Voie Prolétarienne
sur la lutte armée diffère fondamentalement de celle du lecteur critique de
Partisan, et ceci explique pourquoi les arguments avancés en réponse dans la
brochure de mai 1991 ne nous contentent pas. Ajoutons même que nous pourrions
en reprendre bon nombre à notre compte puisqu’ils relèvent simplement de
principes généraux du Marxisme-Léninisme — dont la
rédaction du lecteur critique fait bien peu de cas malgré une kyrielle de
références aux Présidents Mao et Gonzalo, ou encore à Staline.
Outre cette brochure, nous citerons trois documents
de VP, trois textes que ces camarades eux-mêmes considèrent représentatifs de
leur position et de son évolution. Le premier est la brochure diffusée en
supplément au 15e numéro de l’ancien organe de l’OCML VP, Pour le Parti, en mai 1979 et intitulée « Pour une violence révolutionnaire ». Le second est le dossier consacré
à l’expérience des Brigades Rouges dans Pour le Parti n° 34 ( février 1981 ). Le dernier est l’analyse publiée
dans Partisan no 12 ( juin-juillet 1986 ) sous le titre « Terrorisme et politique ».
L’ancienneté de ces documents en réduit quand même
l’intérêt. Depuis leurs parutions respectives l’analyse de VP sur la question
de la lutte armée a évolué et s’est affinée. On mesurera le chemin parcouru en
comparant un extrait de la brochure de 1979 et un autre de celle de 1991 :
« Portée par les petits-bourgeois révoltés, tenants de
l’excitation minoritaire, de l’action par le fait, elle [ la lutte armée ] exprime un mépris profond de la
classe ouvrière, qu’elle s’appelle anarchie, terrorisme ou autonomie. (…) Le
terrorisme est l’enfant de la crise ET de la trahison des « partis communistes ». Il tire le mouvement ouvrier en
arrière — pour le ramener au temps de la bande à Bonnot. » ( « Pour une violence révolutionnaire », pp. 2-3. )
« En période de crise [ révolutionnaire ], nous serons tous d’accord que
l’insurrection est à l’ordre du jour, puisque la question du pouvoir est posée.
En période de situation révolutionnaire, la guérilla a sans doute un rôle
central dans la maturation des contradictions, pour avancer et éduquer le
prolétariat à la réalisation de ses tâches historiques, pour miner et faire
basculer le système capitaliste. Pour ce qui est de la période actuelle ( que nous jugeons donc non révolutionnaire, ce qui ne veut pas
dire (…) qu’elle soit stable ), c’est beaucoup moins clair. Il faudrait d’ailleurs
distinguer les phases de repli de la classe ouvrière de celles où elle est à
l’offensive. Pour nous le problème n’est pas résolu (…). » ( « Situation en Europe et lutte armée », p. 19. )
Nous prenons acte de l’évolution de la position de l’OCML Voie Prolétarienne et des portes qu’elle laisse
ouvertes, tout comme nous remarquons les constantes de cette position ( rejet du réformisme armé, de la
propagande par le fait, etc. ) Que les camarades de VP soient convaincus que nous ne leur
faisons aucun mauvais procès si à l’occasion nous traitons de leurs anciennes
positions et analyses !
Mais simplement, nous l’avons dit, au-delà de l’échange bilatéral nous espérons
aussi mettre cette contribution au service d’autres militants, et notamment de
certains qui défendent encore aujourd’hui ces thèses dont VP s’est un jour
écartée, selon nous avec raison.
Lutte armée et politique
révolutionnaire
A. Comment se pose le problème aujourd’hui
Dans la brochure de mai 1991, les camarades de VP
semblent vouloir amener leur lecteur critique à une conclusion qui selon nous ... ne conclut rien du tout. Ils
s’attachent en effet dans un premier temps à exposer avec rigueur la définition
léniniste de la situation révolutionnaire et, dans un second, à démontrer que
la situation actuelle en Europe n’y correspond pas. On ne peut que leur donner
raison sur ces deux points. Il est incontestable que la critique du lecteur
souffrait de confusion à ce propos et nous reconnaissons à l’exposé comme à
l’analyse de VP une grande justesse. Mais
en quoi ces arguments suffiraient-ils à résoudre le problème posé ?
Si nous comprenons bien le point de vue de V.P, les
camarades distinguent trois cas de figure : la situation non révolutionnaire, la situation
révolutionnaire et la situation de crise révolutionnaire. La dernière
correspond à la période insurrectionnelle et, vu que tout le monde est d’accord
pour dire que cette phase est obligatoirement ( et quasi exclusivement ) militaire, nous ne lui accorderons
pas vraiment d’attention dans ce débat particulier. Reste donc la situation non
révolutionnaire et la situation révolutionnaire.
Dans la même brochure, nous avons découvert que Voie
Prolétarienne accordait à « la guérilla » un rôle au cours de la situation révolutionnaire : « un rôle — précisons-le — central
dans la maturation des contradictions, pour avancer et éduquer le prolétariat à
la réalisation de ses tâches historiques ... »
Peut-on en conclure que la guérilla n’a pas de rôle à jouer dans la situation
non révolutionnaire ? « C’est moins clair ... » biaisent
les camarades. Pour notre part nous pensons que cela n’est pas une réponse et
qu’il y a là au moins une lacune dans la position de VP.
Il ne s’agit pas ici d’une analyse avec laquelle nous
serions en désaccord mais d’un trou, un vide dans la trame des analyses : il manque celle qui démontrerait
l’inopportunité de la lutte armée ( sous quelque forme que ce soit ) avant que la situation devienne
révolutionnaire. Et les documents de VP antérieurs à la brochure de mai 1991 ne
sont naturellement d’aucun secours à ce propos puisque dans ceux-là la lutte
armée était exclusivement cantonnée au domaine insurrectionnel.
Telle que nous la percevons la position des camarades
de VP a donc fortement évolué — mais s’est en même temps créée une
inconséquence. D’une position initiale dogmatique réservant exclusivement la
lutte armée au domaine militaire de l’insurrection, les camarades sont passés à
une position lui reconnaissant « un rôle central dans la maturation des contradictions, pour
avancer et éduquer le prolétariat à la réalisation de ses tâches historiques ... » lors de la situation
révolutionnaire, mais sans aucune explication quant au fait qu’ils réservent
maintenant exclusivement ce rôle à cette situation particulière. Un silence
insatisfaisant et d’autant plus gênant que l’on se rapproche du cœur du
problème.
Certes il convient d’être prudent et de ne pas
s’engager à la légère à cet égard. Reconnaître l’opportunité théorique de la
lutte armée avant même l’apparition d’une situation révolutionnaire… c’est affirmer la nécessité de la lutte armée ici et maintenant.
Mais il nous semble quand même que l’essentiel du chemin théorique a été fait
par les camarade de l’OCML
Voie Prolétarienne quand ils en arrivent à reconnaître à la lutte armée un rôle politique.
Nous voilà au cœur du problème. C’est sur ce rôle politique et non le concept ou l’actualité de la
situation révolutionnaire que doit
porter le débat concernant la lutte armée aujourd’hui en Europe de l’ouest.
B. Le rôle politique de la propagande armée
Le rôle imparti par les Cellules Communistes
Combattantes à leur activité militaire en 1984/1985 était essentiellement
politique : la propagande armée. Dans
sa brochure de 1979, VP évacuait de façon très commode le concept de la
propagande armée ( pourtant
pratiquée à grande échelle à l’époque par les Brigades Rouges ) et ne parlait que de « propagande par le fait » ( un renvoi aussi expéditif qu’abusif
aux anarchistes de la fin du siècle passé et des premières années de celui-ci ). Cette filouterie a heureusement
disparu dans les documents ultérieurs pour faire place, par exemple dans « Terrorisme et politique », à une série d’interrogations
critiques :
« La violence étant considérée comme un des moyens essentiels
de la prise du pouvoir et de la transformation de la société, quelle éducation
politique des masses peut-il y avoir dès
aujourd’hui sur cette question ? (…) Est-il envisageable d’organiser la violence de masse,
ou bien de mener des actes exemplaires, de violence minoritaire ? Avec quel travail politique, dans
quelle perspective, avec quel travail d’organisation ? Le débat sur ce type d’actions,
d’actes de terrorisme politique, est-il important ? N’est-il pas beaucoup plus
important de s’attacher à organiser la violence de masse, dans les usines, les
quartiers ? N’y a-t-il pas beaucoup
plus à apprendre de l’expérience des mineurs anglais que des Brigades Rouges ? » Etc.
Il faudra donc attendre la brochure récente « Situation en Europe et lutte armée ( Débat avec un
lecteur ) » pour que, nonobstant une ultime
hésitation ( un « sans doute » ), les camarades de Voie
Prolétarienne reconnaissent enfin une fonction politique à la lutte armée. Pour
notre part — et nous aimerions connaître l’avis des camarades là-dessus — nous
concevons le rôle politique révolutionnaire de la lutte armée de la manière
suivante.
L’action armée vaut déjà en ce qu’elle aboutit
généralement à une perte matérielle pour l’ennemi. Aux premiers stades du
processus révolutionnaire cela revêt avant tout une importance indirecte, via
l’impact politique qui s’en dégage, mais ce n’est quand même pas négligeable en
soi. Retenons toutefois l’essentiel : l’impact politique de l’action de guérilla. Un coup porté
à l’ennemi, cela signifie à la fois qu’il est possible de porter l’attaque dans
son camp et qu’il existe dans le nôtre des forces résolues à le faire. Ce
double message répandu par toute action de lutte armée révolutionnaire coûte,
aux premiers stades du processus, bien plus cher à la position dominante du
régime que les dégâts concrets de l’action de guérilla.
La lutte armée entreprise d’ouverture dans le
processus révolutionnaire dans un pays capitaliste à régime démocratique est
donc fondamentalement politico-militaire : elle vise en priorité des objectifs politiques par des
moyens militaires. Ce qui impose bien entendu que l’action militaire soit
exclusivement déterminée en fonction de ses objectifs politiques. La propagande
armée traduit cette conception dans la réalité.
À quels objectifs politiques peut prétendre la lutte
armée révolutionnaire pour autant qu’elle soit correctement orientée et menée à
cette fin ? La pratique armée
matérialise l’idée même de lutte révolutionnaire au travers d’une manifestation
de pouvoir, d’une émancipation lucide et assumée du fonctionnement démocratique
bourgeois. Une lutte à prétention révolutionnaire mais œuvrant seulement dans
le cadre général du système est porteuse d’un vice de base objectif et
souffrira toujours à présent — et à juste titre — d’un manque de crédibilité
historique et politique aux yeux du prolétariat.
L’expérience des partis de la IIe
Internationale a enseigné qu’une insertion entière dans la légalité bourgeoise,
même si à l’origine elle se veut contrôlée ( et même provisoire ), débouche inévitablement sur le
réformisme et l’opportunisme. Lénine soulignait déjà le problème et son
importance dans « La faillite de la IIe Internationale » :
« Tout le monde est d’accord pour dire que l’opportunisme
n’est pas un effet du hasard, ni un péché, ni une bévue, ni la trahison
d’individus isolés, mais le produit social de toute une époque historique.
Cependant, tout le monde ne médite pas suffisamment sur la signification de
cette vérité. L’opportunisme est le fruit de la légalité. (…) Pour un
socialiste il ne saurait y avoir qu’une seule conclusion : le pur légalisme, le légalisme
sans plus des partis " européens " a fait son temps et est devenu, de par le
développement du capitalisme au stade pré-impérialiste,
le fondement de la politique ouvrière bourgeoise. Il est nécessaire de le
compléter par la création d’une base illégale, d’une organisation illégale,
d’un travail social-démocrate illégal, sans abandonner pour autant une seule
position légale. » ( Œuvres complètes, tome 21, pp. 254
et 262 ).
Et l’expérience des partis de la IIIe Internationale
a confirmé le phénomène :
que l’on considère la faillite révisionniste des PC institutionnalisés,
aujourd’hui en voie de décomposition ou de liquidation.
La lutte armée — nous l’avons dit dès l’introduction
— n’offre évidemment pas de garantie absolue contre les déviations
opportunistes ou autres, mais elle place les protagonistes de la lutte des
classes à un haut niveau d’antagonisme et réduit par là à quasi rien la marge
de manœuvre du réformisme. Preuve en est donnée par ce simple exemple : les réformistes se sont toujours
détournés des organisations révolutionnaires armées avec autant de conviction
qu’ils mettaient à rejoindre en rangs serrés des partis à prétention
révolutionnaire mais dont les orientations stratégiques étaient scrupuleusement
respectueuses de l’espace délimité par la bourgeoisie pour les forces
d’opposition. Mao Tsé-toung écrivait à ce propos : « Une guerre révolutionnaire agit
comme une sorte de contrepoison, non seulement sur l’ennemi dont elle brisera
la ruée forcenée, mais aussi sur nos propres rangs, qu’elle débarrassera de
tout ce qu’ils ont de malsain. » ( « De la guerre prolongée » )
La lutte armée présente donc deux qualités stratégiques / politiques indissociables : elle est pratique révolutionnaire
totalisante et elle apparaît en tant que telle. Non seulement elle trace
matériellement une ligne de démarcation bien nette entre l’ennemi et nous ( au contraire
d’une lutte intégrée au cadre démocratique bourgeois ), mais de surcroît cette ligne de
démarcation tangible révèle au prolétariat l’existence d’une initiative
réellement révolutionnaire, réellement irréductible.
Ces qualités font aussi de l’action armée un
excellent vecteur pour la propagande et le discours révolutionnaire. Pour
autant qu’elle soit menée de façon judicieuse, c’est-à-dire contre des
objectifs clairement perçus comme hostiles par les masses et sans léser ces
dernières, l’action armée permet de répandre au sein du prolétariat des
principes idéologiques, des thèses politiques, stratégiques, nombreuses et
précises. À ce niveau, bien sûr, la lutte armée doit être épaulée par une
activité d’agit-prop traditionnelle ( diffusions de tracts, publications diverses, prises
de parole, etc. ) On comprend donc que
l’agit-prop est indissociable de la lutte armée en même temps qu’elle lui est
nécessaire.
Aux premiers stades du processus révolutionnaire, la
raison de l’action armée est surtout idéologique et politique. Au fur et à mesure
que ce processus gagne en ampleur, acquiert de maturité, se rapproche de son
objectif véritable qui est la prise du pouvoir par le prolétariat et la
destruction de la bourgeoisie ( de
son État, ses forces armées, etc. ), la raison de l’action armée devient surtout militaire. Et
si l’importance réelle du rôle politique et stratégique initial de l’action
armée n’apparaît pas au premier coup d’œil — et que pour cette raison il soit
éventuellement permis d’en discuter —, il n’en va pas de même en ce qui concerne
son rôle militaire ultérieur. Comme les camarades de l’OCML
Voie Prolétarienne semblent parfaitement d’accord avec nous sur ce dernier
point, nous ne nous y attarderons pas ici.
C. La lutte armée comme élément stratégique
du processus révolutionnaire
Notre conception de la lutte armée ( conception politico-militaire
débouchant en premier lieu sur la notion de propagande armée ) s’appuyant sur les caractères
historiques généraux de nos sociétés et l’objectif inaliénable de la révolution
prolétarienne, elle permet d’écarter une certaine objection — très répandue et
fort usée d’ailleurs — que VP reprend à son compte : la lutte armée serait prématurée,
l’heure serait à « un patient travail
d’organisation et de politisation des éléments avancés de la classe ouvrière » et non au « ralliement des masses à la
révolution ».
Opposer cet argument à la praxis armée des Cellules
Communistes Combattantes en 1984/1985 ou à d’autres forces du courant
marxiste-léniniste au sein du mouvement révolutionnaire européen démontre
seulement une profonde incompréhension de la nature stratégique de cette
praxis. Nous ne concevons pas la lutte armée comme Lénine dans son célèbre
article « La guerre de partisans » ( nous développons quelque peu cette
question dans le document « Sur le Parti combattant » — mai 1991 ). Nous pensons qu’il est possible
et nécessaire d’entreprendre la lutte armée aux premiers stades du processus
révolutionnaire, à savoir précisément dans les moments où ne se pose pas encore
la question de « rallier les masses à la
révolution », mais seulement et
impérativement celle « d’organiser
et politiser [ sur une base révolutionnaire ] les éléments avancés de la classe
ouvrière ».
Si nous demandions aux critiques ( honnêtes ou malhonnêtes ) de la lutte armée aujourd’hui
comment eux conçoivent le travail d’organisation et de politisation des
avant-gardes, ils répondraient quelque chose du genre « par la propagande, l’agitation et le
développement des structures militantes » ( et
ne manqueraient pas d’insister sur la patience que requiert tel travail ). Pensent-ils donc qu’à travers la
lutte armée nous fassions autre chose ? ( et
souffrions d’une impatience irrépressible ? ).
Nous nous souvenons d’une contribution de militants
allemands dans laquelle ils demandaient aux tenants de la critique
contemplative où il était écrit une fois pour toutes que la propagande
révolutionnaire ne serait que du papier imprimé ! Et allant plus avant, le camarade Oriach rappelle que la rupture révolutionnaire de
l’initiative d’agit-prop varie selon les situations : distribuer un tract socialiste
dans la Russie des Romanov exposait à la déportation. « À la limite — ajoute-t-il —
accrocher un drapeau rouge à l’époque tsariste était une dissidence aussi
radicale que poser une petite bombe aujourd’hui. »
On aurait tort de négliger la portée stratégique de
tel argument. Nonobstant le contenu des textes mis en circulation lors de
l’initiative de propagande révolutionnaire ( contenu dont la justesse et la
qualité sont naturellement essentielles ), la valeur et l’efficience de cette initiative varient
selon qu’elle s’inscrit dans le train-train de la démocratie bourgeoise ou
qu’elle rompt ouvertement avec le régime. Ce dernier d’ailleurs ne s’y trompe
pas : il reste indifférent, à
l’extrême bienveillant, envers les groupes — relevant de la liberté
d’association — qui distribuent des journaux et des tracts — relevant de la
liberté d’expression — et il réprime graduellement l’activité politique
publique en faveur de la lutte armée ( rares sont les pays européens où la diffusion ou
même seulement la détention de déclarations d’organisations combattantes ne
fait pas encore l’objet de poursuites judiciaires ). Nous n’attachons bien évidemment
pas, à la manière des subjectivistes, une valeur mythique à la démonstration de
rupture ou de rébellion. Nous pensons simplement que l’insertion du travail
d’agit-prop dans le cadre d’une lutte totalisante contre le régime est le gage
même de son efficience.
Il faut dire ici quelques mots concernant un point
très important : l’organisation, finalement
le Parti. L’organisation ne se développe ni hors ni avant la lutte. Elle prend
naissance dans la lutte révolutionnaire, y grandit de pair avec le
développement et la maturation des forces révolutionnaires dans la radicalisation
de l’affrontement des classes, jusqu’à acquérir la dimension objective de Parti
de classe.
Comment serait-il imaginable d’engager réellement le
processus de construction organisationnelle, de cheminement vers le Parti, sans
travailler à la création objective des conditions subjectives mêmes du progrès
révolutionnaire et donc du progrès organisationnel ? Que l’on nous pardonne de le citer
une nouvelle fois, mais le propos du camarade Oriach
nous semble extrêmement pertinent à ce sujet :
« Elle [ la
lutte armée ] doit se faire l’expression
concrète du processus d’émergence politique de l’avant-garde organisée du
prolétariat, avant-garde qui est le lieu où se catalyse la conscience de classe
du prolétariat, ce qui est la fonction historique du Parti et place, par
conséquent, la lutte armée comme partie intégrante et indissociable du
processus de construction du Parti. » ( « La lutte armée, nécessité
stratégique et tactique du combat pour la révolution », ch. V, pt. 6. )
L’effroyable sclérose frappant le large éventail des
petits groupes qui rejettent la lutte armée aujourd’hui en même temps qu’ils
prétendent la rallier demain ( en
cas de situation révolutionnaire ) révèle combien l’extrême gauche apparue en opposition au
révisionnisme des PC issus de la IIIe Internationale
en a malgré tout hérité d’un des principaux vices de base. Car finalement, ces
partis de la période 1920-1960 n’ont-ils pas été les premiers durant des
décennies à vouloir préparer dans la légalité ( ou para-légalité ) bourgeoise une insurrection…
toujours reportée ? Et ne sont-ils d’ailleurs
pas en leur temps arrivés à un succès inégalable de mobilisation dans cette
voie improductive, illusoire ? Depuis plus ou moins trente ans maintenant une variété
incroyable de petites forces végètent tant bien que mal, se partageant — avec
une redoutable patience — entre un travail d’organisation et de politisation
systématiquement stérile, les délices étranges de la scolastique et du
dogmatisme, et une critique contemplative des réelles initiatives révolutionnaires
souvent promptement expédiées à l’aide de la vieille tarte à la crème qu’est la
« propagande par le fait ».
À cet égard nous avons eu le plaisir de voir évoluer
le discours de Voie Prolétarienne dans la bonne direction. Tandis que dans la
brochure de 1979 toutes les organisations combattantes — dites « terroristes » — se voyaient d’office accusées de
ressusciter la Bande à Bonnot, la brochure de mai 1991 se limite
raisonnablement à rappeler qu’un retour à cette propagande par le fait est
exclu.
D. La critique léniniste du terrorisme
anarchiste est juste
Il n’est pas surprenant que la propagande par le fait
ait souvent servi d’épouvantail cautionnant le rejet de la lutte armée. D’une
part, cette option a fait à juste titre l’objet d’une condamnation définitive
par le Marxisme-Léninisme ; d’autre part, elle rappelle dans
l’apparence l’orientation des organisations combattantes actuelles, puisqu’il
s’agit dans chaque cas de mener des actions armées pour amener les prolétaires
à l’action révolutionnaire. Cependant, un rapide examen politique montre le
gouffre qui sépare notre conception de la propagande armée de la conception
traditionnelle de la propagande par le fait, qui connut son heure de gloire au
début du siècle avec les Ravachol, Henri et autres Vaillant.
La logique stratégique de la propagande par le fait
était limpide. Un révolutionnaire posait un acte révolutionnaire individuel et
idéaliste ( régicide,
attentat à la bombe contre le parlement, etc. ) et son action était censée amener
quelques opprimés à la même conscience individuelle et idéaliste de la justesse
et de la possibilité de combattre le régime. Conscience qui devait
naturellement les entraîner à leur tour et chacun de son côté à poser des actes
semblables, le tout engendrant un effet boule de neige à travers lequel
s’inverserait progressivement le rapport de force révolution / réaction. Le mécanisme opéra
tactiquement durant une certaine période ( juste le temps nécessaire à
démontrer son vice idéaliste ) en ce que la répression féroce de la bourgeoisie n’empêcha
pas que de nombreux révolutionnaires reprennent le flambeau de leurs camarades
exécutés. Mais l’échec stratégique de la propagande par le fait fut entier dans
la mesure où les anarchistes, s’ils parvinrent à maintenir vivante la flamme de
l’action révolutionnaire par un haut esprit de sacrifice, n’arrivèrent jamais à
allumer — ne fût-ce même qu’un tout petit peu — le feu de la guerre sociale
qu’ils appelaient de leurs vœux.
Nos divergences avec l’anarchie sont bien entendu complètes
( philosophiques,
idéologiques, politiques, etc. ), mais cela n’est pas l’objet de ce
travail. Nous nous contenterons ici de souligner ce
qui différencie au niveau politico-stratégique notre lutte armée de la propagande par
le fait des anarchistes. Pour notre part, nous ne faisons pas de l’action armée
l’alpha et l’oméga du processus révolutionnaire : nous la mettons au service d’un
élément historique inconnu des anarchistes, l’organisation et la
conscientisation, dont le degré le plus élevé est le Parti de classe.
Les Cellules Communistes Combattantes n’ont jamais eu
l’idée de mener des actions armées à titre individuel afin que d’autres
personnes s’y consacrent à leur tour au même titre, par contagion idéaliste, et
qu’au travers d’une progression arithmétique inexorable on s’en retrouve un
beau soir à la veille de la révolution sociale. L’activité armée de notre
organisation s’est inscrite d’emblée dans une perspective partitiste visant à révéler au sein du prolétariat le projet révolutionnaire
de classe et sa validité ( de
même que la validité de la force qui y œuvre, puis l’incarne ), à y populariser les principes
communistes, les thèses marxistes-léninistes, etc.
À la différence de la propagande par le fait, la
propagande armée communiste ne mesure par ses succès au nombre de personnes
entraînées à prendre individuellement les armes après chaque opération. Elle
les mesure à la pénétration du projet et des thèses révolutionnaires au sein du
prolétariat — à l’élévation de sa conscience pour soi — et à l’accroissement des capacités et de l’influence du
Parti ( ou
des forces organisationnelles en marche vers le Parti ). La guérilla croît seulement dans
un second temps, via les structures partitistes, lorsque ces structures ont pu capitaliser et
traduire matériellement les progrès de politisation et d’unification de la
classe permis par la propagande armée.
En fait, si des similitudes existent entre la
pratique de propagande par le fait des anarchistes et des manifestations
récentes de lutte, nous pensons qu’il faut les chercher du côté du courant dit « anti-impérialiste » dans le mouvement révolutionnaire « combattant ». Car la lutte du « Front Anti-Impérialiste », comme la propagande par le fait,
rejette toute conception organisationnelle centralisée tendant à se réaliser en
Parti de classe, ce qui est somme toute naturel compte tenu que ce courant
partage avec les anarchistes de pure eau bien des éléments idéologiques et
politiques ( désintérêt du matérialisme
historique, rejet de l’analyse scientifique des classes, refus du Parti
dirigeant et de la ligne de masse, revendication individualiste libertaire, etc. )
comme en témoignent particulièrement en France l’expérience d’Action Directe et
en Belgique celle de son excroissance aventureuse dénommée « FRAP ».
E. Expériences et leçons, évolution et
influence de la lutte armée communiste
Il n’est pas inintéressant de noter que l’évolution
de la position de l’OCML Voie Prolétarienne est
sensible à l’évolution du mouvement révolutionnaire combattant lui-même. Nous
passerons sur la brochure de 1979 au dogmatisme rabique, qui aborde le
phénomène de dix années de lutte armée en Europe de l’ouest comme s’il
s’agissait — toutes initiatives confondues — de la résurrection de la Bande à
Bonnot ou de Narodnaïa Volia.
Toutefois, nous reconnaîtrons quand même qu’en 1979 le mouvement
révolutionnaire « combattant » souffrait d’énormes faiblesses
théoriques, politiques et stratégiques ( bien plus graves encore qu’aujourd’hui ! ) de même que d’une confusion
interne à la hauteur de son hétérogénéité inavouée. Si on ajoute à ce tableau
un grand manque de communication qui laissait dans l’inconnu les thèses et
objectifs d’importantes fractions du mouvement, on peut comprendre la
difficulté d’une analyse exacte de la part d’une force extérieure. À la vision
fausse et grossière de VP à cette époque correspondait le flou extrême d’un
mouvement « combattant » où avoisinaient sans gêne
apparente les expériences et les orientations les plus variées, des plus
fertiles aux plus stériles.
Les grandes victoires remportées par les Brigades
Rouges au cours de la période 1978-1981 ont manifestement forcé les camarades
de VP à une révision de leur première analyse. Cette révision est flagrante
dans le dossier consacré à l’expérience des BR dans Pour le Parti de février
1981. Ces victoires contribuèrent aussi à la maturation des éléments subjectifs
constitutifs de notre organisation. Elles faisaient la démonstration pratique
de la justesse politico-stratégique de la voie de la
guérilla urbaine dans la lutte communiste en Europe occidentale et de cette
façon elles encouragèrent puissamment la genèse des Cellules Communistes
Combattantes.
Si les grandes luttes et victoires des Brigades
Rouges durant ces années focalisèrent l’attention intéressée et bienveillante
des camarades de VP, les rudes défaites accusées dans les années suivantes
allaient se répercuter tout autant — mais inversement ! — dans leur point de vue. Sans
doute était-ce là encore une manifestation de cette faiblesse générale de part
et d’autre dont nous parlions plus haut. Quoi qu’il en soit, on pouvait lire
dans Partisan no 12 ( juin-juillet 1986 ) :
« Après l’apothéose de l’action Aldo Moro et de l’affaire d’Urso, les BR se sont précisément retrouvées incapables
d’avancer. L’immense sympathie acquise dans ces actions ne servira à rien, face
à la répression d’une part, aux flottements politiques d’autre part. Les masses
resteront spectatrices et les BR disparaîtront progressivement, seul un petit
noyau tentant de poursuivre la réflexion et la réorientation nécessaire. C’est
bien de l’échec d’une stratégie politique qu’il faut parler. (…) Les textes
disponibles [ des
textes abordant l’autocritique entamée par les BR ] montrent en tous les cas bel et
bien que le rapport entre travail politique et travail militaire était au
centre du débat, et qu’il fallait sérieusement autocritiquer les déviations
militaristes des BR, remettre au premier plan le travail politique et
d’organisation. »
C’est ce qui s’appelle s’échiner à faire entrer le
bébé dans le siphon et c’est ainsi que l’on bouche la tuyauterie de la
baignoire. Plus sérieusement, qu’il nous soit permis en toute humilité devant
l’expérience des Brigades Rouges d’évoquer les leçons de la lutte de notre
organisation, car elle a reproduit — à sa modeste échelle — les déviations et
les erreurs dont il est question ici.
La ténuité des liens organiques entre les Cellules
Communistes Combattantes et la classe ouvrière nous impose la prudence, mais de
très nombreux indices ont révélé que l’effet visé par l’activité
politico-militaire de notre organisation fut réellement obtenu. Avant de
rejoindre les Cellules — et leurs structures clandestines — en octobre 1985,
Pascale et Didier ont eu l’occasion durant toute une année de travail public
d’agit-prop d’entrer en contact avec différents secteurs prolétariens et
d’apprécier leurs réactions à l’apparition et au développement de la propagande
révolutionnaire. Les leçons qu’elle et lui ont tirées de cette expérience sur
le terrain — et qui ont notamment déterminé leur engagement combattant — ont
été systématiquement confirmées par d’autres expériences d’agit-prop en
direction du prolétariat.
Notre organisation bénéficiait indiscutablement d’une
sympathie large et confuse dans de nombreuses couches populaires, mais ce
sentiment procédait infiniment plus du rejet du régime et de la politicaillerie
bourgeoise, de la revanche, que d’une réelle adhésion au projet communiste, au Marxisme-Léninisme, ou à la stratégie de la guerre
révolutionnaire prolongée. À côté de cette sympathie aussi répandue que vague,
inévitablement fragile, l’activité des Cellules Communistes Combattantes
suscitait deux réactions opposées et clarificatrices qui méritent d’être
soulignées. D’abord, une haine farouche de la part de toute la bourgeoisie et
de la petite bourgeoisie intellectuelle qui lui sert de porte-voix ( politiciens
réformistes, personnalités «progressistes», journalistes, juristes, etc. )
Ensuite une adhésion assez remarquable — quoique encore attentiste — de la part
des secteurs prolétariens d’avant-garde.
L’expérience des camarades qui ont mené l’agit-prop
publique en 1984/1985 est là pour confirmer combien les campagnes de propagande
armée engendraient des potentialités énormes de développement et progrès
révolutionnaires, combien finalement la valeur stratégique de la propagande
armée est fantastique et irremplaçable. Mais plus loin force nous est de
reconnaître que ces potentialités ont été bradées : elles n’ont jamais fait l’objet
d’une véritable estimation ni exploitation pour les convertir en forces
révolutionnaires actives. C’est naturellement là une erreur dont l’entière
responsabilité incombe aux Cellules Communistes Combattantes. Comment en est-on
arrivé précisément à tel gâchis ? Plusieurs explications se recoupent.
Il y a eu d’ouverture une mauvaise perception de ce
que doit être la dialectique propagande armée / exploitation politico-organisationnelle des fruits de la propagande
armée. Bien qu’à l’époque déjà théoriquement attachées
au projet du Parti combattant, les Cellules n’ont pas su en traduire
correctement les données dans leur situation propre. L’inexpérience et un
défaut d’analyse ont amené notre organisation, sur base de la conception —
juste au demeurant, nous en restons persuadés — du développement révolutionnaire
par bonds organisationnels ( petites cellules initiatrices éparses, convergence politique
et unification organisationnelle, Parti combattant ), à penser qu’une division tacite
des tâches entre forces révolutionnaires légales et illégales pouvait permettre
aux dernières, au premier stade du processus, de se concentrer sur les tâches
politico-militaires. Or, même à ce stade initial une gestion centralisée de
tous les aspects politiques et militaires de la lutte est nécessaire : elle seule permet de doser
correctement les investissements politiques et militaires et de leur assurer
ainsi une interaction dialectique et productive. Certes l’agit-prop publique en
tant que telle est inaccessible aux structures combattantes pour d’évidentes
raisons de sécurité, mais même embryonnaires elles doivent déjà assurer
elles-mêmes l’exploitation politique de leur travail de propagande armée et non
se laisser enfermer dans une division des tâches apparemment naturelle mais en
fait aveuglante et paralysante.
Cette erreur de base en a entraîné d’autres, sans doute inévitables, aux effets directement néfastes. Primo,
de la part des forces combattantes une tendance à la surestimation systématique
de la qualité des forces légales en place. Secundo, de la part des forces légales
une tendance à leur propre surestimation en même temps qu’à une installation
quasi corporative. Signalons aussi de la part de tous
une tendance à négliger le développement structurel et la formation de cadres
sûrs et compétents, et on aura réuni les principaux éléments qui ont conduit
aux difficultés, puis à l’éloignement et finalement à l’errance politique des
forces légales. Les forces combattantes se sont retrouvées pratiquement
démunies de tout relais militant public de base, unifié et capable. Et dans
l’expérience particulière des Cellules, il faut encore ajouter une déviation de
type militariste, déviation certes inexcusable mais qui s’explique par les
succès du travail politico-militaire dépassant largement les espérances
initiales.
Cette déviation regrettable au sein même de
l’activité de notre organisation retarda gravement la prise de conscience ( et encore
l’application de mesures rectificatives ) du dysfonctionnement de la dialectique vitale propagande
armée / exploitation politico-organisationnelle
de la propagande armée. Cette même déviation amena à la multiplication des
actions de guérilla alors même qu’il apparaissait qu’elles ne pourraient être
exploitées, donc à un investissement militaire toujours plus disproportionné
par rapport aux besoins politiques ( et conséquemment toujours plus aux dépens de la
restructuration organisationnelle nécessaire pour faire face à ces besoins ). Sur un autre plan, nous pensons
aussi que cette déviation militariste fut à l’origine de la vulnérabilité de notre
organisation à l’attaque policière de l’hiver 1985. Ce qui n’aurait dû être
qu’un mauvais coup dans la lutte prit la dimension d’une défaite sévère.
En ne craignant pas d’invoquer l’échec accusé par les
Brigades Rouges après dix années de lutte offensive ou, toutes proportions
gardées, notre propre défaite de 1986, nous voulons démontrer aux camarades de
l’OCML Voie Prolétarienne combien ils auraient tort
d’interpréter ces assauts brisés comme la démonstration de l’inadéquation
absolue de la lutte armée dans les conditions actuelles. Bien sûr la tentation
est grande, et d’autant que nombre d’ex-militants des BR ( ou de l’UCC ) préconisent eux-mêmes maintenant
l’abandon — provisoire ?
— de la lutte armée, mais il faut se montrer plus exigeant dans l’analyse
politique, se méfier des conclusions hâtives et superficielles, tendancieuses.
À notre avis, malgré son échec, l’expérience des
Brigades Rouges a clairement démontré combien la lutte armée était dorénavant
indissociable de l’activité révolutionnaire dans les pays capitalistes à régime
démocratique, tout comme à son échelle et aussi malgré son échec l’expérience
des Cellules Communistes Combattantes a permis d’entr’apercevoir la justesse de
la stratégie de la guerre révolutionnaire prolongée.
La lutte armée en période non révolutionnaire, au
stade initial du processus de lutte révolutionnaire — c’est-à-dire précisément
quand son exploitation est mise en discussion par les camarades de VP — n’a de
sens qu’en tant que propagande armée ( et opérations logistiques, mais c’est une autre affaire ). Et tout ce que nous attendions de
( l’amorce
de ) la propagande armée nous
l’avons vu apparaître. Jamais le projet révolutionnaire n’a resurgi avec autant
de puissance, jamais l’accueil réservé par la classe ouvrière au discours
révolutionnaire communiste n’a été meilleur que quand les Cellules assenaient
avec entrain des coups politiques ( via des actions militaires ) au régime et à la bourgeoisie.
L’incapacité — corrigible par la
réflexion et l’expérience — d’exploiter ces potentialités ne peut être
confondue avec une non apparition de ces potentialités, et seule une non apparition
aurait pu amener à conclure à l’inopportunité de l’usage de lutte armée.
À notre avis il en va de même et d’une façon bien
plus flagrante avec l’expérience et la défaite des Brigades Rouges. La lutte
armée développée par cette organisation lui a permis de jouer un rôle
d’avant-garde révolutionnaire indiscutable au sein de la classe ouvrière
italienne et là fut prouvée la valeur de la propagande armée comme méthode pour
révéler et crédibiliser le projet révolutionnaire historique de classe auprès
du prolétariat. Que par la suite les BR aient été incapables de gérer le
mouvement qu’elles avaient déclenché et les forces qu’elles avaient fait surgir,
voilà qui ne peut masquer le fait que ce mouvement et ces forces avaient été
gagnés par la propagande armée ! Les limites de l’expérience des Brigades Rouges, leurs
propres faiblesses ( hétérogénéité
politique, versatilité idéologique, etc. ) et les erreurs qu’elles ont commises ( par exemple, vouloir entraîner les
masses sur le terrain de la lutte armée alors que la situation n’était pas de
crise révolutionnaire ),
ne sont pas inhérentes à la pratique armée. Par contre, les succès de
l’expérience des BR le sont bel et bien.
Les multiples plaidoyers de l’OCML
Voie Prolétarienne et de ses pairs en faveur du « patient travail d’organisation et de
politisation des éléments avancés de la classe ouvrière » n’infirment en rien, à notre sens,
la validité intrinsèque de la lutte armée communiste. Précisément parce que
cette lutte armée, comme l’expérience des BR ou la nôtre et d’autres encore en
témoignent, crée les conditions subjectives et objectives dont ce « patient travail » a besoin. Et que l’on nous pardonne
cette mesquinerie : si une difficulté à
dépasser l’étape atteinte devait témoigner de l’incorrection entière de
l’itinéraire choisi, que penser des voyageurs qui s’épuisent — patiemment —
sans jamais réussir à commencer le voyage ?
F. Violence d’avant-garde ou violence de
masse : un faux dilemme
Dans le chapelet de questions achevant le texte « Terrorisme et politique » au sommaire du numéro de Partisan
de juin-juillet 1986, on trouve l’interrogation
suivante :
« N’est-il pas beaucoup plus important de s’attacher à
organiser la violence des masses, dans les usines, les quartiers ? N’y a-t-il pas beaucoup plus à
apprendre de l’expérience des mineurs anglais que des Brigades Rouges ? »
À la même époque, comme un écho, un certain Becker —
adepte forcené de la critique contemplative — déclarait dans une brochure
intitulée « La voie erronée de la
guérilla urbaine en Europe Occidentale » : « Un jour de révolte à Birmingham
inflige aux impérialistes cent fois plus de dommages matériels que des années
de leur guérilla urbaine — mais le dommage le plus important est sans doute le
fait d’avoir porté des coups politiques et idéologiques à la bourgeoisie et ses
prétentions à une société juste et satisfaisante — à côté desquels les actions
des terroristes font pâle figure. »
Dans leur document « La critique contemplative » ( Resistencia no 4, novembre 1986 ) les camarades du Parti Communiste
d’Espagne ( reconstitué ) ont démasqué Mr. Becker et ses
fadaises opportunistes. À cette occasion ils se montrent légitimement excédés
par ce qu’ils qualifient très pertinemment de « faux dilemme » : « La violence de quelques-uns ou la
violence de beaucoup ».
Ils précisent que : « ... personne ici n’a dit que la
révolution puisse être l’affaire de quelques élus, si héroïques, ardents ou
disposés au sacrifice qu’ils se montrent. (…) Notre attention se concentre sur
la recherche des voies qui permettront aux masses d’approcher leur but, en
abandonnant les voies de garage et les chemins battus ( qui, comme cela est déjà
parfaitement démontré, ne mènent nulle part ). N’est-ce pas là, précisément, la
mission de tout parti authentiquement communiste ? » ( In Correspondances Révolutionnaires
no 8, octobre-décembre
1990. )
On ne peut légitimement opposer, comme s’il fallait
faire un choix, grève des mineurs anglais d’un côté et expérience des Brigades
Rouges de l’autre. Dans le premier cas il s’agit d’une puissante lutte
prolétarienne revendicative, dans le second d’une activité communiste en
direction de la classe. Le rapport entre ces deux données est d’interaction et
non d’exclusion. Face à une grande lutte ouvrière comme celle des mineurs
anglais dans la première moitié des années 1980, les communistes doivent agir
d’une double façon. Ils doivent appuyer cette lutte telle qu’elle est et ils
doivent en même temps saisir les possibilités qu’elle leur offre pour étendre
leur influence politique et leurs ramifications organisationnelles.
L’expérience des BR doit donc être étudiée de ce point de vue car elle est
riche d’enseignements, non pas dans la prétention absurde de remplacer les
luttes des masses mais dans la recherche d’une efficiente interaction avec
elles au profit de l’avancée révolutionnaire.
Le faux dilemme opposant violence minoritaire et
majoritaire débouche inévitablement sur des schémas opportunistes rejetant des
notions du Marxisme-Léninisme aussi importantes que,
par exemple, l’analyse historique ou le concept d’avant-garde. Violence
minoritaire ( partitiste ) et violence majoritaire ne
s’excluent nullement dans le cadre stratégique de la guerre révolutionnaire
prolongée, pas plus que lutte armée et « patient travail de politisation et d’organisation » ou encore guérilla et
insurrection. Rien ne pousse à choisir entre ces données et tout force à les
combiner au profit du progrès révolutionnaire : la violence des masses bénéficiera
de l’influence, de l’expérience et des forces accumulées par la violence
révolutionnaire communiste, le « patient travail de politisation et d’organisation » trouvera dans la propagande armée
un atout majeur et l’insurrection viendra à son heure couronner la guerre de
guérilla.
Bien des points de notre propos restent sûrement à
préciser, explorer, analyser. Nous en sommes conscients. Mais cela ne nous
empêche pas d’être pleinement convaincus de la justesse des idées que nous
avons avancées dans ce travail, justesse selon nous établie malgré la défaite
de notre organisation en 1986 et, dans une certaine mesure, grâce à elle.
Nous avons coutume au moment d’achever une rédaction
de nous excuser de la piètre forme de notre travail. Nous n’y manquerons pas
cette fois-ci, en toute sincérité. Nous espérons que nos lecteurs ne se sont
pas fatigués trop vite de nos lourdeurs de style, répétitions inutiles, abus de
la langue de bois, etc. Nous tâchons de nous améliorer à cet égard, mais bien
écrire aussi s’apprend !
Un dernier problème
spécifique et très important doit être abordé. Il
concerne le sujet même de la discussion ... et la difficulté d’en traiter publiquement. Comment en
effet débattre sereinement — librement — sous le nez des flics des questions
qui doivent être réglées hors de leur contrôle ? Certes on peut ramener tant que
faire se peut l’affaire au domaine théorique le plus strict, abstrait. Mais
comment oublier que pour nous la théorie est un guide pour l’action ? Nous nous
rendons compte aussi de la facilité
de notre situation : les soucis tactiques ne
nous rongent vraiment pas là où nous sommes pour l’instant. Alors nous voulons
rassurer les camarades de l’OCML Voie Prolétarienne
de notre compréhension du problème. Nous nous en
remettons entièrement à eux pour juger de la façon dont ils peuvent poursuivre
le débat. Nous savons qu’ils chercheront la manière la plus profitable à notre
cause commune, la cause du communisme.
Collectif
des prisonnièr(e)s des
Cellules Communistes Combattantes
Premier mai 1992
Comité Directeur de Voie
Prolétarienne
VIOLENCE
RÉVOLUTIONNAIRE ET
CONSTRUCTION DU PARTI,
AUJOURD’HUI, EN EUROPE
Nous avons accepté le débat proposé par les camarades
emprisonnés des Cellules Communistes Combattantes en Belgique pour une double
raison.
D’abord parce qu’ils proposent un vrai débat, pour approfondir la voie de la révolution communiste
dans nos pays, débat constructif et dénué de mesquineries sectaires. Nous
sommes d’ailleurs presque gênés des fleurs qu’ils nous envoient, dans la mesure
où les camarades nous donnent une importance que nous ne sommes pas sûrs
d’avoir. Ce style de débat tout à fait correct ne veut évidemment pas dire
recherche d’une unité au rabais, leur contribution, comme la nôtre montrant au
contraire le souci de défendre son point de vue et de convaincre. Ce style de
débat est trop rare pour que nous refusions la proposition, d’autant ( comme le
remarquent justement les camarades ) que nous avons oscillé à ce propos.
De plus, il s’agit d’une question importante, qui sème la confusion parmi les militant(e)s qui se réclament du communisme. Jouons cartes sur table : un certain nombre de militant(e)s ( en
France du moins ), sont réduit(e)s à
l’impuissance politique et stérilisé(e)s par la fascination qu’exerce encore
l’expérience passée de la lutte armée en Europe. Impuissance faute de
perspective qui réponde aujourd’hui à cette attente… Nous voulons tordre le cou
à une certaine forme de romantisme autour de la lutte armée, comme solution
hypothétique face aux difficultés actuelles du communisme militant.
Pourquoi avec les CCC ? Parce que ce sont les camarades
qui nous l’ont proposé, sous une forme qui nous
convenait. Le courant combattant en
Europe a toujours retenu notre attention, plus particulièrement sa fraction qui
se réclamait du Marxisme-Léninisme. Et dans celle-ci, les débats au sein des
Brigades Rouges, puis la constitution des CCC nous intéressaient
particulièrement, dans la mesure où primo
nous partagions une même critique des (ex-)pays de l’Est et secundo nous nous rejoignions sur un
projet théorique commun, la construction du Parti et le travail pour faire
émerger une conscience communiste dans l’avant-garde ouvrière. Outre, bien
entendu, l’accord avec la place de la lutte armée dans l’histoire, même si nous
jugeons qu’elle n’est pas d’actualité en France, ni probablement en Belgique.
Le contexte politique de la
lutte armée
A. Une position générale
Avant de revenir sur nos divergences, il nous faut
revenir sur les conditions de cette forme de lutte. C’est en effet une
constante de tout le courant combattant
européen de traiter de la lutte armée « en général », sans caractériser le contexte dans lequel elle se
déroule. Il n’y a rien de plus faux.
Le fameux texte de Lénine « La guerre de partisans » ( cité par les camarades ) commence ainsi :
« En premier lieu, le marxisme diffère de toutes les formes
primitives du socialisme en ce qu’il ne rattache pas le mouvement à quelque
forme de combat unique et déterminée. (...) Absolument hostile à toutes les
formules abstraites, à toutes les recettes de doctrinaires, le marxisme veut
que l’on considère attentivement la lutte de
masse qui se déroule et qui, au fur et à mesure du développement du
mouvement, des progrès de la conscience des masses, de l’aggravation des crises
économiques et politiques, fait naître sans cesse de nouveaux procédés, de plus
en plus variés, de défense et d’attaque. (...)
« En second lieu, le marxisme exige absolument que la question
des formes de lutte soit envisagée sous son aspect historique. Poser cette question en dehors des circonstances
historiques, concrètes, c’est ignorer l’abc du matérialisme dialectique. À des
moments distincts de l’évolution économique, en fonction des diverses conditions
dans la situation politique, dans les cultures nationales, dans les conditions
d’existence, etc., différentes formes de lutte se hissent au premier plan,
deviennent principales, et par la suite, les formes secondaires, accessoires,
se modifient à leur tour. Essayer de répondre par oui ou par non, quand la
question se pose d’apprécier un moyen déterminé de lutte, sans examiner en
détail les circonstances concrètes du mouvement au degré de développement qu’il
a atteint, ce serait abandonner complètement le terrain marxiste. »
De fait, tous les théoriciens du marxisme se sont
attachés à situer la lutte armée dans son contexte politique. Les écrits
militaires de Mao Tsé-toung traitent très précisément
de la Chine des années 1930 et commencent par l’analyse de la situation
économique, politique et sociale dans le pays ( « Pourquoi le pouvoir rouge peut-il
exister en Chine ? » ) Le livre de A. Neuberg écrit sous l’autorité de l’Internationale
Communiste en 1931 pour théoriser « l’insurrection armée », commence le bilan de chaque expérience particulière par
une même analyse ( « La situation politique générale en
Estonie en 1924 » ; « La situation en Allemagne et à
Hambourg en 1923 » ; « La situation en Chine et à Canton en
1927 » ).
Pour ce qui est de Lénine, sa position a évolué en
fonction des périodes :
nette opposition à la lutte armée en 1901/1902 ( « Par où commencer ? », « Que faire ? » ), pourtant en période de flux dans
le mouvement de masse, mais de confusion et de dispersion du mouvement
militant. Appel à la lutte armée lors de la révolution de 1905, puis poursuite
et développement de « la
guerre de partisans »
en 1906 après l’échec de la révolution ( mais persistance d’un fort
mouvement de masse ), à nouveau condamnation en
1908 en pleine période de désorganisation et de reflux, puis organisation de
l’insurrection d’Octobre en 1917.
Le désaccord entre les camarades des CCC et nous ne
porte ni sur la validité de la lutte armée pour la prise du pouvoir, ni sur le
principe de la construction du Parti. Il porte sur l’opportunité, aujourd’hui, dans nos pays, de mener la
lutte armée.
Parler de nécessité de la
lutte armée en Europe, c’est la justifier politiquement, dans le contexte
actuel. Malheureusement, les camarades des CCC ( comme la plupart des militants
combattants ) sont silencieux à ce
propos, et restent à l’affirmation de principe de sa nécessité. Leurs documents
sont hors du temps, et bien malin qui pourrait dire en quelle année ils ont été
écrits.
Nous laisserons de côté la lutte de la RAF allemande
et d’Action Directe en France. Pour ce qui est des Brigades Rouges en Italie,
il serait plus que nécessaire d’avoir un bilan historico-politique
de l’apparition et du déclin de cette organisation, dans le contexte de l’Italie des années 1970. Nous manquons
d’éléments, et sommes mal placés pour faire ce bilan, mais nous pouvons noter
leur développement sur la base primo
d’une forte progression du mouvement ouvrier, en quantité comme en qualité ( autodéfense et violence spontanée ), secundo de la dérive social-démocrate ouverte du PC italien, tertio du rejet et de la disparition de
l’extrême gauche traditionnelle ( Lotta Continua et Avanguardia
Operaia par exemple ) à partir de l’échec constaté de leur
opportunisme envers le PCI justement. C’est donc sur la base du discrédit des
partis traditionnels, en pleine confusion idéologique, que se sont constituées
les BR. Cela n’est évidemment pas indifférent pour comprendre leur évolution
ultérieure …
Qu’on s’entende bien : nous respectons profondément les
camarades qui se sont engagés sur ce chemin. Mais leur critique est nécessaire
et servira la cause de la révolution.
Les camarades des CCC affirment la nécessité
de la lutte armée. Nous posons la question : quels sont les éléments politiques
conjoncturels qui justifient cette affirmation ?
Sans doute est-elle similaire en Belgique…
Situation non révolutionnaire, nous sommes d’accord.
Période de restructurations, d’affrontement bourgeoisie / prolétariat où la première est à
l’offensive et la classe ouvrière en recul, avec reflux idéologique,
individualisme, esprit d’entreprise, consensus compétitif. Discrédit des
réformistes traditionnels qui laisse un champ libre au radicaux économistes du style PTB en Belgique ou Lutte Ouvrière en
France, ou aux réformistes modernes que sont les écologistes. Confusion à la
suite de l’effondrement du bloc de l’Est, interrogations sur le socialisme,
réapparition de l’anarchosyndicalisme, etc.
Nous n’allons pas refaire ici l’analyse de la
conjoncture publiée par ailleurs ( voir notre brochure « Nous vivons une époque formidable » ). Mais c’est cette analyse qui justifie notre position relativement à la lutte
armée. Les conditions objectives ( caractère de la crise actuelle ) et subjectives ( état des masses et des forces
communistes ) la rendent impossible et
dangereuse. Nous verrons plus loin à quelles conditions l’envisager en période
non révolutionnaire.
Les caractères prêtés à la
lutte armée
Le premier désaccord avec les camarades des CCC porte
donc sur le contexte politique dans lequel nous intervenons.
Revenons maintenant sur les justifications données
par les camarades de cette forme de lutte.
Nous avons bien noté ce qui nous unit, à savoir le
rejet des conceptions anarchistes et du réformisme armé, l’accord sur une
conception de la propagande armée ( objectif politique atteint par des moyens militaires ) insérée dans une conception plus
vaste de la construction du Parti et de la marche au communisme. En ce sens,
nous ne revenons pas sur la critique de la « propagande par le fait », que nous partageons et prenons
acte de la conception des camarades de la propagande armée qui est bien
différente. C’est d’ailleurs une constatation que nous avions faite dès les
premiers textes des CCC et qui avait suscité notre intérêt, par la démarcation
qu’ils introduisaient avec des organisations comme Action Directe.
A. Porter des coups à l’ennemi
Revenons sur les divers arguments : « L’action armée vaut déjà en ce
qu’elle aboutit généralement à une perte matérielle pour l’ennemi (...) cela
signifie à la fois qu’il est possible de porter l’attaque dans son camp et
qu’il existe dans le nôtre des forces résolues à le faire. »
Nous ne pouvons nier ce constat. On notera deux
choses : d’une part que la politique doit être au premier plan,
pour capitaliser les résultats de l’action armée. S’affirmer face à l’ennemi
n’a d’intérêt dans la classe ouvrière que si l’on peut capitaliser en
conscience et en organisation l’impact provoqué, ce qui suppose un certain
nombre de conditions préalables. Faute de quoi on suscitera certes intérêt et
sympathie, mais sans lendemain. D’autre part, les résultats de ce type d’action
dépendent de la dynamique et du contexte
social et politique. Période offensive de la classe ou repli, la perspective et la dynamique dans
lesquelles s’inscrit l’acte armé sont fondamentales. On ne peut donc parler de
propagande armée sans vision politique précise et actualisée.
Si nous sommes d’accord en général sur l’impact
politique que peut avoir une action armée bien définie, cela ne suffit pas pour
justifier sa mise en œuvre dès aujourd’hui.
Le deuxième argument avancé par les camarades est
plus surprenant, compte tenu des remarques générales contenues dans l’introduction
de leur document : « Nous n’estimons pas la
reconnaissance de la nécessité actuelle de la lutte armée comme la frontière
entre forces révolutionnaires et forces révisionnistes. (...) La pratique armée
n’est donc en aucun cas un critère de référence en soi. » Nous partageons tout à fait cette
analyse ( encore
qu’il faudrait définir où se trouve
la frontière, on y reviendra ... )
Comment alors comprendre les affirmations répétées
comme quoi : « la lutte armée (...) réduit par là à
quasi rien la marge de manœuvre du réformisme », ou encore : « [la lutte armée] trace
matériellement une ligne de démarcation bien nette entre l’ennemi et nous. (...)
révèle au prolétariat l’existence d’une initiative réellement révolutionnaire,
réellement irréductible. » ?
Dans notre plaquette « Situation en Europe et lutte armée », nous avons déjà eu l’occasion
d’affirmer notre désaccord avec cette position qui traduit encore une confusion
entre la conscience spontanée ( sympathie,
sentiment de revanche ... ) produite par l’acte et
l’apparition de la conscience communiste.
La deuxième ne découle nullement automatiquement de la première. Et les
exemples ne manquent pas en Europe même, de groupes armés ( « réellement révolutionnaires » pourrions-nous interroger ? ) ayant dégénéré pour cause
d’orientation idéologique vacillante, voire carrément réformiste. Sans vouloir
tourner le couteau dans la plaie, le dernier document de la Fraction Armée
Rouge allemande datée du 10 avril proposant l’arrêt de la lutte armée en
échange de la clémence de l’État allemand envers ses prisonniers politiques en
est une illustration.
Autre exemple, les confusions largement répandues ( sauf chez les CCC,
d’où l’intérêt de notre part ... )
sur la nature du socialisme et des ( ex- )pays
de l’Est. Chez Action Directe, à la RAF, au sein des Brigades Rouges, au PCE(r)
se retrouvent de mêmes hésitations, voire erreurs. Pour nous, la compréhension
du socialisme est une délimitation majeure avec l’opportunisme, dans la mesure
où la société de demain se prépare dès aujourd’hui. Et nous ne pouvons rien
avoir de commun avec des militants qui considèrent que la Chine des massacres
de Tien An Men ou la RDA sont ou étaient des pays
socialistes.
La lutte armée est une délimitation pratique,
à l’impact politique réel, mais une fois de plus c’est l’orientation
idéologique et politique qui prévaut, et la capacité à la cristalliser en
conscience et organisation communiste.
En fait, il nous semble que les camarades font une
confusion entre plusieurs niveaux :
« La pratique armée matérialise l’idée même (...) d’une
émancipation lucide et assumée du fonctionnement démocratique bourgeois. Une
lutte à prétention révolutionnaire mais œuvrant seulement dans le cadre général
du système est porteuse d’un vice de base objectif et souffrira toujours à
présent — et à juste titre — d’un manque de crédibilité historique et politique
aux yeux du prolétariat ».
La critique au légalisme et au démocratisme bourgeois est évidemment juste et
une des pierres de touche qui distinguent opportunistes et révolutionnaires.
C’est le sens d’ailleurs de la citation de Lénine reproduite par les camarades,
que nous partageons et nous n’avons pas, depuis notre création, eu les dents
trop dures contre toutes les variantes de ce courant.
Mais on ne peut assimiler « illégalité », « violence révolutionnaire » et « pratique de la lutte armée », marche que les camarades sautent
allégrement. Dans la lutte contre le légalisme et le démocratisme, il y a tous les degrés, dont le choix dépend du
contexte. Frédéric Oriach ne dit d’ailleurs pas autre
chose, dans la comparaison entre la Russie tsariste et l’Europe de la
démocratie bourgeoise.
Aujourd’hui, l’éducation révolutionnaire contre le
légalisme et le démocratisme fait
partie intégrante d’une activité communiste, sans forcément atteindre le niveau
de la lutte armée. Nous y reviendrons.
D. La lutte armée comme élément stratégique
Nous avons fait le tour des éléments précis
justifiant l’activité armée aujourd’hui. Reste le retour sur les considérations
générales justifiant stratégiquement cette activité.
La position des communistes combattants ( dont les CCC ) rend la lutte armée
incontournable, dès maintenant, quelles que soient les conditions politiques
objectives et subjectives. C’est un glissement important à partir de la
conception marxiste et léniniste qui, au minimum, manque de justifications.
Nous comprenons fort bien que les camarades fassent
la différence avec la position de Lénine dans « La guerre de partisans », le contexte n’est pas le même.
Mais nous n’acceptons pas ce caractère anhistorique
prêté à la lutte armée ;
en bref, nous aimerions bien savoir ce qui se cache derrière le mot « stratégique ».
Car le marxisme nous enseigne que la stratégie se
réalise par une succession de tactiques appropriées, selon les périodes et les
contradictions politiques rencontrées. Le rapport entre stratégie et tactique
est éminemment délicat, c’est d’ailleurs toujours là que se révèle
l’opportunisme.
Nous nous revendiquons
également du caractère « stratégique » de la violence révolutionnaire,
dont la lutte armée est un aspect. Stratégique, comme conséquence d’une société
de classe qu’il s’agit d’abolir par la violence puisqu’il n’y a pas d’autres
moyens, d’abord par la prise du pouvoir d’État, ensuite par la dictature du
prolétariat dans le cadre de la transition au communisme. Stratégique en ce
sens donc qu’il ne peut y avoir de révolution pacifique, ni avant, ni après la
prise du pouvoir. Voilà le sens que nous
donnons au terme « stratégique ».
Mais cette stratégie passe par diverses étapes, dont
celle actuelle, de la consolidation d’une organisation, la constitution d’un
programme révolutionnaire pour construire le Parti.
Par contre, le contenu « stratégique » donné par le courant communiste
combattant nous semble différent. Il insiste plus sur une délimitation ( que
nous jugeons superficielle ) avec le réformisme et le pacifisme, et s’appuie sur une
critique incomplète des thèses insurrectionnalistes issues de l’Internationale Communiste.
Précisons : les révolutions
insurrectionnelles avaient marqué les années 1920 ( Russie, Allemagne, Hongrie ) et l’Internationale y avait joué
un rôle dirigeant. Les tendances opportunistes qui se développaient alors dans
le mouvement communiste se sont appuyées sur un bilan mécanique et économiste
de ces expériences pour déraper sur des positions erronées : il s’agissait de thèses très
économistes, qui limitaient l’activité politique au domaine légal et pacifique
en attendant que les conditions de l’insurrection soient réunies. Le courant
combattant a rejeté justement ces thèses étroites, mais sans pour autant
clarifier le rapport entre politique et lutte armée. Et le rejet des thèses
opportunistes a débouché sur le rejet de l’insurrection, sur des thèses
fantaisistes telles la Guerre Populaire Prolongée en Europe ( copie plaquée du modèle chinois ), et la lutte armée point achevé de
la délimitation politique.
Les camarades des CCC ne partagent pas toutes ces
positions caricaturales, fort heureusement. Mais ils ne s’en démarquent pas
pour ce qui a trait de la lutte armée, sans pour autant faire le bilan du
marxisme et du mouvement communiste intemational dont
ils se revendiquent par ailleurs à juste titre. S’il s’avère que le marxisme
s’est trompé, ou que les conditions ont qualitativement changé, il faut en
faire la preuve.
Ce ne sont pas les faibles résultats de nos activités
respectives qui permettent actuellement de trancher sur la justesse de
l’orientation proposée. Plutôt que d’en rester aux actes de foi respectifs ( pour ou contre
la lutte armée ), il faut faire le bilan
des expériences passées, qui ne manquent pas. S’il faut rejeter la conception insurrectionnaliste,
cela n’implique pas pour autant le développement dès aujourd’hui de la lutte
armée.
Les camarades communistes combattants en Europe sont
enfermés dans cette logique « pour ou contre la lutte armée », alors que le débat stratégique
est « pour ou contre la soumission
à l’ordre bourgeois »,
la lutte armée n’étant qu’une délimitation, d’un très haut degré, à cet ordre.
A. L’impact de la lutte armée
Les camarades ont noté l’impact de leurs actions
armées dans les couches populaires. Nous aussi avons noté cet impact dans les
usines. L’enlèvement d’Aldo Moro, l’exécution de Carrero
Blanco ou de Besse ont provoqué de larges réactions de sympathie, de sentiment
de « revanche » comme noté justement par les
camarades. C’est incontestable, et il est juste de parler de « potentialités » révélées par de tels actes.
Mais les camarades surestiment cet impact : « Jamais le projet révolutionnaire n’a
resurgi avec autant de puissance, jamais l’accueil réservé par la classe
ouvrière au discours révolutionnaire communiste n’a été meilleur que quand les
Cellules assénaient avec entrain des coups politiques (...) au régime et à la
bourgeoisie. ». Nous ignorons la
situation en Belgique, mais nous pouvons imaginer qu’elle n’est pas
fondamentalement différente de celle en France. Nous pouvons être aveuglés par
nos propres conceptions politiques, mais nous sommes très attentifs à l’état
d’esprit de la classe. Nous pouvons faire beaucoup d’erreurs mais nous avons la
prétention de relativement bien connaître le monde ouvrier où nous évoluons.
Une telle affirmation nous semble exagérée.
Et puis, la critique principale : quel projet révolutionnaire ? Dans l’hypothèse où les actions armées avaient suscité une
telle vague d’intérêt dans l’avant-garde, où était le
projet politique et l’organisation capables de les cristalliser ? Ils ne sont pas dans l’acte
lui-même, les camarades des CCC ne partagent pas cette interprétation
spontanéiste.
Reprenons la délimitation avec le réformisme. Où se
situait-elle, hormis relativement au pacifisme ? Rappelons que pour nous la
caractérisation principale du réformisme ( social-démocrate, révisionniste,
écologiste ou autre ... ) est de défendre l’impérialisme, en ne voulant que le « réformer», et que le réformisme armé
peut parfaitement exister.
Les camarades des CCC reviennent sur leur expérience
de construction du Parti de manière autocritique ( intéressante au demeurant ) en termes de « dysfonctionnement » avec l’activité militaire. Mais
dans le rapport entre politique et militaire, il ne suffit pas de dire qu’il y
a une relation dialectique, il faut en définir l’aspect principal, au risque de l’éclectisme.
Si nous sommes d’accord pour affirmer que « la politique doit être au poste de
commande », et que « le parti commande au fusil », les tâches organisationnelles,
politiques, théoriques, les tâches de parti, ne sont pas des questions
techniques mais une conception politique, une conception des priorités dans les tâches à un moment donné.
Il est juste de dire que l’organisation se développe
dans la lutte révolutionnaire ou « dans le feu de la lutte des classes » comme nous disons. Mais peut-on
glisser vers une position plus précise « le parti se construit ni hors ni avant, mais dans la lutte
armée » ( ce n’est pas ce que disent les
camarades, soyons honnêtes ; mais toute la page prête à cette interprétation ... )
Nous sommes en désaccord avec cette conception déjà
ancienne dans le mouvement communiste. C’était par exemple la thèse de Régis
Debray ( « Révolution dans la révolution » ) pour justifier les conceptions
cubaines contre la révolution
chinoise. On ne compte plus les échecs de mouvements armés ou de guérillas en
Europe ou ailleurs, faute d’une direction politique solide. La lutte armée
porte l’affrontement avec l’appareil d’État à un niveau tel qu’elle exige une
solidité idéologique et politique très élevée, même si nous reconnaissons qu’il
n’y a aucune garantie et que cette fermeté se renforce dans la lutte armée.
Mais des conditions politiques et idéologiques de départ sont indispensables, au risque de tous les dérapages.
En ce sens, pour ce qui concerne les Brigades Rouges,
il n’est pas correct de mettre d’un côté les succès ( impact, tremblement de terre
politique et social )
et de l’autre les échecs ( effondrement idéologique et politique ). C’est une seule orientation qui a
dominé ce courant, dont le caractère principal était le militarisme lié au
spontanéisme face au mouvement ouvrier.
C. Les conditions de la lutte armée
Selon nous les conditions sont de trois ordres :
— Un projet communiste nécessaire et suffisant
pour se délimiter des diverses variantes de l’opportunisme et du réformisme,
non pas en général, mais dans la période considérée.
— Un lien aux masses, dans le sens où, même si
la situation n’est pas révolutionnaire, les actions armées reflètent l’état de
la classe. C’est dans ce sens qu’il faut juger les Brigades Rouges, nées dans
une situation d’effervescence ouvrière. Ou qu’il faudrait s’interroger sur des
périodes passées comme Mai 1968 ou autres, pourtant non révolutionnaires.
— Un lien aux masses, dans le sens matériel et
organique du terme. Il s’agit là d’aspects logistiques et techniques que nous
ne connaissons qu’indirectement par l’expérience du mouvement communiste
international, et que les camarades des CCC connaissent beaucoup mieux que
nous. Dans un pays impérialiste, où l’appareil d’État est très centralisé et
omniprésent ( à
un degré inconnu dans les pays dominés, il faut le rappeler ), la suivie d’une organisation
politico-militaire nécessite des moyens matériels ( hébergements, armement, déplacements ... ) impensables sans un lien étroit à
des réseaux de soutien larges. Sinon, et d’autres expériences l’ont prouvé ( au Brésil en particulier au début
des années 1970 ) l’organisation armée
risque fort de ne pouvoir survivre qu’en vase clos en consacrant une part
croissante de son énergie à sa propre survie.
D’autant que la propagande armée, pour avoir une
efficacité au niveau où elle intervient, doit revêtir un certain caractère systématique, au risque d’apparaître
comme ponctuelle ... D’où des exigences à ce
niveau.
Aucune des trois conditions n’est aujourd’hui selon
nous réunie dans nos pays, même si nous avons avancé sur la question du
programme. En ce sens, nous partageons les conceptions de Lénine en 1901/1902
en Russie ( pourtant
une période de croissance du mouvement spontané ! ) :
« Sur le plan des principes, nous n’avons jamais rejeté ni ne
pouvons rejeter la terreur. C’est un des aspects de guerre qui peut convenir
parfaitement et même être indispensable à un certain moment du combat, dans un
certain état de l’armée et dans certaines conditions. Mais le fait est
justement qu’on nous propose aujourd’hui la terreur non point comme l’une des
opérations d’une armée combattante, opération étroitement rattachée et
articulée à tout le système de la lutte, mais comme un moyen d’attaque isolée,
indépendant de toute armée et se suffisant à lui-même. À défaut d’une
organisation révolutionnaire centrale et avec des organisations
révolutionnaires locales faibles, la terreur ne saurait être autre chose. C’est
bien pourquoi nous déclarons résolument que, dans les circonstances actuelles,
la terreur est une arme inopportune, inopérante, qui détourne les combattants
les plus actifs de leur tâche véritable et la plus importante pour tout le
mouvement, et qui désorganise non pas les forces gouvernementales, mais les
forces révolutionnaires. » ( « Par où commencer ? » — 1901 ).
Aujourd’hui selon nous, le « communisme combattant » ( version moderne du terrorisme de
l’époque de Lénine ) gaspille des forces
révolutionnaires, des énergies militantes, en stérilise d’autres détournées des
tâches urgentes du moment : combattre la confusion sur tous les terrains, reconstruire
le Parti, se lier à la classe ouvrière, recréer le cadre politique et
organisationnel nécessaire pour pouvoir changer
d’échelle dans l’activité.
A. Les oscillations de Voie Prolétarienne
Les camarades des CCC ont fait une analyse assez
fidèle de nos évolutions et hésitations et nous n’éprouvons pas le besoin de
revenir sur les divers aspects de notre politique en matière de lutte armée.
Ils ont raison de montrer notre évolution en fonction
de l’évolution du courant combattant
lui-même ( soit
dit en passant, cela relativise la critique à notre encontre ... ). Cela a été le cas, et grosso modo
comme ils le décrivent. Ils ont raison de noter le trou dans notre position
relativement à la lutte armée en période non révolutionnaire. C’est
effectivement une lacune, même si cette réponse apporte quelques éléments
supplémentaires.
Mais ils ne vont pas au fond de la critique de ces hésitations.
Voie Prolétarienne se réclame du Mouvement Communiste
International, dans ses succès comme dans ses erreurs dont le bilan est fait ou
à faire. À notre constitution nous avons partagé les thèses « classiques » du Marxisme-Léninisme,
économistes, étapistes
( c’est-à-dire
préparant la prise du pouvoir sans s’interroger sur la nature de la société
socialiste à construire, et donc les préparations politiques nécessaires, dès
aujourd’hui ), et insurrectionnalistes ( c’est-à-dire de lutte pacifique, en
attendant « le matin du grand soir » ).
Notre évolution, l’approfondissement de la
compréhension du socialisme, la lutte politique, nous ont permis d’avancer et
de remettre en cause ces conceptions. Critique de la Théorie des Forces
productives, compréhension du socialisme comme transition et lutte des classes,
de la violence révolutionnaire comme partie intégrante du processus de la lutte
des classes, nous avons progressé. Mais dans cette remise en cause, nous avons
aussi été influencés par des conceptions étrangères au marxisme. Par des
conceptions « alternatives », qui remettaient en cause dans les
faits l’importance de la prise du pouvoir d’État, par des conceptions guérilléristes de
la lutte armée ( présentes
chez une partie des Brigades Rouges ) qui prétendaient faire vivre le communisme immédiat …
Ce n’est que peu à peu que nous redressons la barre
dans la définition tant d’un projet
communiste, que des voies et moyens
pour y parvenir, et les tâches du moment.
Nos hésitations à propos de la lutte armée ne
relèvent pas de doutes sur son rôle historique. Elles relèvent des grandes
difficultés du travail politique dans la période actuelle, dans l’Europe
impérialiste, des faibles résultats atteints pour l’énergie dépensée.
Aujourd’hui, nous savons mieux où nous en sommes.
Nous savons que la violence révolutionnaire est inéluctable parce que c’est une composante du pouvoir ouvrier
( et pas
seulement une « technique » particulière ). En ce sens, nous avons rompu avec
les conceptions pacifistes et étapistes. Mais nous savons qu’aujourd’hui elle n’est pas
d’actualité et que toutes les forces
communistes doivent être concentrées sur la tâche principale du moment, la
construction politique, idéologique et organisationnelle pour le Parti. Une des
principales leçons politico-militaires du mouvement communiste international,
de Lénine à Mao, de Neuberg au PCP, c’est la concentration des forces communistes,
et non pas leur éparpillement. Cela est valable dans le choix des priorités.
Au niveau de l’autocritique, nous voudrions souligner
la justesse de la critique à notre égard des camarades des CCC à propos du rapport
entre avant-garde et masse. Il est faux d’opposer violence de masse et violence
de l’avant-garde, tout dépend du contexte politique et des conditions de cette
violence, tant pour les masses que pour l’avant-garde, de la perspective
politique dans laquelle elles se situent. Rejeter par principe le rôle de la
violence d’avant-garde, c’est se lier les mains, s’enchaîner au pacifisme et à
l’impérialisme.
Le point de vue donné dans l’article « Terrorisme et politique » de Partisan avait d’ailleurs été
critiqué à l’époque dans Voie Prolétarienne, sans que nous ayons eu l’occasion
d’y revenir publiquement. Il reflétait là encore les oscillations et
hésitations de notre organisation à un moment où il s’agissait de redresser la
barre face aux dérives alternatives qui nous menaçaient. Ceci dit non pour
excuser le point de vue, mais pour situer le contexte de l’article.
Il est en tous les cas exact de critiquer sévèrement
ce point de vue, partagé en France par des organisations comme la LCR ou Lutte
Ouvrière et nous remercions les camarades des CCC de l’avoir fait.
B. Le dysfonctionnement des CCC
Les camarades font un bilan autocritique de leur
activité sérieux et intéressant. Ils n’esquivent pas le problème essentiel : la faiblesse du travail autour de
la propagande armée. C’est bien une question clé, également relevée par les
camarades italiens de la Cellule pour la constitution du Parti Communiste
Combattant. Notons que c’est toujours la question que nous avons soulevée par
exemple relativement à l’activité des CCC ( cf. Partisan n° 23 et n° 35 ), et que ce débat date dans le
mouvement combattant de 1983 avec la publication en Italie du livre « Politique et Révolution » ( voir La Cause du Communisme n° 9 ).
Les camarades notent plusieurs critiques à leur
activité : « un dysfonctionnement entre activité
politique et propagande armée », dont la dialectique a été mal perçue, une division tacite
des tâches entre forces légales et illégales qui s’est révélée inopérante, une
négligence dans le travail de formation de cadres, une déviation de type
militariste.
Camarades, nous vous respectons profondément comme
communistes, ayant fait un choix politique et un engagement au plus haut
niveau. Mais la description que vous faites de vos erreurs a déjà existé dans
l’histoire du mouvement communiste : il ne s’agit pas d’une déviation sur la base d’une
conception juste, mais d’une conception
militariste, où le fusil commande au Parti et non l’inverse. Nous ne
voulons pas aligner les adjectifs en « iste », mais souligner qu’il vous faut
pousser l’autocritique jusqu’au bout.
— Parler de « dysfonctionnement » n’est pas correct, ce n’est pas
une caractérisation politique, c’est un terme technique.
— Parler de « dialectique » non maîtrisée ne sert à rien si on
ne définit pas l’aspect principal de la contradiction.
— Parler de « surestimation » sans expliquer politiquement sur
la base de quelles conceptions elle s’est constituée ne permet pas d’avancer.
En bref, il nous semble que votre autocritique touche
le fond du problème ( l’aspect
principal du travail politique ), mais en restant à un niveau technique. Vous ne pourrez
pas avancer de cette manière, vous ne pourrez produire que des corrections
empiriques, sans toucher au fond des déviations.
Il nous semble que comme d’autres communistes
combattants européens vous êtes amenés à faire un bilan sévère de votre
activité, mais que vous n’arrivez pas à sortir du faux dilemme « lutte armée ou pas lutte armée », ce qui revient quoi que vous en
pensiez, à en faire la délimitation finale entre opportunisme et
révolutionnaire.
Admettre qu’il faut « mettre la politique au poste de
commande », c’est faire une analyse
concrète de la situation concrète, de la classe, du réformisme, du mouvement
révolutionnaire. Et se donner les moyens d’y répondre à tous les niveaux, avec les forces disponibles, ce qui
permet de définir les priorités dans les tâches. Ne rêvons pas : nous n’avons pas aujourd’hui les moyens de peser sur la
situation dans son ensemble. Il faut travailler au niveau où nous en sommes,
modestement, mais avec les ambitions démesurées qui sont les nôtres, cela ne
veut nullement pas dire se soumettre aux difficultés.
Pour nombre de militants ( pas ceux qui sont passés à l’acte,
bien entendu ! ) qui se réclament du communisme,
l’attente de « la lutte armée en Europe » est un rêve romantique qui
justifie leur impuissance, et la recherche illusoire d’un moyen pour échapper
aux difficultés actuelles du travail militant. Il faut en finir avec ce rêve,
accepter de regarder la réalité en face, et se mettre au travail en
matérialistes. Ou accepter définitivement de rester spectateurs de la lutte des
classes.
Vous croyez que votre autocritique ne remet pas en
cause la justesse de votre conception. Nous prétendons que si. Que si vous
deviez pratiquement mettre en œuvre
la conception de la politique au poste de commande, de la construction du
Parti, dont vous vous réclamez, vous seriez contraints, dans les conditions présentes, de ne pas mettre en
œuvre la lutte armée pour solidifier politiquement et idéologiquement une
organisation de combat. Cela vous est sans doute impossible à admettre, et
pourtant, camarades, poussez le bilan de votre activité tel que vous l’avez
commencé ...
Il est très significatif que cette question commence
à être débattue dans le mouvement combattant européen. Certes de manière très
confuse, où le réformisme et les repentis font leur trou. Mais ce que nous
reprochons à la RAF ce n’est pas de proposer l’arrêt des actions armées. C’est
d’une part de ne pas justifier les supposés changements de la conjoncture y
conduisant, d’autre part de chercher à négocier cet arrêt avec l’impérialisme
contre des réformes. Il n’empêche, les camarades font le constat de leur
isolement et de l’impasse de leur activité depuis des années. De même qu’en 1984
au sein même des BR-PCC ce débat était soulevé par ce qui allait donner l’UCC ( quelles que
soient ses dérives ultérieures ), et repris par la Cellule déjà citée.
La lutte armée n’est pas affaire de dogme. C’est une question de conditions
politiques.
Notre critique peut sembler bien présomptueuse, de la
part de camarades qui, comme nous, n’ont pas engagé la lutte à ce niveau. Elle
l’est d’une certaine manière, à la mesure de nos ambitions. À contre courant
toujours, nous sommes désolés ( au sens fort du terme ) de voir des énergies gaspillées, des camarades comme ceux
des CCC se fourvoyer dans des impasses, alors que les cadres communistes sont
si rares.
Il ne faut pas s’y tromper : nous pouvons, nous aussi,
regretter l’absence d’activité plus stimulante, le travail au ras des
pâquerettes. Et pourtant, nous savons que c’est ainsi qu’aujourd’hui il nous faut avancer.
A. Une ambition démesurée
Le rôle des communistes est énorme, et dans toutes
les directions :
— Elaborer un programme pour délimiter les
principales questions de la révolution. Ce que nous avons entamé autour de
notre projet de plate-forme politique.
— Travailler dans la classe ouvrière à dégager
les ouvriers avancés, pour les former en ouvriers communistes, former des
cadres. Ce qui suppose propagande, travail sur la tactique, formation, écoles.
— Populariser les expériences les plus avancées
du mouvement communiste mondial ( la
Guerre Populaire du PCP au Pérou ), et du mouvement ouvrier pour tracer une orientation dans
la lutte des classes.
— Polémiquer avec toutes les variantes de
l’opportunisme et du réformisme, pour dégager le vrai du faux, rompre avec la
confusion actuelle, redéfinir la voie communiste. Ce qui suppose un système de
presse adapté.
— Travailler au niveau théorique, faire le bilan
des expériences historiques du mouvement communiste, comprendre la société où
nous vivons pour comprendre les moyens de la transformer.
— Organiser militants et sympathisants autour
d’un programme et d’une définition des tâches politiques du moment.
Tout cela pour construire une organisation dont la
perspective est la destruction de l’impérialisme et non son aménagement, ce qui
suppose lutte implacable contre pacifisme, légalisme et démocratisme, et éducation au travail clandestin.
B. Quelle éducation à la violence et à
l’illégalité ?
L’heure n’est pas à la lutte armée. Cela ne veut pas
dire que l’heure est au légalisme et au pacifisme. Dans la lutte des classes,
au niveau où elle se mène, l’éducation des ouvriers d’avant-garde se mène déjà
sur la violence. Citons quelques exemples :
— Occupations d’usine, piquets de grève à des
degrés divers, jusqu’aux piquets armés ( conflit Rufa ), ou l’affrontement physique aux
forces de répression.
— Réquisitions et défense de logements vides
pour les mal-logés.
— Autodéfense face aux agressions racistes et
fascistes dans les cités ou ailleurs ( skinheads par exemple ).
— Éventuellement travail dans l’armée sur une
base anti-impérialiste.
Bien dérisoire, comparé à la lutte armée ? Pas du tout. C’est le niveau
correspondant à l’état actuel du
mouvement de masse et de l’organisation des communistes, qui permet d’éduquer,
construire. Dans tous les cas, il ne s’agit nullement de s’aligner sur le
mouvement de masse ( voir
les affrontements dans la sidérurgie ) mais d’être un pas en avant ( et pas deux ), dans une période où l’autodéfense
est la forme de l’éducation à l’illégalité et à la violence.
C. Quelles garanties pour l’avenir ?
Nous pouvons maintenant en venir à l’ultime argument
relatif à cette activité, à savoir l’éternel renvoi aux calendes grecques des « lendemains qui chantent ».
« L’effroyable sclérose frappant le large éventail des petits
groupes qui rejettent la lutte armée aujourd’hui en même temps qu’ils
prétendent la rallier demain ( en
cas de situation révolutionnaire ) révèle combien l’extrême gauche apparue en opposition au
révisionnisme des " PC " issus de la IIIe Internationale en a malgré tout hérité d’un
des principaux vices de base. Car finalement, ces partis de la période
1920-1960 n’ont-ils pas été les premiers durant des décennies à vouloir
préparer dans la légalité ( ou
" paralégalité " ) bourgeoise une insurrection…
toujours reportée ? (...) Depuis plus ou moins
trente ans maintenant une variété incroyable de petites forces végètent tant
bien que mal, se partageant — avec une redoutable patience — entre un travail
d’organisation et de politisation systématiquement stérile, les délices
étranges de la scolastique et du dogmatisme, et une critique contemplative des
réelles initiatives révolutionnaires souvent promptement expédiées à l’aide de
la vieille tarte à la crème qu’est la " propagande par le fait ". »
Nous ne reviendrons pas sur le caractère « réellement » révolutionnaire ou pas de la
propagande armée. Ou sur la stérilité supposée de notre activité. Ce n’est pas
dans ces termes que se pose le débat, même si l’efficacité de notre
intervention est perpétuellement en discussion. Le bilan que font les camarades
est trop rapide, fait l’impasse sur l’activité des PC dans les années 1920 et
au début des années 1930 ( y
compris le bilan positif et négatif des insurrections ), sur les périodes actives de la
lutte des classes depuis et l’échec des organisations d’extrême gauche lié avant tout à leur orientation
opportuniste voire réformiste radicale, et non pas à des formes de lutte
inadéquates.
Dans les pays impérialistes ( ailleurs non plus d’ailleurs ), il n’y a pas de recette miracle au
travail communiste, surtout dans une période de confusion et de repli.
Mais revenons à l’autre question lancinante qui nous
est posée indirectement par les camarades des CCC : « — Qu’est-ce qui nous garantit que
vous viendrez un jour à la lutte armée alors que vous la refusez pour
aujourd’hui ? Que vous ne sombrerez pas
dans le réformisme pacifiste déjà critiqué ? »
Nous pourrions ajouter une autre question du même
ordre : « — Qu’est-ce qui nous garantit qu’une
fois au pouvoir vous ne deviendrez pas de nouveaux bourgeois ? » ( question très présente dans le
mouvement ouvrier ).
Finissons-en avec une illusion bien répandue : il n’y a aucune garantie. Seule la fermeté de la ligne politique et
idéologique, un travail théorique permanent, des cadres solides et en formation
permanente, l’analyse vivante, la critique et l’autocritique permanente, un
lien aux masses toujours renforcé, permettent de se donner les meilleures
conditions pour l’avenir. C’est une lutte perpétuelle pour construire une
organisation communiste ( au
sens réel du terme ).
C’est aussi le débat entre communistes pour
progresser ensemble, clarifier les confusions, délimiter le vrai du faux. En ce
sens le débat que nous menons ensemble contribue à la préparation de ce futur
et permet de dire ( aujourd’hui ) que nous ne tournons pas le dos à
la violence révolutionnaire, que nous préparons sa mise en œuvre pour demain.
Nous pourrions retourner la question : « — Qu’est-ce qui garantit qu’une
organisation combattante ne sombrera pas dans le militarisme ? » Et le bilan de ces organisations
en Europe reste à faire de manière détaillée.
Nous avons essayé de faire le tour des quelques
questions soulevées par les camarades des CCC. Sans doute ne réussirons-nous
pas à nous convaincre ?
Néanmoins, pour Voie
Prolétarienne, cette discussion aura permis de clarifier notre conception et de
mieux situer notre activité et comment nous concevions la lutte armée. Nous
espérons que les camarades des CCC et les lecteurs auront pu également un peu
en faire leur profit …
Le Comité Directeur de Voie
Prolétarienne
Septembre
1992
Collectif des Prisonnièr(e)s des Cellules
Communistes Combattantes
LUTTE ARMÉE ET POLITIQUE RÉVOLUTIONNAIRE ( II )
( Poursuite du débat avec l’OCML
Voie Prolétarienne )
Une brève introduction
Nous ne reviendrons pas ici sur les circonstances et
les raisons à l’origine du débat entre notre collectif et l’organisation Voie
Prolétarienne autour de la question de la lutte armée révolutionnaire. Nous
considérons que le lecteur connaît les deux documents déjà produits, notre
contribution initiale et la réponse des camarades de VP sous le titre « Violence révolutionnaire et
construction du Parti, aujourd’hui, en Europe ». Ils ont été rassemblés dans une
brochure éditée par la revue Correspondances Révolutionnaires en Belgique et
par le journal Partisan ( organe
de VP ) en France.
La réponse des camarades de Voie Prolétarienne nous a
encouragés à poursuivre le débat. Le premier échange a déblayé le terrain,
éclairci la situation et mis en évidence des points qui nécessitent
l’approfondissement. Il nous est apparu que le centre de gravité de la
discussion tenait dans la question de la stratégie révolutionnaire. La
nécessité d’approfondir cette question est évidente à divers endroits de la
réflexion, tant il est vrai que le recours à la lutte armée est pour nous
principalement une question de stratégie révolutionnaire.
Nous aborderons aussi quelques points particuliers : les caractères de la lutte armée
et la question de son contexte et de ses conditions, ou encore la critique de
l’expérience des Cellules Communistes Combattantes en 1984/1985. Notre propos
restera cependant sommaire, nous ne pourrons traiter ces points aussi
complètement que nous le voudrions, sous peine de partir dans cent directions
et d’empêtrer le débat dans mille digressions et données annexes. Ainsi, par
exemple, nous ne parlerons pas ici des défauts de la stratégie « insurrectionnelle » ni de bien d’autres choses
importantes. N’en doutons cependant pas : ces sujets s’imposeront inévitablement à l’occasion
d’autres réflexions théoriques et politiques.
Lutte armée et politique
révolutionnaire ( II )
A. Contexte et conditions de la lutte armée
Nous lisons dans la réponse de Voie Prolétarienne : «Parler de nécessité de la lutte
armée en Europe, c’est la justifier politiquement, dans le contexte actuel.
Malheureusement, les camarades des CCC ( comme la plupart des militants
combattants ) sont silencieux à ce
propos, et restent à l’affirmation de principe de sa nécessité. Leurs documents
sont hors du temps, et bien malin qui pourrait dire en quelle année ils ont été
écrits. (...) Les camarades des CCC affirment la nécessité
de la lutte armée. Nous posons la question : quels sont les éléments politiques
conjoncturels qui justifient cette affirmation ? »
Nos documents théoriques sur le sujet traitent peu
des éléments politiques conjoncturels parce qu’effectivement nous pensons que
la pratique armée s’impose à présent de façon générale, au-delà des
particularités conjoncturelles ( notre
analyse du contexte politique actuel en Belgique est très proche de celle de VP
en ce qui concerne la France, ce n’est pas à ce niveau qu’est situé le problème ). Notons d’ailleurs que notre
précédente intervention s’ouvrait sur le sous-titre : « Comment se pose le problème
aujourd’hui », et que nous précisions
plus loin : « Notre conception de la lutte armée ... [s’appuie] sur les caractères
historiques généraux de nos sociétés et l’objectif inaliénable de la révolution
prolétarienne ... »
Dès que les conditions objectives et subjectives
d’une activité révolutionnaire — même minimale — sont réunies, il n’est
historiquement plus possible de rejeter la lutte armée. Elle participe
pleinement de la stratégie établie en alternative ( disons même en dépassement ) de la stratégie insurrectionnelle
de type Komintern. Partout où il y a capitalisme —
donc aussi dans les métropoles impérialistes à régime démocrate — il devrait y
avoir lutte armée communiste, ne serait-ce que dans sa manifestation première
de propagande armée.
Les camarades de Voie Prolétarienne prennent en
exemple le livre dans lequel Neuberg, en 1931,
théorise l’insurrection armée pour le Komintern. Cet
ouvrage étudie chaque expérience en commençant par analyser son contexte
politique conjoncturel ( Hambourg
1923, Canton 1927, etc. ).
Bien, mais il faut constater que ces analyses contextuelles n’ont dicté aucune
différence d’ordre stratégique. Le livre de Neuberg
théorise l’insurrection armée comme principe stratégique général. Il l’annonce
dès un passage souligné au début du premier chapitre : « Nier la nécessité et la fatalité de
l’insurrection armée et en général de la lutte armée du prolétariat contre les
classes dominantes, c’est obligatoirement nier la lutte de classe dans son
ensemble, nier la dictature du prolétariat et en même temps altérer les
fondements mêmes du marxisme révolutionnaire, le ravaler à une doctrine
répugnante de non-résistance. »
Neuberg théorise l’insurrection
armée — projet stratégique — dont les modalités d’application ( préparation,
moment du déclenchement, etc. ) varient selon la conjoncture. Il en va de même pour le
projet stratégique de la Guerre Révolutionnaire Prolongée : seules ses modalités d’application
varient selon la conjoncture.
Le projet stratégique du Komintern
exigeait une préparation de chaque instant à l’insurrection armée, préparation
dont les formes pouvaient varier en fonction des situations ( ici l’insurrection sera précédée
d’un mouvement de grèves allant crescendo, là elle tâchera de prendre l’ennemi
par surprise, etc. ). Le projet stratégique
combattant exige une pratique soutenue de la lutte armée, d’abord sous la forme
de la propagande armée — pratique variant en fonction des situations ( objectifs, niveau de violence,
étendue, etc. )
On peut maintenant considérer plus précisément — et
relativiser — les conditions présentées par les camarades de VP, qui à leur
avis sont préalables à toute pratique armée. Elles sont de trois ordres :
— « Un projet communiste nécessaire et suffisant pour se
délimiter des diverses variantes de l’opportunisme et du réformisme, non pas en
général, mais dans la période considérée. »
— « Un lien aux masses, dans le sens où même si la situation
n’est pas révolutionnaire, les actions armées reflètent l’état de la classe.
C’est dans ce sens qu’il faut juger les Brigades Rouges, nées dans une
situation d’effervescence ouvrière. »
— « Un lien aux masses, dans le sens matériel et organique du
terme. (...) Dans un pays impérialiste, où l’appareil d’État est très
centralisé et omniprésent (...) la survie d’une organisation politico-militaire
nécessite des moyens matériels (...) impensables sans un lien étroit à des
réseaux de soutien larges. »
Nous concevons la première condition de la même
manière. Soulignons que par « projet communiste » nous entendons non seulement un projet de société mais
aussi la définition du chemin qui y mène, — projet stratégique inclus. Mais
laissons ça pour l’instant et considérons la deuxième condition.
L’esprit de ce lien aux masses est étrange et le
recours à l’exemple des Brigades Rouges n’est pas fait pour dissiper la
confusion qui s’en dégage. En somme, l’action des BR n’aurait eu de sens qu’en
tant que produit de la situation d’effervescence ouvrière qui les a vu naître
et même, chose évidente, qui a contribué à leur naissance. La question du rôle
de l’avant-garde apparaît ici, puisqu’à lire les camarades de VP, l’expérience
italienne se justifierait seulement dans la mesure où ce seraient les ouvriers
qui auraient poussé les communistes à la lutte armée et non les communistes qui
auraient formulé le projet de Guerre Révolutionnaire Prolongée devant la classe
ouvrière.
Nous sommes convaincus que le lien aux masses, dans
le sens du « rapport politique aux masses » ( il n’est pas question ici des liens
organiques ), doit être forgé par les
communistes, tant que faire se peut mais toujours et partout, selon les
impératifs du projet révolutionnaire. Que ce travail soit influencé par la
conjoncture sociale et politique, cela ne fait aucun doute, mais sa conception
globale, sa définition propre transcendent les données conjoncturelles. Là se
situent l’identité, l’indépendance et la responsabilité des forces
révolutionnaires communistes. Il en va de la nature du lien aux masses comme
des choix politiques et organisationnels fondamentaux ( choix de la forme organisationnelle
du Parti de classe, par exemple ) :
nous cherchons à les appliquer en tenant compte de la conjoncture, mais sans
les faire dépendre d’elle, car cela mène tout droit à l’opportunisme.
Une chose est d’expliquer l’émergence des Brigades
Rouges, notamment par l’effervescence ouvrière dans l’Italie des années 70 et
ses caractéristiques ;
ou d’expliquer la naissance du PCE(r) et des GRAPO, notamment par le contexte
de la lutte anti-franquiste ; ou d’expliquer l’apparition des Cellules, notamment par
l’acuité des luttes anti-austérité et anti-guerre au début des années 1980 dans
notre pays ; ou encore d’expliquer —
toutes proportions gardées — la naissance du Parti Bolchevik, notamment par les
données de l’époque ( lutte
anti-autocratique, lutte de tendance au sein de la social-démocratie, etc. )… mais vouloir lier d’office, et
même réduire, tel ou tel choix à sa matrice contextuelle particulière, en lui
ôtant ainsi toute portée sinon universelle du moins dépassant le cadre qui l’a
vu naître, est une toute autre chose — incorrecte.
Il faudrait aussi réfléchir à la définition du lien
aux masses ( toujours
en tant que rapport politique ) pour l’affiner. Les masses ne constituent pas une
catégorie politiquement et idéologiquement homogène. On peut distinguer grosso
modo trois catégories :
les éléments retardataires ( non syndiqués par désintérêt ou incompréhension de la chose
sociale, séduits par les valeurs conservatrices et les démarches
réactionnaires, etc. ) ; les éléments moyens ( le plus souvent syndiqués — du moins
en Belgique — et accordant une confiance relative aux politiques réformistes, social-démocrates, révisionnistes ) ; les éléments avancés ( jouant un réel rôle actif et
critique dans les syndicats ou non syndiqués par rejet du réformisme,
développant une conscience de classe et politique offensive, etc. ).
Cette distinction est importante car les forces
révolutionnaires n’étant actuellement pas capables de fournir un travail
politique suffisant vers toutes les catégories du prolétariat, il est
nécessaire de faire des choix. On ne peut critiquer le lien aux masses des
organisations communistes combattantes sans tenir compte du fait qu’elles
cherchent à établir — sur une base révolutionnaire — un rapport consistant avec
les éléments avancés de la classe et non à rallier d’emblée les larges masses
autour du projet révolutionnaire. Le discours, les communiqués d’action des
organisations politico-militaires doivent d’ailleurs être conformés à cette
recherche. Dans les premières phases du processus, il s’agit tout au plus de
s’assurer la neutralité et au mieux la sympathie diffuse des éléments moyens ( grâce à une
sélection soignée des cibles, à des façons d’opérer justes et responsables,
etc. ). Nous l’avons dit, il
faudra revenir tôt ou tard là-dessus.
Reste alors à envisager la troisième condition
énoncée dans le texte de VP : un solide lien organique aux masses. Nous pensons qu’il ne
s’agit pas que d’un simple problème de contingence tactique, de l’obligation de
disposer d’un réseau de soutien suffisamment étendu que pour ne pas s’absorber
entièrement dans les tâches de la survie ou d’un vivier permettant de combler
les pertes inévitables ( les
camarades citent à juste titre l’expérience de la guérilla au Brésil au début
des années 1970 ).
À la rigueur, cette façon d’envisager les choses
pourrait éventuellement satisfaire ceux qui, comme les camarades du PCE(r) et
des GRAPO, défendent la séparation structurelle du Parti et de l’organisation
de guérilla. Mais ce n’est pas notre cas et, au contraire, nous prétendons à
l’unification du politique et du militaire jusque dans le domaine
organisationnel en adoptant la thèse du Parti combattant. Nous n’allons pas
exposer cette thèse maintenant ( nous renvoyons à notre document « Sur le Parti combattant » publié dans Correspondances
Révolutionnaires n° 8,
1990 ). Nous ferons simplement
constater que quand on l’adopte, la question du rapport organique au
prolétariat ne relève pas de la seule tactique, mais de l’essence même du
travail organisationnel :
le Parti combattant ne peut exister qu’en tant que rassemblement des
prolétaires les plus conscients et dévoués.
Ceci étant dit, l’aspect purement tactique des choses
n’en disparaît pas pour autant. De la même façon que l’insurrection de type Komintern était déclenchée lorsqu’étaient
réunies des chances raisonnables de succès, la lutte armée doit s’engager une
fois résolues les questions pratiques, matérielles, organisationnelles,
sécuritaires, etc. de son application responsable. Cela relève aussi d’une
échelle de grandeur, puisque les difficultés sont d’autant plus surmontables
que l’ambition politique et stratégique est initialement modeste. Ainsi la
réunion des moyens nécessaires à l’activité et au progrès d’un petit pôle de
propagande armée n’exige qu’un peu d’organisation, de méthode et de bon sens.
Il n’y a donc pas de réel problème de « conditions pratiques » préalables à la lutte armée en ce
sens qu’elle peut être menée partout où existe la volonté politique de la mener.
Toutefois la conjoncture mérite d’être considérée en ce qu’elle détermine
d’importante façon les axes politiques et tactiques de l’activité des forces
communistes combattantes. En 1984/1985 par exemple, les thèmes des campagnes de
propagande armée de notre organisation, les actions menées, le discours
qu’elles véhiculaient, le niveau de violence qu’elles assumaient, etc., étaient
fonction de la situation en Belgique à l’époque : mouvement de masse contre
l’implantation des missiles atomiques US, grandes luttes ouvrières contre les
plans gouvernementaux d’austérité, etc.
La conjoncture n’influe pas sur les choix
stratégiques et organisationnels fondamentaux des communistes et c’est
pourquoi, lorsque les camarades de Voie Prolétarienne écrivent que « la lutte armée n’est pas affaire de dogme, c’est une question de conditions
politiques », nous leur répondons : la lutte armée n’est pas affaire
de conditions politiques, c’est une question de stratégie.
Nous allons y venir aux chapitres suivants. Mais
clôturons d’abord celui-ci en abordant un problème particulier qui y trouve sa
place.
On se souvient que, dans notre première intervention,
nous citions ce passage de la brochure « Situation en Europe et lutte armée ( Débat avec un lecteur ) » diffusée par VP en 1991 : « En période de crise
[révolutionnaire], nous serons tous d’accord que l’insurrection est à l’ordre
du jour, puisque la question du pouvoir est posée. En période de situation
révolutionnaire, la guérilla a sans doute un rôle central dans la maturation
des contradictions, pour avancer et éduquer le prolétariat à la réalisation de
ses tâches historiques, pour miner et faire basculer le système capitaliste.
Pour ce qui est de la période actuelle ( que nous jugeons donc non
révolutionnaire, ce qui ne veut pas dire (...) qu’elle soit stable ), c’est beaucoup moins clair. Il
faudrait d’ailleurs distinguer les phases de repli de la classe ouvrière de
celles où elle est à l’offensive. Pour nous le problème n’est pas résolu ... »
Dans leur réponse de septembre 1992, les camarades
reviennent sur cette distinction entre les phases où la classe ouvrière est en
repli et celles où elle est à l’offensive. Ils rappellent que la situation
actuelle dans nos pays n’est pas révolutionnaire et insistent : « ... les résultats [de l’action
armée] dépendent de la dynamique et du
contexte social et politique. Période offensive de la classe ou repli, la perspective et la dynamique dans
lesquelles s’inscrit l’acte armé sont fondamentales. »
Sans prétendre épuiser le sujet, nous voudrions
réfléchir au contenu et à l’opportunité de cette distinction entre les périodes
d’offensive ou de repli de la classe ouvrière. Nous aurions d’ailleurs aimé que
les camarades de Voie Prolétarienne nous éclairent à ce propos. L’introduction
de pareille distinction nous semble étrange de leur part. Leur souci les place
en porte-à-faux car s’il existe bien diverses façons de mener la lutte armée
selon les données conjoncturelles, en adaptant les objectifs, les tactiques, le
niveau de violence, les formules organisationnelles, etc., il n’y a jamais
qu’une seule façon de ne pas mener la lutte armée : s’en abstenir ! Si telle est l’option retenue par VP
« pour la période actuelle (...)
non révolutionnaire »,
en quoi les camarades pourraient-ils trouver un intérêt dans la distinction
qu’ils citent, comment pourraient-ils lui reconnaître une éventuelle incidence
même en cas d’offensive de la classe ?
Dans le cas d’une stratégie combattante, cette
distinction implique tels choix de pratique armée lors de telle situation
voyant la classe à l’offensive et tels autres lors de telle situation voyant la
classe sur la défensive. Mais quel sens cette distinction pourrait-elle revêtir
pour une stratégie non combattante ? Ou alors faut-il déduire qu’en la soulignant les camarades
de VP s’interrogent quant à la validité de la stratégie non combattante, de
leur propre stratégie, selon que la classe soit à l’offensive ou sur la
défensive ? Ils constatent : « Pour nous le problème n’est pas
résolu. »
Nous allons présenter quelques considérations sur
cette distinction des situations de classe, en espérant ainsi contribuer à la
résolution du problème.
Pour commencer, nous croyons que la distinction faite
par VP a besoin d’être affinée, si on veut pouvoir l’exploiter utilement dans
une réflexion concernant la stratégie révolutionnaire et la lutte armée. Selon
que l’on traite de la classe en soi
ou de la classe pour soi, les notions
de « classe à l’offensive » et de « classe sur la défensive » varient de nature et d’incidence.
Pour la clarté de l’analyse, précisons aussi qu’une « position offensive » se caractérise par un objectif
positif : il s’agit d’arracher
quelque chose à l’adversaire. À l’inverse, une « position défensive » se caractérise par un objectif
négatif : il s’agit d’empêcher
l’adversaire de nous arracher quelque chose.
Quels sont les objectifs positifs de la classe en soi ? La hausse des salaires, le
renforcement de la protection sociale, l’amélioration des conditions de
travail, la réduction du temps de travail, etc. Quels sont ses objectifs
négatifs ? Empêcher les licenciements
ou la baisse des salaires, la dégradation de la protection sociale,
l’augmentation des cadences, etc. Quels sont maintenant les objectifs positifs
de la classe pour soi ? Le Socialisme, la dictature du
prolétariat et tout ce qui est nécessaire pour y accéder : une organisation révolutionnaire
de classe ( le
Parti ), la popularisation des
thèses et objectifs communistes, etc. A contrario, les objectifs négatifs de la
classe pour soi sont la préservation,
face à la contre-révolution et à la répression bourgeoise, du patrimoine
d’expérience et d’organisation, le maintien du niveau de conscience de classe
acquis.
La distinction entre classe en soi et classe pour soi
dans la distinction entre classe à l’offensive et classe sur la défensive est
importante. Si l’offensive et la défensive peuvent l’une comme l’autre réunir
dans leur propre mouvement classe en soi
et classe pour soi, elles peuvent
tout autant les opposer. Nombreuses sont les situations historiques qui
montrent une classe en soi à
l’offensive en même temps qu’une classe pour
soi sur la défensive, ou vice-versa. En période de forte croissance
économique la classe en soi peut être
mobilisée offensivement par les réformistes pour des hausses de salaire, des
avantages sociaux, etc., au moment même où — ceci expliquant partiellement cela
— la classe pour soi est sur la
défensive, ses organisations affaiblies et les thèses révolutionnaires
marginalisées. Inversement la classe pour
soi peut être à l’offensive, ses forces communistes et la popularisation
des thèses révolutionnaires en expansion au moment même où — ceci s’expliquant
partiellement par cela — la classe en soi
est sur la défensive, paralysée par les réformistes alors qu’elle subit une attaque
patronale contre l’emploi, les salaires, les acquis sociaux, etc.
Recentrons le problème. Nous considérons la lutte
armée comme un élément de la stratégie révolutionnaire et non comme un adjuvant
des multiples luttes de la classe en soi.
Si des actions armées peuvent être menées — dans des conditions bien précises —
en liaison avec une lutte partielle, économique, elles ne peuvent pour autant
s’y limiter mais doivent au contraire s’inscrire dans le cadre global d’une
propagande armée, elles doivent poursuivre en priorité l’objectif de la
popularisation des thèses révolutionnaires, du renforcement des avant-gardes,
etc.
Savoir si la classe en soi est à l’offensive ou sur la défensive est bien évidemment
important ( cela
relève de l’analyse des conditions politiques générales de la lutte ), mais nous sommes encore plus
intéressés à connaître la situation exacte de la classe pour soi. Est-elle sur la défensive ? À l’offensive ? En position de passer à
l’offensive ? En passe d’être réduite à
la défensive ?
Une bonne réponse ne suffit pourtant pas encore à
résoudre ce problème à tiroirs de la défensive et de l’offensive. Dans le cas
d’une classe pour soi sur la
défensive, il ne s’ensuit pas automatiquement que les forces communistes
doivent adopter la même position. Les forces communistes organisées peuvent
développer leur assise prolétarienne, étendre leur influence parmi les éléments
avancés de la classe alors que ces éléments d’avant-garde connaissent des
revers concrets. L’histoire est riche d’exemples qui montrent les forces
communistes compenser — même partiellement — le reflux d’une majorité par la
qualification d’une minorité, et cela au travers d’initiatives offensives. Il
est aussi aisé d’imaginer le cas de forces communistes sur la défensive alors que
la classe pour soi ( et éventuellement en soi ) est à l’offensive : les aléas de la lutte
révolutionnaire, la répression peuvent en décider ainsi.
Les communistes ne sont pas là pour voler au secours
de la victoire. Il ne s’est pas non plus encore trouvé de situation historique
où la politique de l’ectoplasme ait représenté un juste choix pour eux. Une
situation caractérisée par la classe en
soi sur la défensive ( et
même en pleine déroute )
peut receler — et recèle généralement — des potentialités historiques et
politiques de premier ordre pour les forces révolutionnaires ( les illusions réformistes se
dissipent, l’irréductibilité de l’antagonisme de classe apparaît avec évidence,
etc. ). Une situation
caractérisée par une classe pour soi
sur la défensive ne contraint pas non plus nécessairement les forces
communistes à la même attitude. Et puis, quand bien même s’agirait-il pour
elles de se placer sur la défensive ( cela arrive tôt ou tard ) que cela ne résoudrait en rien la
question de la lutte armée.
En introduisant dans le débat la distinction entre
classe à l’offensive et classe sur la défensive, les camarades de VP semblent
défendre deux idées. D’abord que les communistes doivent « suivre le mouvement », ce qui — nous le savons — est une
conception erronée. Ensuite, plus précisément, que la lutte armée soit le
propre de l’offensive. Or ce n’est pas le cas.
Tactiquement, bien entendu, l’action armée représente
une initiative. Mais stratégiquement elle peut être parfaitement intégrée à un
cadre défensif. À cet égard Clausewitz parlait de « bouclier de coups », témoignant ainsi de l’intérêt
porté par la stratégie classique aux problèmes de la gestion d’une position
défensive au moyen d’initiatives tactiques. L’histoire offre d’ailleurs
d’innombrables exemples de cette gestion.
Il y a les initiatives qui ont pour but
l’affaiblissement des capacités générales de lutte de l’ennemi ( c’est Koutouzov
qui, après le coup d’arrêt de Borodino et le repli sur Tarontino,
lance les cavaliers de Davidof sur les lignes de
ravitaillement et de communications françaises avec les conséquences que l’on
sait ). Il y a les initiatives
qui ont pour but la conservation et le développement de ses propres capacités
générales de lutte ( c’est
Mao Tsé-toung qui fait abandonner au PCC la tactique
passive de défense dite « guerre des bunkers » préconisée par les conseillers du Komintern
et qui prend l’initiative en rompant l’encerclement des troupes du Kuomintang et en entamant la Longue Marche ). Il y a les initiatives qui ont
pour but la destruction des moyens offensifs de l’ennemi ( c’est Nelson qui poursuit
Villeneuve des Antilles à Cadix pour détruire à Trafalgar la flotte dont
Napoléon avait besoin dans sa guerre contre l’Angleterre ). Il y a les initiatives qui ont
pour but l’acquisition de positions favorables pour la résistance et le « retour offensif » ( c’est Staline qui prend
l’initiative en Finlande en 1940, occupant le glacis de Viborg qui devait
sauver Leningrad l’année suivante ). Il y a les initiatives qui ont pour but de faire
diversion et ainsi d’affaiblir l’axe central de l’offensive ennemie ( c’est Scipion
qui débarque en Afrique alors que Hannibal est aux portes de Rome et qui amène
ainsi Carthage à rappeler son général et son armée ). Il y a encore nombre d’autres types
d’initiatives, mais il serait fastidieux d’en faire l’énumération.
Si la stratégie classique accorde une telle place à
l’initiative dans le cas d’une situation défensive, la stratégie
révolutionnaire doit lui en accorder une plus grande encore. Cela dans la
mesure où, aux enjeux purement matériels de la stratégie militaire classique ( troupes, armes,
ressources, etc. ), s’ajoutent de façon
absolument déterminante pour le camp révolutionnaire des enjeux subjectifs ( conscience politique des masses et
de leurs avant-gardes, mobilisation, etc. ), enjeux pour lesquels — notre point de vue à ce propos est
connu — la lutte armée joue un rôle essentiel.
Si la prise en considération de la distinction
complexe entre « classe à l’offensive » et « classe sur la défensive » peut se révéler utile dans des
analyses, elle ne permet en rien, à aucun endroit ni à aucun moment,
d’argumenter contre la lutte armée. Renoncer — même provisoirement —
à la lutte armée ici et aujourd’hui, cela ne signifie pas adopter une position prudente,
réaliste, appropriée, défensive, progressive, ou que savons-nous encore, non,
cela revient à renoncer à une pratique de lutte centrale matérialisant
l’initiative qui est vitale à d’authentiques forces révolutionnaires
communistes, qu’elles soient à l’offensive ou sur la défensive, que les masses
au même moment conquièrent ou cèdent du terrain dans la lutte des classes.
Chose promise chose due, nous allons maintenant
passer aux chapitres consacrés à la stratégie révolutionnaire.
B. Les caractères prêtés à la lutte armée
Dans le chapitre de leur contribution auquel ils
donnent ce titre, les camarades de VP mettent le doigt sur des faiblesses bien
présentes dans notre premier document. Nous allons tâcher de démontrer qu’il
s’agit plus d’une faiblesse de notre expression que d’une faiblesse de notre
position.
La première qualité de la lutte armée évoquée est la
latitude qu’elle offre aux révolutionnaires de porter des coups à l’ennemi de
classe. Les camarades de VP reconnaissent cela mais il font
observer que primo « la politique doit être au
premier plan » et secundo le résultat de
l’action dépend « de la dynamique et du
contexte social et politique ». La mise en avant du facteur politique ne souffre aucune
discussion, nous rappellerons seulement que plus le processus révolutionnaire
avance vers la prise du pouvoir, plus le facteur spécifiquement militaire ( anéantissement
des moyens ennemis : forces répressives, moyens
de communication, rouages de l’État, etc. ) s’affirme en requérant un investissement propre. En ce qui
concerne le « contexte social et politique », nous avons exposé notre opinion
au point précédent.
Les camarades de Voie Prolétarienne concluent leur
examen de cette première qualité de la lutte armée en écrivant : « Si nous sommes d’accord en général
sur l’impact que peut avoir une action bien définie, cela ne suffit pas pour
justifier sa mise en œuvre dès aujourd’hui. »
Et pourquoi ça ? On peut se poser la question, car dès le moment où il est
établi d’un commun accord que des actions armées ( pour autant que la politique soit au
premier plan et qu’elles considèrent le contexte politique et social ) peuvent avoir un impact politique
heureux dans la classe, ce n’est plus à nous d’en justifier la présence parmi
les autres moyens de l’agit-prop révolutionnaire, mais c’est à ceux qui
refusent d’exploiter un moyen dont l’efficacité politique est reconnue ( du moins théoriquement ) de justifier ce refus. On retombe
là exactement dans les termes de la critique interrogative que nous portions
aux camarades de VP dans notre premier document : il y a un vide dans leur analyse.
Et leur réponse ne le comble en rien.
La seconde qualité de la lutte armée examinée par les
camarades de VP est celle que nous avons présentée avec un manque de rigueur
dans la forme. En effet, dans l’introduction de notre premier texte nous
soulignions que la lutte armée n’était pas la Muraille de Chine séparant les
réformistes des révolutionnaires et au fil de notre rédaction nous avons
insisté tant et plus sur sa capacité à éloigner les opportunistes, réformistes
et révisionnistes de nos rangs et à révéler au prolétariat l’existence d’une
initiative révolutionnaire authentique. Il est temps de clarifier notre
position, ou plus exactement son exposé.
Nous le répétons, la lutte armée n’est pas un critère
absolu de différenciation politique. Il existe des révolutionnaires — à l’image
de Voie Prolétarienne — qui la rejettent dans la situation actuelle de nos pays
et aussi des radicaux-réformistes ( anti-racistes, anti-nucléaires, etc. ) qui la mettent en pratique. La
vertu clarificatrice de la lutte armée se manifeste objectivement au sein du
mouvement révolutionnaire ou se revendiquant tel, parmi les forces prétendant
œuvrer à un renversement violent de l’ordre social établi. Et dans ce cadre sa
portée est de surcroît limitée : elle ne dénonce pas ceux qui ne mènent pas la lutte armée
comme inévitablement faux révolutionnaires, elle isole seulement le groupe
recelant ceux qui polluent l’espace de la lutte révolutionnaire en agitant des
thèses et programmes maximalistes tandis que concrètement ils ne font et ne
feront jamais rien d’autre que monnayer auprès du régime l’influence qu’ils
usurpent ainsi sur les prolétaires combatifs. On peut comprendre que la limite
d’une telle clarification en réduise l’intérêt pour ceux qui n’en bénéficient
pas, mais cela ne suffit pas à la priver de son fondement.
Par un autre biais, quelques pages plus loin, les
camarades de VP reviennent sur le problème et apportent une réponse. Ils nous
prêtent l’interrogation tacite suivante : « Qu’est-ce
qui (...) garantit que vous viendrez un jour à la lutte armée alors que vous la
refusez pour aujourd’hui ?
Que vous ne sombrerez pas dans le réformisme pacifiste déjà critiqué ? » Et ils répondent : « Il n’y a aucune
garantie. »
Cela exige d’être approfondi. Parce qu’en effet si on
peut poser beaucoup de questions au sujet de notre ligne, au moins celle-là
nous est épargnée, précisément en raison de la pratique des Cellules : difficile de craindre qu’après
avoir mené la lutte armée en situation non révolutionnaire nous y manquions en
situation révolutionnaire. Force est donc de constater que la pratique armée
joue bel et bien un rôle clarificateur même s’il est limité. Nous l’avons dit,
dans le cadre de la lutte révolutionnaire ou se revendiquant telle, la lutte
armée n’est pas un critère permettant de dénoncer exactement les faux
révolutionnaires, mais elle est quand même un critère permettant de cerner une
catégorie qui les inclut. C’est tout profit pour ceux qui en sont d’office
exclus.
Les camarades de VP poursuivent alors leur réflexion : « Seule la fermeté de la ligne
politique et idéologique, un travail théorique permanent, des cadres solides et
en formation permanente, l’analyse vivante, la critique et l’autocritique
permanente, un lien aux masses toujours renforcé, permettent de se donner les
meilleures conditions sur l’avenir. »
Certes, encore que l’on ne nous ôtera pas de l’idée
que la pratique de la lutte armée contribue à éloigner des rangs
révolutionnaires ceux qui viennent pour se servir plutôt que pour servir. Mais
le problème n’est pas que théorique : il ne s’agit pas seulement d’être ( ou de veiller à être ) de vrais révolutionnaires, encore
faut-il apparaître à juste titre comme tels auprès du prolétariat désabusé par
les kyrielles d’escrocs braillards pendus à ses basques.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les camarades de
VP placent un peu plus loin cette question de la garantie contre le réformisme
pacifiste en parallèle avec une autre tellement posée par les travailleurs aux
militants : « Qu’est-ce qui garantit qu’une fois
au pouvoir vous ne deviendrez pas de nouveaux bourgeois ? » Là se manifeste la dimension
subjective du rôle clarificateur de la lutte armée ( dimension négligée dans le texte de
VP, au profit de la dimension théorique des « garanties politiques » ) : elle permet aux forces
révolutionnaires d’apparaître comme telles aux yeux des masses. Qu’on s’en
réjouisse ou qu’on le déplore importe peu : l’abnégation des organisations combattantes ( militants clandestinisés, emprisonnés, tués ) a valeur de garantie pour les
masses et c’est ce qui rend les sacrifices fertiles. C’est notamment dans ce
sens que nous écrivions dans notre précédent document : « Non seulement elle [la lutte armée]
trace matériellement une ligne de démarcation bien nette entre l’ennemi et nous
( au
contraire d’une lutte intégrée au cadre démocratique bourgeois ), mais de surcroît cette ligne de
démarcation tangible révèle au prolétariat l’existence d’une initiative réellement
révolutionnaire, réellement irréductible. »
Voilà pour l’impact auprès des masses. Les camarades
de Voie Prolétarienne opposent alors quelques questions : l’existence d’une initiative
révolutionnaire, soit, mais suivant « quel projet révolutionnaire ? » et « qu’est-ce qui garantit qu’une
organisation combattante ne sombrera pas dans le militarisme ? »
Ces questions sont entièrement fondées, mais nous
pensons qu’il n’est pas juste de les poser à cet endroit. Elles relèvent du
domaine objectif et doivent être résolues selon les méthodes énoncées plus haut
par les camarades de VP eux-mêmes ( « Seule la fermeté de la ligne politique et idéologique ... » ). Ces questions ne contrebalancent
en rien celles qui relèvent de la valeur subjective de l’impact de la lutte
armée dans les masses, et spécialement de son rôle clarificateur.
La pratique de la lutte armée crédibilisera toujours
le discours prônant la révolution prolétarienne, d’abord par le niveau
d’affrontement qui la caractérise et ensuite par son caractère totalisant.
Poursuivons. « Dans la lutte contre le légalisme et le démocratisme, il y a
tous les degrés, dont le choix dépend du contexte. (...) Aujourd’hui,
l’éducation révolutionnaire contre le légalisme et le démocratisme fait partie
intégrante d’une activité communiste, sans forcément atteindre le niveau de la
lutte armée. » Cet extrait de la réponse
des camarades de VP nous entraîne dans une nouvelle direction. Il ne s’agit
plus de la capacité de la lutte armée à crédibiliser l’initiative révolutionnaire
dans les masses ( démonstration
de la droiture et de l’irréductibilité de l’initiative révolutionnaire ), mais du besoin de s’affranchir du
légalisme et du démocratisme, d’éduquer l’avant-garde prolétarienne dans le
domaine de la violence. Voici ce que les camarades proposent à cet égard :
— « Occupations d’usine, piquets de grève à des degrés divers,
jusqu’aux piquets armés ( conflit
Rufa ), ou l’affrontement physique aux forces de répression. »
— « Réquisitions et défense de logements vides pour les
mal-logés. »
— « Autodéfense face aux agressions racistes et fascistes dans
les cités ou ailleurs ( skinheads
par exemple ). »
— « Éventuellement travail dans l’armée sur une base
anti-impérialiste. »
Et là notre désaccord est radical. Il nous semble que
les camarades de VP veulent devancer la critique en précisant : « Bien dérisoire, comparé à la lutte
armée ? Pas du tout. C’est le
niveau correspondant à l’état actuel du
mouvement de masse et de l’organisation des communistes, qui permet d’éduquer,
construire. »
Mais notre critique ne portera pas du tout sur le
niveau de la pratique violente et illégale ( remarquons toutefois que VP adopte
ici — par le bas — l’échelle des valeurs du militarisme ). Les Cellules Communistes
Combattantes ont insisté tant et plus à ce propos : il n’existe pas d’action haute ou
basse, il n’existe que des actions correctes ou erronées. Peu importe que la
faiblesse ou la puissance de l’organisation des communistes se traduise dans la
mise en œuvre de petits ou de grands moyens ( du cocktail Molotov à la voiture
piégée, par exemple ).
C’est l’orientation politique et
stratégique de la pratique de la violenœ qui sont primordiales.
Nous ne pouvons être d’accord avec cette stratégie ( peut-on vraiment
parler de « stratégie » dans ce cas ? ) du un - petit - peu - plus - que - ce - qui - existe - déjà, où lorsque les grévistes font
un piquet les mains nues les communistes apportent des bâtons et lorsque les
grévistes font un piquet avec des bâtons les communistes apportent des
cocktails Molotov, etc. C’est une fausse position d’avant-garde, les
communistes sont alors en fait à la traîne du spontanéisme des masses. C’est
une mauvaise éducation à la violence, parce qu’elle se cantonne à un terrain et
à des conditions de lutte perdants.
Nous ne disons sûrement pas qu’il faille abandonner
les grèves, les piquets ou quoi que ce soit du genre à leur sort. Nous
affirmons que l’on n’éduque correctement les éléments combatifs du prolétariat
à la violence révolutionnaire qu’en en situant la pratique dans des conditions
tactiques et organisationnelles qui permettent des victoires — fussent-elles
limitées —, qui ouvrent la perspective de la victoire finale. Et ce cadre tactico-organisationnel ne peut être que la guérilla
urbaine, puisque seule la guérilla permet à des forces faibles de prendre et
garder l’initiative sur des forces puissantes.
Bien entendu l’expérience des piquets de grève
musclés ou armés peut être éducatrice, dans le sens qu’après en avoir pris
plein la gueule certains ressentiront éventuellement le besoin d’en sortir et
se poseront des questions tactiques ou autres qui mènent à la guérilla. Mais
dans l’ensemble les limites inhérentes à ces expériences sont plutôt
contre-productives : après en avoir pris plein
la gueule on se laisse persuader que l’ennemi de classe est décidément trop
puissant pour en venir à bout ( d’autant
qu’il est évident qu’il n’a encore utilisé qu’un centième de ses forces ), on ressasse l’amertume d’un
sacrifice inutile et on est généralement détourné sur le terrain défensif de
l’anti-répression.
Il faut se réjouir quand les masses radicalisent
leurs luttes, durcissent leurs grèves, renforcent les piquets, etc. Mais plutôt
que d’accentuer la radicalisation de la lutte spontanée ( au nom de l’éducation à la violence
ou de quoi que ce soit )
et finalement ne rien faire d’autre que du radical-réformisme
à la demande, les communistes doivent œuvrer pour amener les éléments avancés
de ces luttes à s’inscrire dans le cadre d’une stratégie offensive globale, où
il ne s’agit plus de hausser en vain le niveau de violence d’une lutte
partielle, mais bien de donner aux forces de classe la perspective et les
moyens de la révolution.
Voilà pourquoi nous parlons du caractère « totalisant » de la lutte armée ( dès les
premières phases du processus révolutionnaire ) : elle incarne la lutte de classe
stricto sensu puisqu’elle dépasse la lutte de telle ou telle fraction de la
classe pour telle ou telle revendication partielle et met en avant les intérêts
généraux de la classe contre la bourgeoisie et son État. En renforçant un
piquet de grève, on intervient dans l’éventail des manifestations de la lutte
des classes ; en menant des actions
armées contre les institutions et les représentants de la bourgeoisie, on
intervient sur le phénomène même de la lutte des classes ( pour autant que soient respectées
les conditions déjà évoquées : projet communiste, adaptation au contexte, etc. )
Nous sommes d’ailleurs extrêmement circonspects à
l’égard de l’engagement direct d’organisations combattantes dans des conflits
aux enjeux partiels. Les Cellules Communistes Combattantes sont certes
intervenues dans le cadre de problèmes généraux concernant la classe ( indexation des
salaires, par exemple ),
mais elles n’ont pas animé d’interventions plus spécifiques. Nous pensons que
cela relève d’étapes plus avancées du processus révolutionnaire ( quand existe un
Parti combattant fortement implanté dans les secteurs combatifs, etc. ). C’est un problème qu’il faudra
approfondir à l’occasion ( nous
l’abordons déjà sommairement dans le recueil La Flèche et la Cible publié par
Correspondances Révolutionnaires ).
On pourrait penser que la pratique du courant
combattant, en tirant vers le haut les éléments d’avant-garde les plus
volontaires, est complémentaire des pratiques militantes traditionnelles —
animées notamment par Voie Prolétarienne — qui poussent
vers le haut la mobilisation des prolétaires. Ce serait faire preuve
d’éclectisme. Il ne s’agit pas de grappiller à tous les étages, mais de tracer
des axes directeurs en fonction desquels le « niveau de violence » sera précisément déterminé ( ce qui n’a rien
à voir avec un alignement sur les faiblesses conjoncturelles ). Puisque le débat n’est plus à
présent « pour ou contre la lutte
armée » ni « pour ou contre le légalisme et le
démocratisme », nous voilà placés devant
la question de la stratégie révolutionnaire, qu’il est décidément grand temps
d’aborder.
C. La stratégie révolutionnaire
·
Comment se
pose le problème ?
Nous lisons sous la plume des camarades de Voie
Prolétarienne : « La position des communistes
combattants ( dont
les CCC ) rend la lutte armée
incontournable, dès maintenant, quelles que soient les conditions politiques
objectives et subjectives. C’est un glissement important à partir de la
conception marxiste et léniniste qui, au minimum, manque de justifications.
Nous comprenons fort bien que les camarades fassent la différence avec la
position de Lénine dans La guerre de partisans, le contexte n’est pas le même.
Mais nous n’acceptons pas ce caractère anhistorique prêté à la lutte armée ; en bref, nous aimerions bien
savoir ce qui se cache derrière le mot "stratégique". »
Souhait légitime ! Mais avant de le satisfaire nous
voudrions souligner que le « glissement important à partir de la conception marxiste et
léniniste » en question n’est pas
extraordinaire. Il ne diffère pas fondamentalement de celui qui a conduit Mao Tsé-toung, tirant les leçons de l’échec en Chine de la
stratégie insurrectionnelle de type Komintern, à
élaborer la stratégie de la Guerre Populaire Prolongée, à développer la guerre
de guérilla, à créer des zones libérées, à encercler les villes par les
campagnes, etc. Notre « glissement », mutatis mutandis, est de même
nature. À ce titre le projet stratégique de la Guerre Révolutionnaire Prolongée
dans les centres impérialistes s’inscrit, au moins autant que l’attachement aux
vieilles recettes insurrectionnelles, dans la continuité de l’expérience du
Mouvement Communiste International.
Les camarades de VP poursuivent : « Car le marxisme nous enseigne que la
stratégie se réalise par une succession de tactiques appropriées, selon les
périodes et les contradictions politiques rencontrées. Le rapport entre
stratégie et tactique est éminemment délicat, c’est d’ailleurs toujours là que
se révèle l’opportunisme. »
Le travail d’élaboration stratégique est
effectivement délicat, d’autant qu’il ne suffit pas d’envisager une succession
de tactiques appropriées, mais aussi d’anticiper leur articulation. Un travail
d’élaboration stratégique correct implique l’énoncé de la tactique à développer
dès à présent, la présentation de l’étape stratégique que l’application de
cette tactique permettra d’atteindre, la description des nouvelles conditions
qui seront ainsi réunies ( et
notamment dans le domaine organisationnel ), puis l’énoncé de la nouvelle tactique sur base de ces
conditions et pour gagner une nouvelle étape stratégique, et ainsi de suite
jusqu’au triomphe de la révolution prolétarienne.
On ne peut faire moins. Car dès le moment où l’on
néglige de brosser un panorama complet du processus révolutionnaire à
parcourir, on adopte inévitablement des tactiques qui rendent peut-être plus
fort à moyenne échéance, mais qui n’apportent pas nécessairement le type de
force adéquat, qui ne correspondent pas forcément aux exigences de l’étape
suivante, etc., bref des tactiques qui tôt ou tard conduisent d’illusions en
impasses. Le danger de l’opportunisme est bien présent, mais il n’est pas le
seul. L’empirisme tactique qui voit les communistes s’attacher à des recettes
relevant d’une stratégie qu’ils n’ont pas réellement définie ou dont ils
soupçonnent même la caducité ne peut déboucher que sur le gaspillage des forces
et des énergies.
Toutefois si le travail d’élaboration stratégique se
doit d’être complet, précis, cohérent, crédible, les communistes qui le mettent
en œuvre ne doivent pas s’en mystifier. Il n’y a que les stratèges raillés par
Tolstoï ( « Der dritte
Kolonne marschiert ... » ) qui s’imaginent voir leur plan de
bataille se dérouler comme prévu d’un bout à l’autre. N’oublions jamais que
toute élaboration stratégique est condamnée d’avance à se plier aux aléas de
l’avenir. Le matérialisme historique et le socialisme scientifique ne
permettent pas, dans l’état actuel des connaissances, d’anticiper les événements
sociaux, politiques, économiques, etc., futurs au point d’affiner aujourd’hui
une ligne stratégique qui nous guiderait — sans qu’il faille l’adapter ( ou même la
modifier du tout au tout )
en cours de route — jusqu’au seuil de la révolution sociale. Mais que cette
lucidité ne justifie aucun « agnosticisme stratégique » ! En politique, dans le domaine de
la guerre ou au jeu d’échecs une stratégie relative est toujours préférable —
pour autant que l’on cherche à l’améliorer au fil des événements — à une
absence de stratégie.
·
Le caractère
stratégique de la lutte armée
Les camarades de VP écrivent dans leur réponse : « Nous nous
revendiquons également du caractère "stratégique" de la violence
révolutionnaire, dont la lutte armée est un aspect. Stratégique, comme
conséquence d’une société de classe qu’il s’agit d’abolir par la violence
puisqu’il n’y a pas d’autres moyens, d’abord par la prise du pouvoir d’État,
ensuite par la dictature du prolétariat dans le cadre de la transition au
communisme. Stratégique en ce sens donc qu’il ne peut y avoir de révolution
pacifique, ni avant, ni après la prise du pouvoir. Voilà le sens que nous
donnons au terme "stratégique". »
Il faut prendre garde à ne pas confondre la stratégie
révolutionnaire ( l’articulation
de tactiques et d’étapes )
et le caractère stratégique de tel ou tel facteur.
Dans le débat interne ouvert par les Brigades Rouges
après la grande défaite de 1982, débat dit « des deux positions » auquel il a déjà été fait
référence dans les documents précédents, le rapport à la lutte armée allait
constituer une importante arête de partage. À cet égard les textes échangés
alors ont conservé tout leur intérêt malgré les années écoulées.
La première position ( qualifiée non sans quelque raison de
« militariste » par la seconde ), qui allait assurer la
continuation politique et organisationnelle des Brigades Rouges pour la
construction du Parti Communiste Combattant, défendait la thèse de la « stratégie de la lutte armée », de la Guerre Populaire Prolongée.
Cette position présentait le défaut majeur de ne pas remettre suffisamment en
cause les orientations antérieures des BR et donc de risquer que prospèrent des
facteurs à l’origine de la défaite de 1982.
La faiblesse principale de cette position était politico-stratégique. Elle restait attachée à une
conception gradualiste du processus révolutionnaire selon laquelle la lutte
armée serait simplement amenée à s’étendre, d’abord du fait de l’initiative et
sous la responsabilité de l’organisation, puis du Parti combattant, au fil d’un
mouvement linéaire et jusqu’à l’inversion du rapport de force révolution / réaction. Mais nous pensons que les
camarades de Voie Prolétarienne ont tort de parler à ce propos d’une « thèse fantaisiste » de la « Guerre Populaire Prolongée en Europe
( copie
plaquée du modèle chinois ) »
car il ne s’agit pas de ça. Les militants italiens n’ont pas transposé
dogmatiquement un modèle exotique. Avant tout, les Brigades Rouges ont
développé leur propre expérience et constitué, de manière plutôt empirique, une
ligne stratégique qui s’est trouvée de nombreux points communs avec la
stratégie politico-militaire de Mao Tsé-toung. Ce qui
n’est évidemment pas un fruit du hasard, l’éventail des possibilités
stratégiques étant limité.
Dans leurs documents des années 1970, quand les
camarades italiens parlent de « Guerre Populaire Prolongée », c’est davantage pour expliciter
leur expérience et leur perspective ( «guerre » en raison du niveau de confrontation, de l’option de la
lutte armée ; « populaire » en raison de la volonté d’amener
des masses toujours plus nombreuses sur ce terrain ; « prolongée » en raison de la durée du processus ) que pour se référer à l’expérience
chinoise comme modèle stratégique. Citons par exemple un document que nous
connaissons, les « Vingt thèses finales » de L’Abeille
et le Communiste ( septembre
1980 ), où est abordée la
problématique des formes de « pouvoir rouge » dans la formation sociale des métropoles. Quoi que nous
puissions penser des théories présentées là, il n’y a pas lieu d’ironiser : les BR n’ont jamais copié
aveuglément le modèle chinois et ne sont pas parties dans les Appenins ni en Calabre pour créer des zones libérées et
organiser les paysans. Le contenu de la Guerre Populaire Prolongée ne sera pas
évacué aussi facilement que les camarades de VP semblent le croire, il ne se
laissera pas ranger définitivement au rayon des chinoiseries …
La seconde position dans le débat interne ouvert par
les Brigades Rouges au début des années 1980 ( position qualifiée, toujours non sans
raison, de « liquidatrice » par la première ) remettait insidieusement en cause
la valeur stratégique de la lutte armée et tendait à la réduire à une simple
méthode de lutte. Cette thèse, manifestement influencée par le souci de rompre
avec une déviation militariste qui avait coûté cher, ouvrait la porte à toutes
les outrances — voir le bilan désastreux de l’UCC. Même s’il est incorrect de
parler de « stratégie de la lutte armée » ( comme s’il s’agissait seulement de
frapper toujours plus, toujours plus fort, etc. ), on ne peut dénier tout caractère
stratégique à la lutte armée. Cela pour deux raisons. Primo, comme le font
d’ailleurs remarquer les camarades de VP eux-mêmes, parce que la lutte armée
est incontournable pour le processus révolutionnaire. Secundo, comme ne le
partagent plus cette fois les camarades, parce que sa pratique s’impose à
présent à tous les stades du processus révolutionnaire, des tout premiers pas
jusqu’à l’insurrection de masse.
Mais l’ensemble de cette réflexion n’aborde jamais que
le « caractère stratégique » de la lutte armée. Or ce qui
s’impose — et dont les camarades de Voie Prolétarienne ne soufflent mot dans
leur réponse — c’est de considérer la stratégie révolutionnaire et d’analyser
la place qu’y occupe la lutte armée.
·
La stratégie
révolutionnaire
Quelle doit être la stratégie révolutionnaire dans
les métropoles impérialistes aujourd’hui ? Quelles leçons tirer de l’échec politique et militaire de
la stratégie révolutionnaire du Komintern ? Quelles leçons tirer de la
stratégie de la Guerre Populaire Prolongée théorisée par Mao Tsé-toung, Giap et d’autres encore ? C’est une problématique à laquelle
notre collectif consacre depuis plusieurs années une bonne part de son travail,
avec l’ambitieuse intention d’apporter une contribution dans un domaine
essentiel — généralement trop négligé.
Nous avons jeté les bases d’un projet stratégique,
que nous allons maintenant brosser à grands traits. Toujours avec prudence : nous sommes les premiers
conscients qu’un plan stratégique ne sera jamais appliqué à la lettre, d’un
bout à l’autre. Nous l’avons dit et le répétons : le sort de pareille projection est
d’être adaptée, modifiée, bouleversée, tantôt contrariée, tantôt précipitée par
la marche des événements. D’autre part nous avons construit notre réflexion,
tant que faire se pouvait, sur les expériences — notamment combattantes — du
mouvement révolutionnaire européen. Mais nous n’en ignorons pas les limites et
savons que d’autres expériences devront encore être faites et analysées pour réunir
la somme de connaissances nécessaires à l’élaboration d’un projet stratégique
d’une fiabilité satisfaisante. Pour finir, nous ne cacherons pas qu’en exposant
ce genre de projet nous nous attendons à de multiples et vigoureuses critiques
— souvent pertinentes. Mais nous ne voyons pas comment faire autrement pour
progresser dans ce domaine capital pour tout le mouvement révolutionnaire de
nos pays.
Notre conception stratégique de la guerre
révolutionnaire diffère avant tout de la stratégie classique, maoïste, de la
Guerre Populaire Prolongée par le fait qu’elle considère et intègre une phase
insurrectionnelle. Dans une certaine mesure, nous pouvons dire que notre
conception de la Guerre Révolutionnaire Prolongée combine des principes
stratégiques maoïstes et le schéma insurrectionnel de type Bolchevik. Cette
combinaison recouvre deux étapes qu’il s’impose prioritairement de distinguer.
La première, défensive, vise essentiellement à l’accumulation des forces ( dans tous les
sens du terme : forces organisationnelles,
militaires, plus nombreuses et puissantes, mais aussi et surtout progrès de la
conscience de classe, etc. ) au cours d’une longue lutte de guérilla et grâce à elle ; la seconde, offensive, vise à la
prise du pouvoir d’État à travers l’insurrection de masse.
La période d’accumulation de forces peut elle-même
être divisée en trois phases principales dont nous allons donner un aperçu
général : la phase de la propagande
armée, la phase du harcèlement et la phase de l’assiègement.
La première phase, celle que les Cellules Communistes
Combattantes ont essayé d’impulser en 1984/1985 dans notre pays, est donc la
propagande armée. Il s’agit d’une phase essentiellement idéologico-politique
qui a pour but d’animer et ancrer au sein des avant-gardes communistes et
ouvrières la conviction de la nécessité, de la justesse et de la praticabilité
de la lutte révolutionnaire. Les actions armées y poursuivent des objectifs
prioritairement idéologiques et politiques, elles visent à éveiller, démontrer,
éduquer et convaincre. La puissance de feu n’y entre pas réellement en ligne de
compte, ce qui est primordial est de mener des actions correctes, c’est-à-dire
ralliant politiquement de nouveaux camarades à la lutte révolutionnaire,
renforçant sa crédibilité auprès des masses, développant leur intérêt à son
égard, etc.
La propagande armée peut donc être entreprise à une
échelle modeste, avec des moyens minimes et conduire à de bons résultats. Car
les bons résultats ne dépendent pas tant de l’importance des forces engagées ou
de la prouesse militaire réalisée que de l’intelligence politique à choisir des
objectifs appropriés, de la correspondance entre l’action, sa revendication et
la sensibilité de classe à un moment donné, et de la capacité du mouvement
militant à faire circuler cette revendication dans les secteurs les plus
intéressés, etc. Surévaluer l’aspect militaire de l’action de guérilla aux
dépens de son aspect politique est une erreur trop souvent commise dans le
mouvement révolutionnaire européen. Une action de propagande armée doit bien
évidemment être préparée avec soin et menée avec fermeté et efficacité, mais
son choix, sa conception et son exploitation politiques méritent autant sinon
plus d’attention et d’investissement. D’ailleurs, c’est en respectant strictement
la priorité de l’aspect politique des choses que l’on peut éviter un blocage ou
une déviation militariste, fût-elle simplement une imitation mécaniste des
opérations effectuées par des organisations prestigieuses dans des pays où
l’engagement est plus avancé.
Nous pensons donc que la propagande armée peut être
pratiquée dès que les moyens en sont réunis ( et ces moyens peuvent être modestes ... et efficaces ! Un sabotage artisanal, un incendie
au cocktail Molotov par exemple ).
Autrement dit, il n’y a pas de véritables conditions militaires requises au
préalable, mais simplement des exigences quant à la maturité et la
responsabilité des militants, la correction de la cible choisie et la
correspondance des moyens engagés, le discours revendicatif et l’état d’esprit
du mouvement de classe. Nous sommes aussi d’avis que la lutte armée peut être
engagée par des groupes très réduits de camarades, dans la mesure où nous ne
lui fixons pas de préalables organisationnels ( comme l’existence d’une
organisation constituée, voire la fondation du Parti ). Et sans perdre de vue la critique
au radical-réformisme ou au corporatisme, nous ne
rejetons pas des initiatives cantonnées dans un premier temps à certains
secteurs de la classe quand elles sont issues d’eux. Le principal est qu’au
cours de cette phase se constitue une avant-garde révolutionnaire expérimentée
cherchant son unification sur la base du Marxisme-Léninisme,
capable de construire l’embryon du Parti de classe.
Pour conclure au sujet de cette première phase de la
Guerre Révolutionnaire Prolongée, nous voulons souligner l’importance qu’y
revêt le rapport dialectique entre les forces clandestines de la propagande
armée et l’aire publique d’agitation et de propagande. Cette dernière doit
fonctionner à plein rendement pour la valorisation des initiatives
politico-militaires. Non seulement les militants qui œuvrent dans son cadre
doivent diffuser largement le discours de la guérilla ( communiqués, résolutions, etc. ),
mais de surcroît ils doivent exploiter sur leur terrain ( public ) et à leur manière ( légale et para légale )
l’impact des actions armées pour développer l’agitation, élever la conscience
de classe et affirmer la crédibilité du projet révolutionnaire dans les masses.
De leur côté, en se méfiant de l’opportunisme comme de la peste, les forces
clandestines de propagande armée doivent veiller à rendre leurs interventions
aisément exploitables par l’aire publique d’agitation et de propagande ( les actions
doivent être limpides, parfaitement exécutées et dirigées contre des objectifs
précis à des moments judicieusement choisis ).
La phase suivante est celle du harcèlement. Elle
combine la poursuite de l’objectif idéologico-politique
de la phase de propagande armée avec la prise en charge d’objectifs plus spécifiquement
stratégiques et politiques. Ce tournant consacre l’ouverture de l’affrontement
direct à deux niveaux :
d’une part l’action révolutionnaire vise à éroder l’emprise du pouvoir
bourgeois sur la société, d’une autre elle commence à bousculer ce pouvoir
lui-même.
Pratiquement, l’érosion de l’emprise du pouvoir
bourgeois se conçoit par la capacité des forces révolutionnaires à multiplier
leurs attaques contre les innombrables tentacules que ce pouvoir étend dans
tout l’espace social ( ainsi
les sièges des partis bourgeois, les administrations, les commissariats et
gendarmeries, les associations patronales, réactionnaires, des médias et
institutions sociologiques, des intérêts économiques, des capitalistes et leurs
instruments ou leur personnel de coercition dans les entreprises, etc. ). Certes il importe toujours à ce
stade que les actions soient conçues en tenant compte de l’état d’esprit des
masses et dans le souci d’influer constructivement sur cet état d’esprit. Mais
il s’agit à présent d’aller plus loin qu’un simple objectif idéologico-politique,
il s’agît de mettre les mille et une ramifications du pouvoir bourgeois sous
une pression militaire suffisante pour l’obliger à les fortifier ou à les
abandonner. Un harcèlement fermement entretenu obligera l’ennemi à concentrer
ses organes de pouvoir indispensables afin de les défendre au mieux contre les
attaques de la guérilla. La finalité de cet engagement stratégique est à la
fois de renforcer le mouvement révolutionnaire et de déforcer le pouvoir bourgeois,
en contraignant ce dernier à se retrancher hors de l’espace social. Pour
l’ennemi le préjudice n’est pas tant que l’une ou l’autre de ses agences soit
incendiée à deux ou trois reprises, mais bien qu’il doive abandonner ce poste
avancé dans l’univers social ou le transformer en forteresse et que son
caractère d’intrus soit ainsi révélé.
Le rapport de force prolétariat / bourgeoisie ne se modifie pas
uniquement par les progrès de la conscience de classe, ces progrès doivent se
combiner à d’autres ( organisationnels,
stratégiques, militaires, etc. ) pour que le prolétariat puisse à terme aborder
victorieusement l’insurrection. La phase du harcèlement y contribue parce que
d’une part elle élève la conscience de classe ( à travers la continuité de la
propagande armée et par l’incidence idéologique de l’obligation faite au
pouvoir de se rétracter hors du champ social — avec ce que cela suppose comme
perte de légitimité et démonstration du caractère autonome et parasitaire du
bloc État / bourgeoisie ) et d’une autre elle conduit les
forces révolutionnaires vers un contexte bien plus favorable au déclenchement
de l’insurrection, à savoir la phase de l’assiègement.
La phase de l’assiègement —
ultime phase de l’étape pré-insurrectionnelle de la
Guerre Révolutionnaire Prolongée — est l’aboutissement de la phase du
harcèlement. C’est celle où, dans tous les domaines, le pouvoir bourgeois a été
forcé par la guérilla à abandonner ses points d’appui secondaires et à
concentrer et fortifier les autres ; celle qui voit la militarisation de l’ordre social, où les
forces armées bourgeoises se meuvent hors de leurs casernes comme dans un pays
ennemi ( de la façon militairement la
plus sûre pour faire face à une embuscade ... c’est-à-dire d’une façon désastreuse au niveau idéologique,
politique et stratégique :
l’exemple de l’Irlande du Nord où la moindre commissariat est transformé en
bunker hérissé d’antennes et de caméras, percé seulement de quelques
meurtrières et entouré de chicanes, où les patrouilles circulent en convois blindés
dans les villes, etc., illustre clairement l’aspect stratégique de l’assiègement ) ;
celle où le camp bourgeois est rendu incapable de reprendre l’initiative
contre-révolutionnaire par l’action continue, vigoureuse et sélective du Parti
et de ses combattants ;
celle où le pays n’est plus un allié absolument crédible pour le grand
banditisme impérialiste, etc.
Au-delà de son contenu, la principale responsabilité
de la phase de l’assiègement tient dans sa
perpétuation. Et sans doute est-ce là un problème des plus délicats : il s’agit de conserver
l’initiative dans l’attente de l’apparition imprévisible de la situation de
crise révolutionnaire et du déclenchement de l’insurrection. Or cette phase est
évidemment réversible. Il suffit de penser au cas où les forces
révolutionnaires ( qui,
à ce stade, sont nécessairement organisées en Parti de classe ) subissent d’importantes pertes et
sont incapables d’y remédier, jusqu’au point de ne plus pouvoir maintenir une
pression suffisante sur l’ennemi et donc l’empêcher de quitter sa position
d’assiégé, ou lorsqu’elles doivent faire face à une intervention impérialiste
étrangère renforçant démesurément les forces de la réaction. On comprend alors
combien la phase de l’assiègement doit être soutenue
quand on sait qu’elle constitue la meilleure position du mouvement de classe
pour s’engager dans l’insurrection : les forces révolutionnaires constituées sont puissantes,
expérimentées et équipées, elles se meuvent dans le prolétariat « comme un poisson dans l’eau », tandis que l’ennemi est concentré
en quelques zones parfaitement inaccessibles aux opérations de la guérilla,
mais surtout indéfendables face à un véritable engagement insurrectionnel.
Le matérialisme historique enseigne qu’une
insurrection victorieuse procède de facteurs non seulement subjectifs mais
aussi objectifs, c’est-à-dire indépendants de la volonté des groupes sociaux,
comme par exemple une aggravation sensible de la misère des masses ( et donc une
augmentation de leur combativité ) ou encore une crise politique insurmontable dans le
pouvoir bourgeois. L’échéance de l’insurrection est donc dans une large mesure
imprévisible alors que la raison de la stratégie révolutionnaire est de rendre
le camp du prolétariat toujours plus apte à exploiter une situation
insurrectionnelle. La phase de l’assiègement est
précisément celle où le mouvement révolutionnaire dispose de la meilleure
position stratégique pour le passage aux formes de lutte insurrectionnelle et
c’est pourquoi, dans l’attente de la situation propice, son développement se
traduit par son maintien, son approfondissement et son perfectionnement. En
arriver à assiéger le pouvoir bourgeois ( dans tous les domaines, y compris
les forces de répression )
et maintenir ce siège est accessible par la maîtrise du processus qui voit les
armes de l’ennemi se retourner contre lui. En fait, il serait plus précis de
dire qu’il faut maîtriser le processus qui voit les avantages tactiques de
l’ennemi se convertir en désavantages stratégiques. Quelques exemples aideront
à mieux nous faire comprendre.
Le principe de l’action de guérilla consiste à mener
une action prompte et inattendue dans des conditions tactiques favorables, pour
se replier avant que l’ennemi ait pu déployer sa supériorité en hommes et en
armement. Face à la guérilla, l’ennemi dispose de deux grands axes de riposte : le politique ( essentiellement la guerre
psychologique ) et le policier / militaire. Nous ne parlerons pas ici
du premier, tout le monde sait déjà qu’il s’agit de l’orchestration systématique
de campagnes d’intox, de falsification, de calomnies ordurières, etc.
Le second axe, la riposte policière / militaire, prend forme de trois
manières. Primo, l’investigation, c’est-à-dire l’identification, l’espionnage,
l’infiltration, l’isolement, etc., et la destruction des forces et structures
de la guérilla. Ces pratiques policières se contrent par des mesures de
sécurité et d’autodéfense, par le cloisonnement strict de l’illégalité, par des
initiatives paralysant, égarant ou liquidant les sbires du régime, etc. ( bien entendu,
nous rappelons que l’élément déterminant de la capacité de résistance des
forces révolutionnaires reste en premier lieu leur fermeté politico-idéologique ). Secundo, la fortification,
c’est-à-dire le renforcement de la sécurité des structures ou personnes
susceptibles de faire l’objet d’une attaque de la guérilla, dont une des
conséquences est d’obliger les forces révolutionnaires à consacrer plus de
temps, de moyens et d’effectifs pour la réalisation de leurs opérations. Tertio,
l’interception, c’est-à-dire la capacité de réagir instantanément à l’action de
la guérilla pour empêcher le repli de l’unité combattante, l’encercler,
l’accrocher, l’anéantir.
Fortification et interception sont des méthodes de
riposte qui bénéficient de nombreux progrès techniques ( dans le domaine du matériel, des
équipements, etc. ) et qui se combinent en
tenailles : d’une part, elles
contraignent la guérilla à consacrer plus de temps et à investir des moyens
plus lourds pour une action donnée ; d’autre part, elles lui laissent moins de temps et de
latitude pour mener l’opération et se replier avec une marge de sécurité
raisonnable. L’incidence tactique de ce mouvement de tenailles est donc
indiscutablement gênante, mais l’outil témoigne que l’ennemi lui-même se place
sur la défensive, qu’il se trouve en position d’attaqué.
Malgré les difficultés tactiques qu’entraîne la qualification des forces
d’interception ( espionnage
vidéo et dispositifs de bouclage de villes entières, patrouilles spécialisées
rapides, etc. ) et la course à la
fortification, elles vont dans le sens des objectifs stratégiques
révolutionnaires : elles installent l’ennemi
dans une position d’assiégé.
Par ailleurs, du point de vue stratégique il est bien
plus utile d’attaquer les forces employées par l’ennemi à l’îlotage que celles
destinées à l’interception, même si ce sont ces dernières qui posent le plus de
problèmes lors des actions. De même qu’il est moins intéressant de s’échiner à
mener des actions de grande ampleur pour atteindre l’ennemi dans ses bases les
plus vitales — et donc les plus fortifiées — que de porter des coups peut-être
modestes mais incessants contre des objectifs moins capitaux et plus
accessibles. En résumé, il faut doser les investissements de telle façon que la
mesure retenue serve l’objectif stratégique tout en garantissant aux forces de
la guérilla une marge de manœuvre tactique minimale.
En ce qui concerne les différences entre la stratégie
de la Guerre Révolutionnaire Prolongée telle que nous la concevons pour les
pays impérialistes et la stratégie de la Guerre Populaire Prolongée élaborée
par le Parti Communiste Chinois lors de la guerre contre l’envahisseur japonais
et contre le Kuomintang, il faut reconnaître qu’elles
sont nombreuses. D’abord, dans les centres impérialistes la lutte armée adopte
la forme de la guérilla urbaine. Les conditions objectives ( sociales, démographiques,
géographiques ) interdisent toute guérilla
rurale à grande échelle, et plus encore l’établissement de zones libérées où
s’exercerait le nouveau pouvoir révolutionnaire. L’établissement et
l’administration de zones libérées est un des piliers
de la stratégie de la Guerre Populaire Prolongée comme l’ont conçue les
camarades chinois, et nous devons lui substituer ici la construction et le
développement de réseaux clandestins dans les concentrations urbaines et
industrielles. La capacité ennemie d’amener des forces armées d’une supériorité
écrasante et en un délai très bref dans n’importe quel coin du pays nous
interdit de contrôler militairement un espace donné ( un quartier, par exemple ) plus longtemps qu’il n’est
nécessaire pour mener une action de guérilla ou une agitation politique
protégée.
Cette différence en engendre d’autres. Ainsi, dans la
Guerre Populaire Prolongée telle qu’elle fut et reste menée dans les pays
dominés, la transition entre guerre de guérilla et guerre de mouvement se
réalise progressivement dans le mouvement d’encerclement des villes par les
campagnes, par l’accroissement des zones libérées et la réduction des zones
toujours sous le contrôle de l’ennemi. Pareil mécanisme stratégique ne nous est
pas accessible. Ici, la charnière entre guerre de guérilla et guerre de
mouvement s’établit au moment où la Guerre Révolutionnaire Prolongée fait place
à l’insurrection de masse. À ce moment-là seulement, et dans un bref laps de
temps, la conversion s’opère et les forces révolutionnaires sont mises en
demeure de prendre le contrôle du plus grand ( et propice ) espace et de l’élargir encore.
Nonobstant les différences d’ordre stratégique, il
faut aussi prendre en considération les différences d’ordre politico-social
induites par la différence de structure sociale entre les pays dominés et les
pays impérialistes très développés comme ceux d’Europe occidentale. La plus
importante de ces différences tient dans le caractère de classe de la guerre
révolutionnaire. Dans l’expérience chinoise comme dans celle de la plupart des
pays dominés du tiers-monde, la Guerre Populaire Prolongée reposait sur une
alliance de classe entre la classe ouvrière ( numériquement faible mais
politiquement centrale ),
la petite bourgeoisie économique et intellectuelle ( très influente ), certains secteurs de la
bourgeoisie nationale et, surtout, la paysannerie ( la classe la plus étendue qui porte
sur ses épaules l’essentiel de la guerre de guérilla ). Rien de tout cela chez nous.
Dans les pays impérialistes comme ceux de l’Europe de
l’ouest, l’importance du prolétariat est telle qu’aucune alliance de classe,
stricto sensu, n’est envisageable. Non que des éléments issus de la petite
bourgeoisie ou de la paysannerie ne puissent rallier le processus
révolutionnaire, mais ce ralliement devra consister en une adhésion entière à
la perspective prolétarienne. La liquidation économique de la petite
bourgeoisie atteint ici un degré extrême ; il n’est pas un secteur jadis trusté par cette classe ( commerces,
services en tout genre, etc. ) d’où le grand capital ne procède pas à son éviction.
Partout l’emploi salarié se substitue à l’emploi indépendant. Un clivage très
net s’opère parmi la petite bourgeoisie intellectuelle, qui en rapproche
objectivement du prolétariat la majeure partie et en soude le reliquat à la
bourgeoisie ( cadres, spécialistes, etc. ). Précisons encore qu’au niveau
idéologique la petite bourgeoisie n’a plus la moindre identité progressiste
propre et qu’elle se retrouve contrainte soit d’adopter les idéaux
prolétariens, soit de se prostituer à la réaction bourgeoise.
En raison du haut degré de développement économique
atteint dans les centres impérialistes européens ( et compte tenu de la structure
sociale qui en découle ),
le processus révolutionnaire dans ces pays est de nature ouvertement
prolétarienne et communiste. Point n’y est besoin d’étape intermédiaire à
l’édification socialiste, ni politique ( la démocratie bourgeoise a déjà
livré tout son contenu historique progressiste et l’indépendance nationale —
dans le cadre de l’ordre impérialiste mondial — est acquise ), ni économique ( il n’y a pas de bourgeoisie
nationale à ménager :
l’expropriation prolétarienne peut et doit être drastique ). Cet aspect des choses justifie
aussi le fait que nous parlions de Guerre Révolutionnaire Prolongée en place de
Guerre Populaire Prolongée. Nous pourrions éventuellement parler de stratégie
de Guerre Prolétarienne Prolongée, en raison de son caractère de classe
exclusif, mais nous l’évitons par souci de clarté : le prolétariat ne s’engage
massivement en tant que tel qu’au moment de l’insurrection, c’est-à-dire
précisément quand s’achève l’étape de la Guerre Révolutionnaire Prolongée.
Tout cela dit, il est indiscutable que nous,
révolutionnaires des métropoles, avons tout intérêt à explorer minutieusement
l’immense bagage d’expérience accumulée par le Mouvement Communiste
International au cours des guerres populaires menées en Chine, au Vietnam ou
ailleurs. Un exemple entre mille : nous sommes attachés à la thèse du « Parti combattant », c’est-à-dire à l’option d’un
parti accomplissant lui-même le travail politico-miitaire,
et la manière d’intégrer ce travail dans le cadre de l’activité classique du
Parti pose de nombreux problèmes. S’il s’agissait seulement de quelques
opérations clandestines ( l’élimination
d’indicateurs et d’infiltrés, l’accumulation d’armes, la formation de cadres en
vue de l’insurrection, etc. ), la solution d’un appareil clandestin rattaché à la
direction du Parti et à l’Internationale — solution adoptée par les partis kominterniens — ferait parfaitement l’affaire. Mais pour
nous il s’agit maintenant de mener une guerre révolutionnaire dont la conduite
est bien plus politique que militaire et cela appelle des solutions inédites.
C’est à ce propos que le bagage d’expérience évoqué plus haut peut nous être
utile. Dans la mesure où un appareil entièrement militaire, faisant pièce aux
structures politiques habituelles du Parti, pleinement autonome mais dépendant
de ses instances dirigeantes, ne nous paraît pas adapté au caractère
spécifiquement politico-militaire de la Guerre Révolutionnaire Prolongée
métropolitaine, et dans la mesure où une dilution des forces militaires et une
ventilation des tâches de guérilla dans les structures de base du Parti nous
semble irréaliste, sinon irresponsable, ce que nous pouvons apprendre de la
manière dont le général Giap a combiné des forces militaires spécialisées,
autonomes et puissantes ( celles du Nord ) et des forces armées occasionnelles, légères et issues
d’organisations de base ( celles du FNL ), nous intéresse au plus haut point. Car en effet, on peut
imaginer que la solution aux problèmes structurels posés par la thèse du Parti
combattant et la stratégie de Guerre Révolutionnaire Prolongée réside dans une
combinaison de ce type, qui verrait les structures de base du Parti ( cellules, comités, etc. ) contribuer ponctuellement,
prudemment et avec des moyens limités, à la propagande armée et au harcèlement,
tandis qu’un appareil militaire spécifique, dépendant directement des plus
hautes instances du Parti, assurerait de manière efficace les initiatives
politico-militaires de grande envergure, le tout parfois coordonné dans des
campagnes uniques. Le type d’organisation adopté par le Front de l’Indépendance
dans la Résistance anti-nazie en Belgique avec la structure des Partisans Armés
d’une part et celle des Milices Patriotiques d’autre part présente également beaucoup
d’intérêt à ce propos.
·
Quelques mots
encore sur l’expérience des Cellules et les leçons qu’il convient d’en tirer
Les camarades de Voie Prolétarienne écrivent : « Les camarades des CCC reviennent sur
leur expérience de construction du Parti de manière autocritique (...) en
termes de " dysfonctionnement " avec l’activité militaire.
Mais dans le rapport entre politique et militaire, il ne suffit pas de dire
qu’il y a une relation dialectique, il faut en définir l’aspect principal au risque de l’éclectisme. Si nous sommes
d’accord pour affirmer que " la politique doit être au poste de commande " et que " le parti commande au fusil ", les tâches
organisationnelles, politiques, théoriques, les tâches de parti, ne sont pas
des questions techniques mais une conception politique, une conception des priorités dans les tâches à un
moment donné. » Une critique qu’ils
développent ensuite sous le titre « Le dysfonctionnement des CCC ».
Si nous voulons nous comprendre à ce propos, il faut
manifestement préciser le contenu des domaines « politique » et « militaire » avant d’aborder leurs
interactions, leur relation dialectique, l’aspect principal de cette
dialectique, etc. Car une sorte de réflexe théorique conditionné pousse à
décréter d’office que le militaire sert le politique, que dans la relation
l’aspect principal est le politique et l’aspect secondaire le militaire, point
à la ligne. Mais à la réflexion ça se révèle un peu court ... quand pas dangereux, car
pareilles généralités ( aussi
justes soient-elles ! ) risquent de bloquer l’analyse.
Elles tendent spontanément à des conclusions du genre : le pôle principal c’est le pôle
politique ( légal ), le pôle secondaire c’est le pôle
combattant ( clandestin ), les structures combattantes
doivent servir les structures politiques, etc.
Or ces conclusions ne sont correctes que dans le cas
où les forces militaires révolutionnaires sont spécifiquement militaires et en
tant que telles démarquées des forces révolutionnaires spécifiquement
politiques, donc organisationnellement indépendantes
du Parti ; quand l’Armée Rouge ( ou
l’organisation de guérilla ) est distincte du Parti — même si nourrie par lui, fidèle à
sa ligne générale, disposant d’une hiérarchie propre doublée d’une organisation
de commissaires politiques, etc. Une conception qui fut appliquée dans la
guerre révolutionnaire en Chine ( lorsque
Mao formulait les thèses évoquées par les camarades de VP ) et que rallie encore actuellement
en Espagne le PCE(r), qui est distinct des GRAPO ( les rangs de ces derniers recèlent
des combattants issus du Parti, bien sûr, mais aussi des communistes autonomes,
des libertaires, des anti-fascistes, des démocrates, etc. ).
Et ces mêmes conclusions ne sont plus appropriées
face à la conception stratégique et organisationnelle du Parti combattant
élaborée par les camarades italiens et que nous rallions. Dans le cadre de
cette conception, les principes fondamentaux comme « le Parti commande au fusil » et « le politique est l’aspect principal
de la dialectique politico-militaire » ne conduisent plus automatiquement aux formules
organisationnelles qui furent celles du Komintern. Le
Parti combattant commande aux fusils en intégrant la lutte armée parmi ses
propres tâches — partitistes
—, les rapports entre les structures militaires et les autres structures du
Parti relevant simplement du centralisme démocratique. La nature même du Parti
combattant établit la primauté du politique sur le militaire ( les structures et l’activité
militaires étant directement fonction du projet politique du Parti ) et en même temps elle infirme la
priorité des structures spécifiquement politiques ( des forces d’agit-prop légales
extérieures au Parti, essentiellement ) sur les structures politico-militaires du Parti
combattant, nécessairement clandestines.
Cette mise au point faite, nous pouvons maintenant
réfléchir plus précisément à la critique de l’expérience des Cellules en
1984/1985. On peut effectivement dire qu’il y a eu éclectisme dans le sens où
l’aspect principal de la dialectique entre la propagande armée et
l’exploitation politique et organisationnelle de ses effets ( ce qui est très différent de la
dialectique entre le politique et le militaire ) n’avait pas été clairement dégagé
ou, du moins, n’avait pas conduit à des conclusions pratiques suffisantes.
Le projet erroné auquel les Cellules adhéraient au
départ ( produit bâtard de mauvaises
influences et d’une pratique empirique des choses ) supposait possible d’animer
parallèlement mais séparément une structure clandestine uniquement vouée à la
propagande armée et une aire légale, ouverte ( c’est-à-dire prête à rassembler des
initiatives indépendantes parmi celles qui devaient inévitablement surgir — et
qui, effectivement, apparurent ), vouée à l’agitation, à la propagande, à la formation, au
débat. Une sorte d’attelage informel où les deux chevaux étaient censés marcher
de pair par la seule vertu de leur vigilance politique, de leur attachement à
un projet global commun, de leur volonté sincère à régler leur pas l’un sur
l’autre. Nous savions cette option loin d’être idéale et nous nous rassurions
en fixant son dépassement à une étape ultérieure ( la fondation d’une organisation
capable de jouer un rôle unificateur, dirigeant, solidement implantée dans la
classe, véritable embryon du Parti Communiste Combattant ), mais nous étions alors loin d’en
mesurer toute la naïveté subjectiviste.
Nous pourrions résumer notre autocritique ainsi : la dialectique entre propagande
armée et exploitation politique et organisationnelle de la propagande armée est
essentielle, elle constitue l’âme de notre stratégie révolutionnaire. Tout
dysfonctionnement à cet endroit ( en raison d’une orientation fausse ou d’une direction
déficiente, d’une mauvaise distribution / structuration / articulation des forces, etc. ) débouche soit sur le militarisme ( cf. Action Directe ), soit à l’opposé sur l’opportunisme
liquidateur ( cf. l’UCC ), et en tout cas sur la défaite ( cf. les Cellules ).
Cette autocritique est à la base des conclusions que
nous avons exposées — sans doute trop hâtivement — dans notre première
participation au débat. Nous disions la nécessité d’un pôle de lutte
clandestin, recouvrant tous les domaines de l’activité révolutionnaire ( politique, militaire,
organisationnel ), animant lui-même
l’essentiel de la dialectique politique / militaire
et incarnant l’aspect principal de la dialectique légalité / illégalité. L’aspect secondaire de
cette dernière relation tenant dans les structures publiques d’agit-prop, de
solidarité prolétarienne, d’édition, etc.
L’expérience de 1984/1985 enseigne
qu’au lieu de se reposer sur l’aire légale pour assurer tout le travail
politique, les Cellules auraient dû privilégier les deux axes suivants. Primo,
un travail politique et organisationnel avec les sympathisants restés à l’écart
des structures publiques et donc de l’espionnage policier, en place de
l’instrumentalisation qui fut trop souvent la règle ( le travail de formation, par
exemple, était pratiquement subordonné au travail militaire ). Cette façon de faire doit créer,
favoriser une dynamique de développement lente ( untel connaissant untel qui connaît
untel et ainsi de suite )
mais sûre et conforme aux besoins de la lutte. Secundo, un travail de
propagande armée spécifiquement conçu pour favoriser la prise en charge
d’initiatives révolutionnaires autonomes par les secteurs avancés de la classe
avec lequel, compte tenu de son isolement relatif, l’organisation ne pouvait
encore établir de relations directes.
Transférer des militants éprouvés de l’aire légale au
pôle clandestin ( ainsi,
par exemple, l’entrée de Pascale et Didier dans les Cellules en octobre 1985 ) peut parfaitement se justifier,
rien ne s’y oppose par principe tant que cela reste marginal par rapport au
développement de filières clandestines de recrutement et de formation. Estimer
que l’aire d’agit-prop constitue la réserve opérationnelle, le « vivier naturel », l’antichambre forcée de la lutte
clandestine est une grave erreur. Au-delà des inconvénients tactiques de cette
conception ( elle
offre une voie royale à l’espionnage et aux infiltrations ), elle est inacceptable en ce
qu’elle établit un rapport de dépendance des structures combattantes vis-à-vis
de l’aire légale. Elle ôte finalement toute substance au projet stratégique
faisant du Parti clandestin le centre de gravité du mouvement révolutionnaire.
Tout ça pour dire que quand nous évoquions le
problème du dysfonctionnement dans l’interaction propagande armée /
exploitation de la propagande armée qui s’est posé aux Cellules en 1984/1985,
contrairement à l’idée que nous prêtent les camarades de VP nous ne faisions
pas allusion à un problème « technique » mais bien à un problème stratégique. Notre autocritique
reconnaît certes, en plus, une mauvaise distribution des forces et de mauvais
choix dans les investissements, mais elle souligne avant tout un vice de la
conception stratégique qui rendait impossible une gestion centralisée, qui
rendait ardue la perception des déséquilibres et dysfonctionnements — et de
surcroît empêchait d’y remédier.
Il faut aussi être précis quand on parle de la « déviation militariste » qui a entaché la lutte de notre
organisation en 1984/1985 et ne pas tomber dans une généralité réductrice et
expéditive. Car si le pôle politico-militaire — les Cellules — a bien souffert
d’une déviation militariste, le pôle politique public et légal a souffert dans
le même mouvement et pour des raisons symétriques d’une déviation opportuniste.
La relation illégalité / légalité doit être considérée dans
sa totalité et on ne peut en isoler un seul terme. La dérive opportuniste des
structures légales fut l’exact pendant de la surenchère militariste des
Cellules. Il n’y pas eu trop de militaire de façon absolue dans la pratique des
Cellules ( il
faudrait dans ce cas conclure à trop de politique du côté des structures publiques ? ! ), le problème exact fut que la
propagande armée était déconnectée d’une agit-prop classique, comme l’agit-prop
menée par les structures légales était déconnectée de la propagande armée. On a
pu ainsi voir des initiatives d’agit-prop classique rester stériles parce que
menées en faveur du projet révolutionnaire dans des secteurs où ce projet
n’avait pas été crédibilisé par la propagande armée. La stérilité de ces
initiatives d’agit-prop était le miroir des actions de propagande armée restées
sans écho.
Bien sûr c’est un problème complexe. Il ne suffit pas
seulement de faire coïncider au bon endroit le travail d’agit-prop et la
propagande armée. Il faut aussi que les angles d’attaque politique, les thèmes
d’interventions, les mots d’ordre avancés, etc., soient correctement
sélectionnés pour garantir l’épanouissement des potentialités de l’activité
politique et politico-militaire. Mais cela nous ramène tout de même au propos
de notre première intervention, à savoir que dès le premier stade du processus
révolutionnaire « une gestion centralisée de
tous les aspects politiques et militaires de la lutte est nécessaire [car] elle
seule permet de doser correctement les investissements politiques et militaires
et de leur assurer ainsi une interaction dialectique et productive. »
Nous pensons donc que la manière dont les camarades
de VP perçoivent notre autocritique, dont ils tentent de la tirer en direction
d’une critique de la lutte armée dès les premières étapes du processus
révolutionnaire est incorrecte.
·
Quelle version
de la conception insurrectionnelle aujourd’hui ?
Après avoir exposé notre projet stratégique dans ses
grandes lignes, avec ses lacunes, ses audaces, ses points faibles, etc., il
nous semble opportun de retourner le problème aux camarades de Voie
Prolétarienne : — Nous ne doutons pas que
notre projet vous paraîtra hérétique ... mais il ne suffira pas de répondre qu’en plus de la
poudre il sent le fagot. Voulez-vous présenter le projet stratégique que vous
ralliez, en continuation / adaptation / amélioration de la conception
insurrectionnelle en vigueur dans le Komintern dans
l’entre-deux-guerres ?
À ce propos, les camarades de VP écrivent dans leur
première contribution au débat : « Ce
ne sont pas les faibles résultats de nos activités respectives qui permettent
actuellement de trancher sur la justesse de l’orientation proposée. Plutôt que
d’en rester aux actes de foi respectifs ( pour ou contre la lutte armée ), il faut faire le bilan des
expériences passées, qui ne manquent pas. S’il faut rejeter la conception " insurrectionnaliste ", cela n’implique pas pour
autant le développement dès aujourd’hui de la lutte armée. »
En théorie, non, mais que proposent alors les
camarades ? Le passé est riche
d’expériences et force est de constater que du point de vue stratégique elles
se rangent dans l’une ou l’autre des trois catégories suivantes : la stratégie insurrectionnelle ( de type Komintern ), la stratégie foquiste ou la stratégie de
guerre prolongée. Plus encore que la stratégie insurrectionnelle — et ce n’est
pas peu dire —, la stratégie foquiste a révélé au fil de ses échecs sur le continent
latino-américain ( mais
aussi en Iran ) qu’elle ne pouvait
triompher que face à un régime dans un état de faiblesse exceptionnelle.
Reste alors la guerre prolongée. Si l’on excepte le
succès insurrectionnaliste
en Russie et foquiste
à Cuba, toutes les victoires révolutionnaires ont été obtenues d’une façon ou
l’autre selon les principes de la guerre prolongée. Le Président Gonzalo, qui a
fondé la guerre populaire au Pérou avec le succès que l’on sait, affirme que la
guerre prolongée a une valeur universelle en tant que principe stratégique ( comme le Parti a
une valeur universelle en tant que principe organisationnel ), qu’elle constitue la doctrine
militaire du prolétariat et de ce fait un des apports essentiels de Mao Tsé-toung au Marxisme-Léninisme ( il exprime cette opinion notamment
dans l’interview donnée à El Diario en 1989 ).
Ne s’impose-t-il pas alors aux révolutionnaires des
métropoles de s’investir dans l’étude de la Guerre Populaire Prolongée, de ses
succès ( Chine,
Indochine, Pérou ) comme de ses revers ( Malaisie ), pour en distinguer tout ce qui
relève spécifiquement des pays dominés ( agricoles, semi-féodaux et
sous-développés ) d’une part et son contenu
universel d’une autre ?
Pour élaborer à partir de ce contenu une ligne stratégique correspondant à la
réalité des métropoles, en mettant à profit les leçons des expériences du
mouvement révolutionnaire européen ?
Nous en sommes persuadés et c’est avec cette
conviction que nous avons développé notre proposition stratégique de « Guerre Révolutionnaire Prolongée ». Faisons aussi remarquer que nos
recherches dans cette direction sont loin de faire exception.
Ce n’est pas un hasard si les camarades d’un pays en
partie agricole et sous-développé, en partie prolétarisé et urbanisé, à savoir
la Turquie, énoncent un projet stratégique spécifique de « Guerre Révolutionnaire Composée » relevant à la fois de la Guerre
Populaire Prolongée et des orientations stratégiques du courant
marxiste-léniniste combattant dans le mouvement révolutionnaire européen.
Nous espérons que cette seconde participation au
débat avec Voie Prolétarienne aura suffisamment répondu aux questions des
camarades à propos des raisons et des choix stratégiques qui fondent selon nous
la nécessité immédiate de la lutte armée dans l’activité communiste. Précisons
que nous la justifions encore par d’autres raisons dans d’autres domaines et
que nous jugeons pleinement erronée et inacceptable l’opinion exprimée par les
camarades de VP quand ils écrivent :
« Aujourd’hui, selon nous, le " communisme combattant " ( version moderne du terrorisme à
l’époque de Lénine ) gaspille des forces
révolutionnaires, des énergies militantes, en stérilise d’autres détournées des
tâches urgentes du moment : combattre la confusion sur tous les terrains, reconstruire
le Parti, se lier à la classe ouvrière, recréer le cadre politique et
organisationnel nécessaire pour pouvoir changer d’échelle dans l’activité. »
À notre avis la propagande armée ( la forme de lutte armée qui s’impose
aux premiers stades de l’activité des communistes ) permet précisément de combattre la
confusion en révélant l’existence d’une initiative révolutionnaire conséquente
et irréductible, elle établit l’espace et détermine les critères de
reconstruction du Parti dont a besoin le processus révolutionnaire dans les
pays européens aujourd’hui — à savoir un Parti combattant —, elle permet de
mobiliser et de rallier les avant-gardes ouvrières ( cheval de Troie en direction des
larges masses ) sur une base véritablement
révolutionnaire et elle crée à terme les conditions permettant d’accéder à
l’étape stratégique suivante.
Nous aurions aimé poursuivre le débat, il nous semble
que beaucoup de matière mériterait encore d’être abordée, décortiquée, analysée ... Mais bon, Voie Prolétarienne
souhaite pour sa part le suspendre provisoirement. Nous regrettons la décision
des camarades autant que nous la respectons. Nous voulons d’ailleurs aussi leur
dire combien nous avons été heureux du sérieux et de la camaraderie dont nos
relations ne se sont pas départies durant ce travail — contradictoire — en
commun. Mais peut-être sera-t-il relancé plus vite qu’on l’imagine ?
POUR LE COMMUNISME !
VIVE L’INTERNATIONALISME
PROLÉTARIEN !
Collectif
des prisonnièr(e)s des
Cellules Communistes Combattantes
2 octobre 1993
Manuel Perez
Martinez ( Arenas ) / PCE(r)
SUR LA STRATÉGIE DE LA LUTTE ARMÉE RÉVOLUTIONNAIRE
Le débat ouvert il y a longtemps déjà dans le mouvement
révolutionnaire en Europe occidentale, autour de l’importance ou du rôle
stratégique de la lutte armée révolutionnaire, est très loin de sa conclusion.
On en a une preuve avec le supplément de la revue Correspondances
Révolutionnaires n° 12-13,
d’octobre-novembre 1992, où on trouve deux textes qui
ont attiré notre attention. Le premier a pour titre « Lutte armée et politique
révolutionnaire » et il est signé par le
Collectif des Prisonnièr(e)s
des Cellules Communistes Combattantes. Le second lui répond et il a également
un titre frappant : « Violence révolutionnaire et
construction du Parti, aujourd’hui, en Europe » Il est signé par le Comité
Directeur de Voie Prolétarienne ( VP ).
L’intérêt de ces deux textes est grand, au moins pour
nous, parce qu’ils vont nous permettre d’éclaircir quelques idées qui étaient
restées en dehors des polémiques antérieures et qui, néanmoins, se trouvent à la base de tout débat sur le sujet.
Pour le reste, nous regrettons de ne pouvoir partager ce style de débat « tout à fait correct » qu’ont employé les camarades des CCC,
qui sans doute a rendu les choses beaucoup plus faciles aux rédacteurs de VP
déclarant dès l’introduction de leur texte : « Nous voulons tordre le cou à une
certaine forme de romantisme autour de la lutte armée, comme solution
hypothétique face aux difficultés actuelles du communisme militant. » Ensuite, ceux de VP demandent : « Pourquoi avec les CCC ? », et voilà leur réponse : « Parce que ce sont les camarades qui
nous l’ont proposé, sous une forme qui nous convenait. »
Il est évident que sous cette « forme » conciliatrice, sous cette
respectabilité ( pleinement
au goût des philistins petits-bourgeois ), on ne peut défendre aucune position révolutionnaire.
C’est ce qui a permis à VP, à l’encontre des désirs ou des bonnes intentions
des prisonniers des CCC, d’apporter de l’eau à son moulin. Il est indéniable,
comme VP s’est chargée de le souligner, qu’il existe un « désaccord sur un point fondamental », à savoir que « VP ne juge pas nécessaire dès aujourd’hui
la pratique de la lutte armée » tandis que les CCC disent : « pour notre part nous sommes
persuadés de sa nécessité immédiate ». Mais il n’est pas moins vrai que les preuves apportées
par les camarades belges dans leur plaidoirie, preuves qu’ils se sont souciés
de réunir avec soin, ne parviennent pas à établir sur une base sûre et claire,
vraiment de principe, le désaccord proclamé. Elles n’acquièrent à aucun moment
une dimension théorique et se confondent plusieurs fois avec l’idée qu’ils
prétendent combattre, sans même arriver à effacer cette trace de « romantisme » que ceux de VP ont décelée dans
leur texte.
Il en est ainsi parce que les camarades des CCC n’ont
pas encore compris que le débat ne tourne pas ( ou ne doit pas tourner ) autour de l’utilisation immédiate, ou non, de la lutte armée.
Ils n’ont pas compris que cette question est une question dérivée, conditionnée par une autre beaucoup plus importante. On
peut dire la même chose des autres questions sur lesquelles ils ont insisté
dans tous leurs écrits et déclarations, au sujet du rôle « initiateur » ou propagandiste qu’ils attribuent
à la lutte armée révolutionnaire. Tout cela est très juste dans les conditions
qu’ils décrivent, mais ce n’est pas le plus important quant aux effets
théoriques et pratiques. On ne doit pas s’étonner du fait que les rédacteurs de
VP en aient conçu une certaine arrogance et proclament en criant à tue-tête : « C’est en effet une constante de tout
le courant combattant européen de traiter de la lutte armée " en général ", sans caractériser le
contexte dans lequel elle se déroule. Il n’y a rien de plus faux. » Oui, bien sûr, il n’y a rien de
plus faux et ils le savent très bien.
Nous ne sommes pas étonnés du fait que malgré
l’énorme intérêt qu’ils ont toujours démontré pour les péripéties de ce
courant, ils aient passé sous silence l’expérience du mouvement de résistance
organisé que notre Parti dirige en Espagne depuis plus de dix-sept ans. Mais
pour ces messieurs, nous n’avons même pas atteint la qualité de « combattants ». Nous ne sommes pas affligés
d’être traités d’une façon tellement discriminatoire et même vexatoire par d’illustres et éprouvés révolutionnaires
marxistes-léninistes, comme sans doute ils se considèrent. Au contraire, il
est connu que nous sommes un peu masochistes et que nous aimons ça. Pour cette
raison, nous n’avons aucune difficulté à reconnaître leurs précieuses
contributions au débat qui est en train de se développer, ni à leur consacrer
tout le temps et la place qu’elles méritent.
Il est fort possible que les dirigeants de VP n’aient
pas jeté un coup d’œil sur nos matériaux, mais tout de même, ils doivent avoir
lu « La critique contemplative » que nous avons dédiée au fameux Mr
Becker. Ce document a été cité par les camarades des CCC dans le texte que VP
soumet à une rigoureuse analyse. Il est donc inclus dans l’opération de « torsion du cou » qu’ils ont cherché à réaliser,
même s’ils ne le citent jamais. Il est exact que les camarades des CCC ont
préféré insérer une partie seulement d’un passage de la plus grande importance
par rapport au problème traité. Et qu’ils l’ont extrait en coupant plusieurs
fois le fil du raisonnement et de sa conclusion logique, pour inclure des
phrases qui ne veulent absolument rien dire. Ils doivent connaître les raisons
qui les ont conduits à se livrer à pareilles amputations, même si nous doutons
beaucoup qu’il s’agissait de maintenir les
bonnes manières. Mais voyons tout de suite ce que dit ce passage que les
camarades des CCC ont coupé comme ils l’ont voulu :
« En fait, la violence n’est pas la question centrale dans la
critique que Becker fait à la guérilla urbaine. Sa tentative vise à poser le
faux dilemme de savoir si ce sont les masses ou " un petit groupe " qui l’exerceront.
Mais que nous sachions, personne ici n’a dit que la révolution puisse être
l’œuvre de quelques élus, même très héroïques, vaillants ou prêts au sacrifice.
Ce que nous soutenons, c’est l’absolue nécessité d’incorporer la lutte armée à
la stratégie révolutionnaire, en la concevant comme une partie essentielle,
comme quelque chose qui découle de tout le développement historique et des
conditions matérielles objectives dans lesquelles se livre aujourd’hui la lutte
de classe au sein des États capitalistes, de leur nature fasciste et
spoliatrice, profondément réactionnaire. Dans ces conditions, que Mr Becker se
charge bien de mentionner, la lutte armée surgit de manière inévitable comme
résultat de la crise, de l’intensification de l’exploitation de la classe
ouvrière et des autres travailleurs, de la brutalité et de l’oppression qu’ils
subissent de la part de l’État ; elle naît de la résistance qu’opposent les masses, d’une
manière croissante, au système de la bourgeoisie en processus accéléré de ruine
et de décomposition. Au moment venu — qu’il est impossible de fixer dès
maintenant —, cette forme de lutte devra devenir principale et toutes les
autres devront y être subordonnées. »
Il se peut que cette citation soit insuffisante pour « caractériser le contexte » dans lequel se développe la lutte
armée en Europe, mais ce que personne ne peut mettre en doute, c’est qu’il
s’agit tout au moins d’un essai de caractérisation,
c’est-à-dire qu’on n’est pas en train d’ignorer ni omettre cette donnée si
essentielle au moment de déterminer la stratégie révolutionnaire. Il faut
remarquer en outre qu’on est occupé à traiter cet important problème sur un
plan général, et non dans la perspective des conditions d’un pays concret,
comme pourrait être l’Espagne. Si les dirigeants de VP sont si intéressés,
comme ils le disent, par ce thème — et non seulement par « tordre le cou » aux romantiques —, nous osons leur
suggérer de lire les textes du PCE(r). Ils pourraient y trouver une « caractérisation du contexte » non seulement générale mais aussi concrète, qui se réfère à un pays
concret où depuis de nombreuses années se livre le type de lutte qu’ils
déplorent tant. Pourraient-ils en faire l’effort ? Ne serait-ce qu’essayer ? Ne perdons pas espoir. Nous savons
que pour eux, comme pour leur compère Mr Becker dont ils ont sûrement pris
exemple, toute cette lutte et l’analyse du Parti à son endroit n’est rien
d’autre que du « réformisme armé ». Nous avons pourtant réalisé cette
analyse du « contexte », qu’ils sont en train de réclamer.
Mais au lieu de s’y attacher, de l’étudier et de la critiquer, ils ont choisi
de l’ignorer. Ils ressemblent aux
autruches face au péril, qui se défendent en se cachant la tête sous l’aile.
Cette attitude les rend même incapables d’étudier le problème dans les termes
justes de sa formulation et les empêche aussi de comprendre un texte si clair
et si fondamental à cet égard que le travail de Lénine « La guerre de partisans ». Ils le citent sans se rendre
compte qu’il fut précisément rédigé pour faire un peu de lumière dans la tête
de ceux qui « esquivent (...) l’analyse
des conditions de la guerre civile au moyen de clichés et de phrases rabattues
sur l’anarchisme, le blanquisme, le terrorisme ... »
Quelles conclusions devons-nous tirer de ce texte ? D’abord, Lénine fait remarquer les
deux questions fondamentales dont il faut tenir compte au moment d’examiner le
problème des méthodes de lutte, qui sont justement celles dont on est en train
de discuter :
« En premier lieu, le marxisme diffère de toutes les formes
primitives du socialisme en ce qu’il ne rattache pas le mouvement à quelque forme de combat unique et
déterminée. Il admet les méthodes de lutte les plus variées. (...) [Le
marxisme] n’entend en aucun cas se limiter aux formes de lutte possibles et
existantes dans un moment donné ; il reconnaît qu’un changement de la conjoncture sociale
entraînera inévitablement l’apparition
de nouvelles formes de lutte, encore inconnues aux militants de la période
donnée. Le marxisme, sous ce rapport, s’instruit,
si l’on peut dire, à l’école pratique des masses ; il est loin de prétendre faire la leçon aux masses en leur
proposant des formes de lutte imaginées
par des " fabricants de système " dans leur cabinet de
travail. (...) »
« En second lieu, le marxisme exige absolument que la question
des formes de lutte soit envisagée sous son aspect historique. Poser cette question en dehors des circonstances
historiques, concrètes, c’est ignorer l’abc du matérialisme dialectique. À des
moments distincts de l’évolution économique, en fonction des diverses
conditions dans la situation politique, dans les cultures nationales, dans les
conditions d’existence, etc., différentes formes de lutte se hissent au premier
plan, deviennent les principales, et par suite, les formes secondaires,
accessoires, se modifient à leur tour. Essayer de répondre par oui ou par non,
quand la question se pose d’apprécier un moyen déterminé de lutte, sans
examiner en détail les circonstances concrètes du mouvement au degré de
développement qu’il a atteint, ce serait abandonner complètement le terrain
marxiste. »
« Tels sont les deux principes essentiels qui doivent nous
guider. »
Mais il ne suffit pas de proclamer ces deux
principes. En plus, Lénine établit bien clairement que cela n’exempte pas le
parti révolutionnaire du devoir de « généraliser » et « rendre conscientes » les nouvelles formes de lutte dont le mouvement ne cesse
de se doter, en mettant au premier plan à chaque étape du développement celle
de ces formes qui est devenue la principale, en vue de l’impulser et de
l’étendre, en lui soumettant toutes les autres.
Néanmoins, de cette position de Lénine que nous
venons de citer, les dirigeants de VP ont déduit que « de fait, tous les théoriciens du
marxisme se sont attachés à situer la lutte armée dans son contexte politique ». En réalité, ce « contexte politique » n’est rien d’autre que le moment
de l’insurrection générale. En dehors de ce moment, selon VP, la lutte armée
n’a aucun sens théorique ni politique. « Parler de nécessité de lutte armée en Europe — affirment-ils
— c’est la justifier politiquement dans le contexte actuel. Malheureusement,
les camarades des CCC ( comme
la plupart des militants combattants ) sont silencieux à ce propos, et restent à l’affirmation de
principe de sa nécessité. Leurs documents sont hors du temps, et bien malin qui
pourrait dire en quelle année ils ont été écrits. » En vérité, ceux qui sont hors du
temps et de toute réalité sont les dirigeants de VP Pour eux, tout le problème
se réduit en fin de compte à une question de « justification » politique. Cet aspect lui-même
reste complètement estompé dans leur texte, dès le moment où il se formule de
façon unilatérale, en le séparant de sa vraie base ou de son contexte historique, social et
économique. Tout ce qu’ils disent sur « le contexte dans lequel se développe la lutte armée » se réduit précisément à une
description des éléments purement conjoncturels ou de la situation politique,
oubliant tous les traits essentiels
du régime économique et politique de l’époque dans laquelle nous vivons dans
les pays capitalistes. Autrement dit, à part ce verbiage emphatique sur le « contexte » et les attaques contre la lutte
révolutionnaire, rien n’apparaît dans leur travail qui puisse être considéré
comme un essai sérieux d’analyser ces problèmes.
Apparemment, ni Lénine ni aucun marxiste n’ont décrit
le cadre général dans lequel se développe actuellement la lutte de classe dans
le monde entier ; ils n’ont pas élucidé le « contexte » économique et politique de l’impérialisme, du régime des monopoles ; ils n’ont pas non plus caractérisé
l’opportunisme qui cache et falsifie cette réalité avec mille arguties en même
temps qu’il sabote le développement de la lutte des classes sous toutes ses
formes. Rien d’étonnant si, après tant de verbiage à propos du « contexte » et autres choses, ils concluent en
réduisant le problème des méthodes de lutte ( et d’organisation ) qu’il faut appliquer à notre
époque ( l’époque de la crise
générale du système capitaliste ) à une question de tactique,
d’opportunité politique : peut-être que hier les conditions pour le développement de
la lutte armée étaient réunies, aujourd’hui elles ne le sont absolument pas, et
demain ... eh bien, en réalité, on
ne sait pas très bien ce qui se passera demain et on ne peut pas le savoir,
tout ça dépendra de la situation politique ! Ce qu’on peut faire maintenant,
c’est « revendiquer » le « caractère stratégique de la violence
révolutionnaire ». Tous les opportunistes
raisonnent de cette façon, ils font l’apologie du capitalisme et du régime
politique bourgeois, en le faisant apparaître comme si ce système n’avait pas
changé depuis la fin du XIXe siècle. C’est
parce qu’ils rêvent de pouvoir revenir à l’utilisation des vieilles méthodes de
lutte qu’il fallait appliquer à cette époque-là. De cette façon, ils pensent
accumuler des forces révolutionnaires à travers un processus pacifique et
légal, en attendant que se présente l’opportunité ( la conjoncture politique ) qui leur permettra « d’organiser l’insurrection ». C’est seulement dans ces
conditions qu’ils sont disposés à reconnaître l’importance ou le « caractère stratégique » de la lutte armée ( autre chose est
de l’organiser et de la pratiquer quand arrive le moment ). Mais le fait qu’aujourd’hui on
oppose une résistance les armes à la main, et qu’on cherche à aider de cette
façon les masses et leur organisation révolutionnaire, c’est une forme de « romantisme », de « terrorisme » ou « réformisme armé » qu’ils sont obligés de combattre !
Ils oublient ou passent sous silence dans leur
analyse l’étape historique dans laquelle nous vivons, la phase monopoliste,
impérialiste du développement capitaliste, et le régime politique correspondant
qui est de caractère policier, militariste et profondément réactionnaire
indépendamment du pays particulier dont il peut s’agir et de toute conjoncture
politique concrète ; ils oublient ou ne veulent
pas tenir compte que dans ces conditions, il devient impossible au prolétariat
d’organiser ses forces et de les disposer pour la lutte s’il n’utilise pas
d’autres moyens appropriés à la situation ; en outre, ils oublient ou ne veulent pas tenir compte que
dans tous les cas, même en mettant les choses au mieux, la bourgeoisie
monopoliste ne se laissera pas surprendre quelle que soit la « conjoncture » par un mouvement insurrectionnel,
que tout cela relève de l’histoire et que l’État de la bourgeoisie monopoliste
n’est rien d’autre que la
contre-révolution armée prête à assaillir la révolution à n’importe quel
moment.
« Les formes anciennes [de lutte] ont
éclaté, leur nouveau contenu — contenu anti-prolétarien, réactionnaire — ayant
atteint un développement démesuré. » ( « La maladie infantile du communisme —
Le "gauchisme" » ). Ici Lénine ne se réfère ni à une
conjoncture politique déterminée ni à aucun pays concret ; il formule un problème qui relève
d’une situation générale, qui touche non seulement un moment donné de la vie
d’un pays mais aussi toute une étape de l’évolution historique ou économique et
qui, pour cette raison, concerne l’ensemble du mouvement révolutionnaire de
tous les pays. On en déduit le caractère
stratégique qu’ont acquis les nouvelles méthodes de lutte. Il ne s’agit
pas, comme le suggèrent les dirigeants de VP, d’une stratégie conçue comme « une succession de tactiques
appropriées, selon les périodes et les contradictions politiques rencontrées », mais d’intégrer les nouvelles méthodes de lutte, l’action armée et
beaucoup d’autres formes de résistance que les masses opposent tous les jours
au système d’exploitation et d’oppression capitaliste, comme parties de la stratégie générale de la
lutte du prolétariat révolutionnaire ; il s’agit, enfin, de « régénérer, vaincre, se soumettre
toutes les formes, anciennes aussi bien que nouvelles — non pour s’accommoder
des formes anciennes, mais pour savoir faire de toutes les formes, qu’elles
soient anciennes ou nouvelles, un instrument de la victoire définitive et
complète, décisive et irréversible du communisme. » ( op. cit. )
M.P.M. ( Arenas )
Avril 1994
Note à propos de l’article
du camarade Arenas « Sur la stratégie de la lutte armée
révolutionnaire »
La rédaction de notre seconde contribution sous le
titre « Lutte armée et politique
révolutionnaire », qui répond à « Violence révolutionnaire et
construction du Parti, aujourd’hui, en Europe » du Comité Directeur de Voie
Prolétarienne était achevée depuis un bon moment lorsque nous avons pu prendre
connaissance de l’article du camarade Arenas intitulé
« Sur la stratégie de la lutte
armée révolutionnaire ».
Nous n’en avons pas modifié notre nouveau travail, mais nous pensons que des
lecteurs pourraient être intéressés par les précisions suivantes que,
croyons-nous, l’article en question appelle.
Arenas nous critique d’abord pour
avoir choisi d’affronter à fleurets mouchetés, avec force civilités, les
camarades de Voie Prolétarienne sur la question de la lutte armée. Lui-même
mène sa critique au sabre d’abordage, tambour battant, en considérant que rien
ne distingue VP des Becker ( MRI ) et consorts déjà sévèrement
étrillés par le PCE(r) dans le texte « La critique contemplative ». Rappelons simplement que dans la
longue introduction de notre première contribution nous exposions pourquoi nous
rejetons pareil amalgame. Loin d’une considération de philistin et sans
méconnaître la profondeur de nos désaccords, nous estimons que la pratique politico-militante de VP tranche d’une façon salutaire avec
les malhonnêtetés, les tours de passe-passe et autres comportements de bandits
politiques des Becker, PTB et Cie.
Le camarade déclare ensuite que notre texte,
contrairement à son intention, ne permet pas de fonder théoriquement la
nécessité de la lutte armée pour la lutte révolutionnaire aujourd’hui : « … les camarades des CCC — écrit-il
notamment — n’ont pas encore compris que le débat ne tourne pas ( ou ne doit pas
tourner ) autour de l’utilisation immédiate, ou non, de la lutte armée ». Il estime d’ailleurs que notre
propos s’exposerait à la critique formulée par VP : nous aurions commis l’erreur de
traiter de la lutte armée « en général » sans nous soucier de son contexte. Et il poursuit en
présentant son analyse de ce contexte et en rappelant à l’occasion que le PCE(r)
a exposé depuis longtemps son point de vue sur la question. Bon. Dans notre
seconde contribution, nous tâchons de démontrer que la critique formulée par VP
est injuste et inappropriée. Injuste parce que nous nous soucions bel et bien
du contexte, inappropriée parce que ce contexte ne peut-être ramené à une
affaire de « conditions politiques » ( conjoncturelles ) mais concerne le domaine de la
stratégie révolutionnaire à notre époque. Cependant nous n’ignorons pas
l’existence d’une divergence de vue particulière entre les militants espagnols
et nous, une divergence qui expliquerait l’insatisfaction du camarade Arenas devant notre texte. Nous y reviendrons brièvement
plus loin.
Arenas remarque encore qu’à
l’occasion d’une citation extraite du document du PCE(r) « La critique contemplative », nous avons sélectionné le propos
afin d’en retenir une idée et en évincer une autre. En fait, nous avons
simplement cité deux passages en signalant leur écartement par le signe
typographique adéquat. Il n’y a donc pas lieu de parler de coupure du
raisonnement « plusieurs fois », de « pareilles amputations », d’introductions de « phrases qui ne veulent absolument
rien dire », etc. L’accusation qui
transparaît sous la plume du camarade Arenas est
vraiment déplacée. Cela dit, il est plus intéressant de se pencher sur le
fondement théorico-politique du problème. Nous allons
l’évoquer sommairement.
Nous avions décidé de citer « La critique contemplative » dans un cadre précis, le point "F"
de notre analyse, intitulé « Violence d’avant-garde ou violence de masse : un faux dilemme ». Nous y démontrions que cette
opposition imaginée entre violence d’avant-garde et violence de masse est
erronée, qu’il n’y a pas à choisir, que l’une et l’autre ont des sources
respectives, obéissent à des logiques propres, etc. Ce faux dilemme, un
argument chéri par les critiques malhonnêtes de la lutte armée, était selon
nous inadmissible de la part des camarades de VP. Nous avons alors cité la
critique contre Becker pour souligner combien cette conception n’était qu’une
vieille lune malsaine, opportuniste, éventée depuis longtemps.
Il est vrai que, dans La critique contemplative, les
camarades du PCE(r) ne se sont pas contentés de critiquer ce faux dilemme pour
son seul caractère opportuniste ( pour
sa seule négation du rôle de l’avant-garde ). Ils associent leur critique à une
analyse de la lutte armée révolutionnaire européenne que nous n’avons pas
reprise — que nous avons délibérément évité de citer — et sur laquelle le
camarade Arenas revient dans son article. Car si nous
sommes d’accord avec la critique à l’opportunisme ( traduite dans les deux passages
réunis en citation ), nous ne le sommes pas
avec l’analyse prétendant fonder la légitimité de la lutte armée par le « fait » qu’elle naîtrait de la résistance
que les masses opposent au système. Nous pensons que la lutte armée peut
effectivement apparaître et se développer de bas en haut, à partir de
l’initiative des masses en lutte, mais qu’elle peut tout autant le faire de
haut en bas, à partir de l’initiative des avant-gardes communistes qui, par
cette pratique, ouvrent une perspective révolutionnaire aux luttes des masses.
Nous avons donc fait référence à la critique
d’opportunisme portée au faux dilemme, sans poursuivre avec sa « réfutation » sur base d’une origine « de masse », « antifasciste » de la lutte armée. Selon nous,
cette origine n’a pas la valeur historique et théorique que lui confère le
camarade Arenas. Nous ne voulions pas non plus, dans
le cadre du débat avec VP, ouvrir une parenthèse à propos d’une divergence
entre le PCE(r) et nous, expliquer le pourquoi et le comment de notre choix,
etc. Le débat s’est déjà révélé suffisamment complexe, inutile vraiment d’en rajouter.
Signalons maintenant que cette divergence a déjà fait
l’objet d’une analyse. Dans le premier numéro de la revue Per
il Partito ( avril 1989 ), les camarades italiens de la Cellule pour la constitution
du Parti Communiste Combattant ont rendu public un texte intitulé « Pour le débat dans le mouvement
révolutionnaire européen ».
Dans ce document, ils critiquaient aussi cet aspect de la base théorico-politique des camarades espagnols, dont nous
parlions plus haut, et cela précisément à l’occasion de l’étude de divers
textes dont La critique contemplative. Cette critique de la CpcPCC,
ainsi que notre exposé d’une autre divergence avec les camarades espagnols ( « Sur le Parti Combattant » ), ont été publiés en même temps que
les textes « Parti et Guérilla », « Deux lignes » et « La critique contemplative » du PCE(r) et de la Commune Karl
Marx des prisonniers du PCE(r) et des GRAPO, dans le numéro 8 de
Correspondances Révolutionnaires. À notre connaissance, les camarades espagnols
n’ont réagi ni à l’une ni à l’autre de ces contributions critiques.
Comme le contenu de Pour le
débat dans le mouvement révolutionnaire européen de la CpcPCC
expose précisément l’argumentation par laquelle nous réfuterions la critique
que nous porte aujourd’hui le camarade Arenas, à
savoir une approche erronée dans la réflexion sur la lutte armée et son
fondement théorique, nous trouvons plus facile pour nous et le lecteur de
renvoyer à ce document et d’en rester là pour l’instant.
Collectif
des prisonnièr(e)s des
Cellules Communistes Combattantes
Septembre 1994
Cellule pour la constitution
du Parti Communiste Combattant
CONTRIBUTION AU DÉBAT
Par ce texte, nous voulons compléter notre
contribution au débat théorique et politique dans le mouvement révolutionnaire
en Europe. Nous voulons plus particulièrement nous inscrire dans le débat
ouvert par les Cellules Communistes Combattantes ( Belgique ) et par Voie Prolétarienne ( France ) avec les deux textes : « Lutte armée et politique
révolutionnaire » ( Cellules Communistes Combattantes,
mai 1992 ) et « Violence révolutionnaire et
construction du Parti, aujourd’hui, en Europe » ( Voie Prolétarienne, septembre 1992 ) publiés en supplément à
Correspondances Révolutionnaires no 12/13, octobre-novembre
1992.
L’initiative de ces deux organisations communistes
nous semble très intéressante et louable. Au niveau international, le débat
entre organisations communistes a été jusqu’à maintenant trop pauvre et son
développement nous paraît d’une importance fondamentale, surtout dans la
situation actuelle où règne beaucoup de confusion et de désorganisation dans
les rangs communistes.
Pour qui n’a pas encore eu l’occasion de lire ces
documents, nous pouvons dire que l’essentiel du débat tourne autour de la
nécessité ou non de la lutte armée dans les pays impérialistes ( en particulier
l’Europe ) dans la situation
actuelle. Les Cellules Communistes Combattantes se prononcent ouvertement en sa
faveur, tandis que Voie Prolétarienne nettement contre. Textuellement, les
camarades des Cellules Communistes Combattantes déclarent que la lutte armée
est « dès maintenant dans les
conditions de nos pays une nécessité stratégique et tactique du combat pour la
révolution ». Tandis que les camarades
de Voie Prolétarienne écrivent : « Les
conditions objectives ( caractère
de la crise actuelle )
et subjectives ( état des masses et des
forces communistes ) la rendent impossible et
dangereuse. »
Nous voudrions laisser de côté la guerre des citations. Dans la majorité des cas elle est
totalement inutile puisqu’elle ne permet pas de clarifier en profondeur les
positions politiques respectives et cantonne le débat à des niveaux infantiles
de type « je suis plus léniniste que
toi ... » ou autres aménités du genre. Quant
à l’équivalence et à l’interchangeabilité présumées des formes de lutte selon
Lénine, l’usage de sa citation nous paraît vraiment un prétexte. Il n’est pas
principalement question de formes de lutte mais bien de l’Organisation, de la
constitution générale du Parti, et donc du fait que l’on doit également inclure
ce moyen parmi les autres. Dans ce sens, ce sont les groupes qui y renoncent
qui font un usage restrictif de cette citation de Lénine, vu qu’ils n’utilisent
pas toutes les formes de lutte ( tandis
que les Organisations Communistes Combattantes n’ont évidemment jamais renoncé
aux différentes formes, mêmes légales ). Mais allons directement au cœur du débat.
La question à
résoudre est-elle : « La lutte armée est-elle praticable dès maintenant ? » Ou plutôt : « Comment se concrétise la
politique révolutionnaire d’un Parti Communiste aujourd’hui dans les pays
impérialistes ? » Ou, en d’autres termes
encore : « Le problème est-il
simplement la lutte armée ou plutôt le bilan des expériences historiques du
mouvement communiste international et des formes adéquates pour une nouvelle
proposition du programme communiste ( de prise du pouvoir par la classe et de démarrage de
la transition socialiste ) et d’une politique révolutionnaire correspondante ? »
Et donc : « Quels
sont les fondements d’une émergence du Parti sur le plan théorique,
programmatique, politique, organisationnel ( d’un parti qui lutte ouvertement
pour le pouvoir ) ? » et « Quel rapport s’établit-il entre ces
conditions subjectives et celles objectives de l’évolution du système
capitaliste dans sa crise générale de surproduction de capitaux ? » À savoir : « Dans quelle
phase sommes-nous, révolutionnaire, prérévolutionnaire, non révolutionnaire ou
autre ? »
La crise générale du processus d’accumulation
capitaliste a conditionné de manière croissante les diverses étapes politiques
qui se sont succédées ces vingt dernières années. La réalité de la crise ne
peut plus être cachée, une crise qui a lentement commencé à éroder les bases
institutionnelles du consensus de masse, une crise économique qui s’associe de
plus en plus à une crise politique et à des équilibres extrêmement précaires.
Les niveaux de croissance précédents ne pourront
qu’être difficilement retrouvés sans modifications substantielles de la
structure économique basée sur l’accumulation capitaliste. La nécessité de ces
modifications est aujourd’hui largement reconnue, il existe un large consensus
à ce propos, mais un peu moins sur la nature des modifications nécessaires.
Il y a ceux qui prônent le marché libre en en
exaltant les propriétés miraculeuses et en en inventant de nouvelles et ceux
qui, au contraire, appellent à un peu plus de social. De vieilles recettes déjà
utilisées dans le passé et qui semblent aujourd’hui incapables d’éloigner le
problème et annoncent de durs affrontements de classe et des divergences
d’intérêts internes à la bourgeoisie.
Sommes-nous alors en présence d’une situation
révolutionnaire ?
Par situation révolutionnaire objective, on peut
entendre une période où il est impossible de retrouver des modèles d’expansion
à grande échelle, un consensus de masse et une stabilité politique sans
fractures brutales ( les
guerres impérialistes et les révolutions sont naturellement comprises comme
ruptures fortement traumatiques ). En ce sens, la période actuelle exprime un potentiel révolutionnaire
immense, beaucoup plus grand que dans les périodes précédentes. Cela ne
signifie pas que nous soyons à la veille de la prise du Palais d’Hiver, mais
simplement que les tendances générales vont vers le renforcement de ces
potentialités objectivement révolutionnaires.
Sans s’étendre dans une reconstruction historique ( que nous pensons commune aux
camarades interlocuteurs et aux marxistes-léninistes en général ), on peut dire que l’actuelle
seconde grande crise historique générale de surproduction de capitaux ( la première se situant entre les
deux guerres mondiales impérialistes ) est absolument insoluble par des moyens ordinaires ( économiques et politiques ), et cela indépendamment des
niveaux d’intensité locaux de cette crise ( elle ne se répercute évidemment pas
de la même manière en Italie ou au Brésil ).
Selon l’analyse marxiste-léniniste, confirmée par
l’histoire, la crise ne peut se résoudre qu’à travers de gigantesques
destructions de capitaux excédentaires, de même que principalement sous la
forme de grandes guerres impérialistes, ou bien par la relance de la révolution
prolétarienne.
C’est dans ce sens que nous parlons de la période
actuelle comme d’une période objectivement révolutionnaire. Mais il manque
évidemment le moment subjectif, l’organisation politique, le Parti Communiste.
Aujourd’hui le
problème est comment faire émerger une force révolutionnaire organisée dans une
période historique objectivement révolutionnaire.
Un problème immense bien sûr, qui intègre et renvoie
à tous les autres problèmes d’analyse et de bilan, au moins du dernier grand
cycle de lutte des classes et d’expériences communistes pour le Parti, disons à
partir des années 1960. Des analyses et bilans qui doivent certainement
confronter les différentes expériences, parmi lesquelles celles des
Organisations Communistes Combattantes ont été décisives : ce furent tout de même de
sérieuses raisons qui poussèrent une partie significative des meilleures
avant-gardes prolétariennes produites par ce cycle de lutte à fonder des
Organisations Communistes Combattantes. En réalité, la première chose à prendre
en considération est la distinction entre des pratiques différentes de lutte
armée qui surgirent pourtant en général de quelques solides raisons communes.
La raison valable et commune la plus importante fut certainement l’exigence de
rupture avec la dégénérescence du mouvement communiste international en
révisionnisme moderne, qui conditionnait et empoisonnait le mouvement
communiste depuis trop longtemps. Mais l’explosion de cette contradiction
engendra aussi des positions extrémistes, classiques à tout jeune mouvement
révolutionnaire.
Ainsi en fut-il de quelques positions qui marquèrent
les expériences de lutte armée dans un sens extrémiste, militariste, anti-parti
et parfois dans un sens anticommuniste tout
court. Mais il serait évidemment malhonnête de prendre cela comme prétexte
pour niveler tous les parcours des Organisations Communistes Combattantes, en
liquidant par là les positions qui furent purement communistes. Une véritable
position communiste se formula et se précisa au fil du temps, vécut
transversalement au sein de quelques Organisations Communistes Combattantes,
dans le vif de la lutte des classes, même si mélangée à des déviations et à des
tendances impropres.
Cette maturation,
qui se réalisa surtout au sein des Brigades Rouges, permit au phénomène de la
lutte armée communiste d’acquérir un poids et un enracinement indiscutables, et
ce poids, cet enracinement sont la contre preuve du bien-fondé des réponses —
même seulement ébauchées — aux questions ouvertes par la relance du mouvement
communiste international aujourd’hui dans les pays impérialistes. Autrement,
l’apparition et l’expansion d’un tel phénomène n’auraient pas été pensables.
Nous nous référons à cette
hérédité et seulement à elle, car ce qui nous intéresse est la solution des
problèmes posés pour la relance du mouvement communiste international et du
processus de constitution du Parti et non la question de la lutte armée en tant
que telle.
À partir de la sortie du livre « Politique et Révolution » de la composante des Brigades
Rouges ensuite connue comme Deuxième Position, se précisa une synthèse de
l’expérience menée dans le cadre de quelques thèses qui rompaient avec
l’organisation « guérilléra » et affirmaient la reprise
organique de l’organisation marxiste-léniniste au service de laquelle l’usage
de la lutte armée devenait un apport fondamental pour traduire cette
organisation en pratique politique, en politique révolutionnaire.
L’utilisation de la lutte armée sortait de l’impasse
d’un modèle insurrectionnel vidé par des décennies de pratique opportuniste des
partis révisionnistes et par l’alternative non reproductible mécaniquement dans
les centres impérialistes de la « Guerre Populaire Prolongée » qui s’était affirmée comme une
stratégie victorieuse pour les peuples opprimés. Pour critiquable qu’elle soit,
l’expérience de la lutte armée culminant dans la maturation évoquée ci-dessus,
devint une base, un riche patrimoine à systématiser et à valoriser dans la
reprise organique de l’organisation marxiste-léniniste.
Les thèses fondamentales en sont :
« Le Parti fait de la
politique avec les armes, mais surtout il fait de la politique ! Autrement dit, il établit
et gradue les formes, les contenus, l’intensité et les objectifs de sa propre
pratique militaire en fonction de sa propre politique. »
« L’être sujet politique qui
intervient dans les contradictions, qui représente l’intérêt de classe, qui
mobilise, oriente, dirige les masses populaires phase par phase, conjoncture
par conjoncture, conjuguant attaque et défense, réclame l’unité
politico-militaire du Parti. »
Ce serait donc une très grave erreur de travailler à
la formation d’une organisation politique comme le Parti en la mutilant dès la
naissance, en la privant de la possibilité de se donner directement tous les
instruments nécessaires à la réalisation de son objectif historique, la prise
du pouvoir en l’occurrence. Liquider en termes frileux et superficiels l’aspect
militaire équivaut à cela.
L’aspect militaire qui ne peut plus être renvoyé à
demain, c’est qu’aujourd’hui le mode de production capitaliste traverse une de
ses plus grandes crises historiques, l’incapacité et l’impossibilité de
garantir non seulement la croissance économique, politique et culturelle, mais
aussi d’empêcher un processus régressif et ceci face à la possibilité concrète
de vivre mieux donnée par le formidable développement des forces productives.
Bien entendu, cela ne signifie pas : « Armons-nous et partons ! »
Le prolétariat et ses avant-gardes, même s’ils
démontrent leur propre force de manière ponctuelle, se révèlent incapables
d’assumer le rôle de direction. Idéologiquement faible s’il est privé d’une
organisation solide, le prolétariat se laisse duper par la promesse mythique d’une mort douce, d’un changement
graduel, et l’influence des partis et des syndicats révisionnistes conditionne
encore largement et profondément ses comportements aujourd’hui. La classe
ouvrière paraît désorientée, générant de rares et maigres avant-gardes mais
manifestant pourtant des capacités de maintien importantes.
La situation est objectivement révolutionnaire mais
privée d’une subjectivité capable de recueillir et transformer en projet
politique communiste l’énorme potentialité révolutionnaire produite par la
dégénérescence de la crise. Les mots d’ordre chauvins, corporatistes et
l’illusion social-démocrate conditionnent encore de
manière dangereuse l’activité politique des masses.
Le Parti naît comme acte formel d’une minorité de
militants et d’avant-gardes, affrontant et commençant à résoudre immédiatement
les problèmes dont le moindre n’est pas la tâche de diriger le prolétariat en
organisant la lutte pour la prise du pouvoir politique. Renvoyer à demain
l’organisation politico-militaire du prolétariat équivaut à le priver d’une
perspective de réussite sérieuse, à l’abandonner dans les labyrinthes de la
confusion idéologique des opportunistes et « étapistes » de toutes espèces, à le priver de
la possibilité d’intervenir en tant que classe dans l’œuvre de transformation,
à le reléguer au rôle de spectateur passif.
Armer
idéologiquement, politiquement et militairement une classe est la condition
minimale pour garantir une quelconque possibilité d’affirmation.
Il suffit de penser à ce qu’auraient été les
changements révolutionnaires qui se sont succédés au cours de l’histoire si les
classes naissantes avaient délégué aux vieilles institutions politiques la
tâche de les représenter et de défendre leurs propres intérêts. Rien n’aurait
changé, les institutions primitives se seraient renouvelées sur le sang des
classes naissantes. Le prolétariat doit pouvoir exprimer pleinement son droit à
diriger la société, en organisant de manière autonome sa
propre force, en revendiquant dans la pratique tous les instruments nécessaires
à son émancipation pleine et complète.
La reprise de l’initiative des communistes ne
s’improvise toutefois pas, l’isolement auquel ils ont été condamnés ces
dernières années ne s’efface pas rapidement, un isolement dû également à leurs
propres erreurs, à la non compréhension des dynamiques de l’affrontement des
classes.
Il n’y a pas d’excuses, le bilan autocritique déjà
entamé doit être le plus complet possible sous peine de perpétuation de
l’isolement politique. Mais un bilan autocritique qui garantisse la
compréhension des limites et des erreurs commises, avec une vision complète de
ses propres racines historiques.
Le mouvement communiste, expression politique avancée
du prolétariat, revendique le pouvoir comme condition minimale pour l’avènement
du processus de transition vers la société communiste. Le chemin est encore
long et les masses prêtes à la révolution ne se profilent pas encore à
l’horizon. Mais bien des masses prêtes à des révoltes même si elles sont encore
brèves et contradictoires.
À qui revient la tâche de transformer la révolte en
lutte organisée pour la révolution ? Avec quelle politique ? Avec quels instruments ?
C’est-à-dire comment se relier à la dynamique
complexe que vivent les masses prolétariennes tant par rapport aux nombreuses
difficultés auxquelles se heurte leur recomposition comme classe que par
rapport à leur combativité croissante engendrée par la crise ?
Il faut ici reprendre avec force un élément de
principe marxiste-léniniste : les masses vivent déjà de manière partielle, épisodique,
fragmentaire et confuse les éléments de contradiction du mode de production
capitaliste et de dépassement possible de la contradiction. C’est pour cela
qu’un rôle d’avant-garde important des communistes consiste à savoir rassembler,
unifier, systématiser ces éléments et ces poussées de masse, en les rapportant
au plan d’action systématique et programmatique propre du Parti, de la lutte
politique.
La politique révolutionnaire, l’agir du Parti, se
qualifie principalement comme rapport, comme instrument de dialectique entre
les forces sociales, de classe : un rapport au sein de notre classe entre ses diverses
composantes pour réussir à placer au centre l’intérêt général de classe et donc
les secteurs plus avancés, dirigeant les moins avancés et neutralisant les
retardataires. Un rapport entre les classes antagonistes pour réussir à
renverser les termes du rapport de force, c’est-à-dire pas seulement en
défendant ou attaquant de manière aventuriste mais en conjuguant défense et attaque.
Un rapport qui place au centre de l’affrontement l’intérêt général de classe
comme il se concrétise dans la conjoncture et la situation spécifique ( rapport entre
programme communiste et programme politique de phase, qui applique la ligne de
masse comme initiative globale du Parti qui sache mettre en relation tous les
différents éléments stratégiques et tactiques d’avant-garde et de masse, dans
la situation spécifique ),
donc un rapport entre le présent et le futur de la lutte des classes. Un rapport
entre la défense et les revendications de classe et la nécessaire attaque
contre le projet politique dominant de la bourgeoisie, contre sa fraction
dominante ( en
général la bourgeoisie impérialiste ), parce que l’un ne va pas sans l’autre, parce qu’aujourd’hui
plus encore qu’hier il n’y a aucune avancée minimum ou aucune défense des
conditions de vie et de travail sans repousser et attaquer les plans de
restructuration de la bourgeoisie.
En ce sens, il faut comprendre « l’unité du politique et du militaire » comme une disposition du Parti sur
une orientation globale qui puisse assumer l’ensemble des exigences d’une
stratégie et d’une lutte politique révolutionnaire, donc inhérentes au présent ( même très retardataire ) de la réalité de classe et au
développement futur sur le terrain révolutionnaire où l’agir d’un Parti
communiste trouve cependant sa finalité ; qui assume avant tout la défense minimale existante dans
la classe mais qui sache indiquer nettement que sans attaque la défense est
vouée à l’échec.
Dans les phases prérévolutionnaires ou dans les
phases révolutionnaires en devenir ( ou objectivement révolutionnaires ), tout cela se joue sur le terrain
politique, l’unité du politique et du militaire est une méthode de lutte
politique et elle poursuit des objectifs politiques : les logiques de guerres, de
guérilla et compagnie en sont exclues !
« L’attaque au cœur de l’État » a été la ligne stratégique qui a
le mieux synthétisé tout cela dans l’expérience concrète d’un pays impérialiste
comme l’Italie.
« L’attaque au cœur de l’État » a été la traduction concrète d’un
bon rapport tactique / stratégie, d’une « projectualité » révolutionnaire qui s’est
rapprochée de l’agir de Parti.
Aujourd’hui en Europe, nous devons absolument nous
poser la question d’une « projectualité » révolutionnaire qui sache relier
le terrain des expériences de lutte et d’organisation de masse au terrain de
développement révolutionnaire. Nous ne devons pas craindre ce paradoxe
difficile : pour défendre la plus
petite portion des acquis sociaux, il faut certainement participer aux
organisations de masse, mais il faut aussi leur indiquer la lutte pour le
pouvoir comme l’unique perspective sérieuse, réaliste et possible face au
processus inextinguible de régression sociale imposé par la bourgeoisie
impérialiste et par les lois d’airain du mode de production capitaliste.
Avançons dans l’étude des textes des camarades de
Voie Prolétarienne et des Cellules Communistes Combattantes et un peu à la fois
nous réussirons à donner une réponse à ces questions. Les camarades de Voie
Prolétarienne disent que : « ... un certain nombre de militant(e)s ( du
moins en France ) sont réduit(e)s à
l’impuissance politique et stérilisé(e)s par la fascination qu’exerce encore
l’expérience passée de la lutte armée en Europe. »
Nous ne mettons pas en doute le fait qu’il puisse y
avoir des militants qui ne font rien en restant, soi-disant, en extase devant
l’expérience passée de la lutte armée.
Ce qui nous paraît incompréhensible, c’est comment
les camarades de Voie Prolétarienne font pour arriver à rendre la lutte armée
elle-même responsable de cela. Nous savons tous très bien qu’il y a des
militants qui, partageant des analyses catastrophiques sur la fin du système,
restent seulement assis et attendent en portant des jugements sur tout et tous.
Mais il ne nous est jamais venu à l’esprit de rejeter la faute de leur
inutilité sur les analyses qu’ils font. Chacun est libre de trouver l’excuse
qu’il veut pour justifier sa propre inactivité, mais la responsabilité est seulement
et uniquement la sienne.
Pour en revenir à la « fascination » exercée par l’expérience de la
lutte armée, qui existe certainement — nous n’avons aucun problème à le
reconnaître —, elle a sûrement des causes et il nous paraît donc beaucoup plus
intéressant d’en chercher le pourquoi.
L’expérience de la lutte armée a certainement marqué
profondément la réalité politique et a donné des résultats. Lesquels ?
Au moment de sa naissance, en Italie et dans quelques
autres situations, elle a été la prolongation
de l’organisation de masse ouvrière et en est devenue un facteur de
puissance et de renforcement. Il y avait donc une étroite dialectique entre la
tendance des mouvements de masse à utiliser la violence ( nécessaire entre autres pour faire
sauter le cadre répressif rigide qui avait empêché les luttes des années
précédentes : la hiérarchie des usines
et la police dans les rues ) et l’organisation de la violence par des noyaux
d’avant-garde qui la recueillaient et l’exprimaient à un niveau plus élevé et efficace
et l’inséraient dans une proposition dialectique plus large, dans un projet
politique. En même temps, ce dernier élément révélait encore plus comment
l’avènement de formes d’organisation armée était et reste un acte subjectif
bien précis, reste le domaine de décision d’avant-gardes politiques qui
élaborent et mettent en route un projet politique. Et dans ce sens, le résultat
fut aussi positif : elle démontrait
concrètement la détermination à assumer un projet politique qui menait à
l’ouverture du processus révolutionnaire.
En somme, les deux éléments ( croissance du mouvement de masse
sur le terrain de l’usage de la force et de sa corrélative maturation politique
révolutionnaire ; mise en route d’un projet
politique pour l’ouverture du processus révolutionnaire ) étaient et restent des choix
subjectifs, que l’on ne peut donc pas attendre du développement objectif de la
lutte des classes.
À un certain point en Italie, au milieu des années 1970,
il était clair pour tous que l’on ne pouvait plus avancer sur le terrain de la
lutte des masses. Les masses avaient donné énormément avec une grande intensité
et continuité, la question qui se posait
était le débouché politique. Au point que face aux difficultés à le
trouver, de nombreux secteurs extraparlementaires firent naufrage précisément
dans le retour au parlementarisme ( naturellement tactique ). Le grand pas en avant fait par
les Brigades Rouges fut d’amener l’Organisation Armée et le déplacement de
l’affrontement du plan diffus entre Capital et Travail au plan entre classe et
État comme débouché politique concret. Ce fut l’actualisation de la voie
révolutionnaire dans un pays impérialiste.
Avec toutes ses limites et contradictions, ce passage
fonctionna et détermina précisément la canalisation des énergies prolétariennes
produites dans les luttes vers les deux débouchés politiques principaux : soit au parlement avec les
révisionnistes, soit dans le camp de la lutte armée révolutionnaire. Cette
dernière, dans son expression la plus mûre et communiste, les Brigades Rouges,
acquit une autorité et un rôle de référence qu’aucun groupe extraparlementaire
n’avait jamais réussi à obtenir.
Une considération et une estime s’étaient répandues à
un niveau de masse pour les révolutionnaires qui non seulement disaient que
pour changer la société il fallait aussi utiliser les armes, mais de plus
mettaient cela concrètement en pratique.
Sans l’utilisation de l’instrument lutte armée, les
forces révolutionnaires n’auraient jamais pesé sur la lutte politique comme
elles l’on fait. Les révolutionnaires en récoltèrent les fruits en en
découvrant l’efficacité comme instrument de lutte politique révolutionnaire.
La lutte armée accéléra par exemple le déclin
révisionniste, mettant à nu son véritable caractère de classe. Elle ne souligna
pas seulement la fin des espaces réformistes ( perspective de société du bien-être
pour tous ) et la participation
directe à l’émergence contre-révolutionnaire du pouvoir : elle sanctionna le rôle
révisionniste.
En outre, elle débarrassa le terrain de nombreuses
équivoques et ralentit le reflux des masses et la défaite sur le plan de leurs
objectifs revendicatifs ( comme
cela arriva par la suite ).
Ce sont quelques-uns des résultats obtenus par
l’usage de l’instrument de la lutte armée, mais nous ne nous arrêtons pas là,
continuons et écoutons ce qu’ont encore à dire les camarades de Voie
Prolétarienne.
Très correctement, ils nous donnent une leçon de
matérialisme historique et dialectique en nous rappelant qu’on ne peut faire
abstraction de la situation concrète quand on discute de la validité ou de
l’opportunité d’un instrument de lutte. À cet égard, ils nous assènent un coup
très dur avec une citation opportune de Lénine tirée de « La guerre de partisans », qu’ils introduisent en disant : « C’est en effet une constante de tout
le courant combattant européen de traiter de la lutte armée " en général ", sans caractériser le
contexte dans lequel elle se déroule. Il n’y a rien de plus faux. »
Ils ont évidemment raison d’affirmer qu’il n’y a rien
de plus faux, nous sommes totalement d’accord avec cette affirmation, nous
devons malheureusement ajouter que : « Il n’y a rien de plus erroné ! »
Laissons tomber les définitions du type « le courant combattant européen », qui sont pour le moins plutôt
incorrectes puisque les camarades de Voie Prolétarienne n’ignorent rien — ils
le démontrent dans d’autres passages de leur texte — du fait qu’il n’existe pas
« un courant », mais de nombreuses positions
politiques extrêmement diversifiées.
Nous ne voulons toutefois pas décortiquer ici les
positions de toutes les organisations qui ont pratiqué la lutte armée en
Europe, ni animer une polémique entre divers courants qui ont théorisé et
appliqué diverses lignes politico-militaires, mais aller jusqu’à dire que « leurs documents sont hors du temps,
et bien malin qui pourrait dire en quelle année ils ont été écrits » nous semble vraiment excessif.
Durant les premières années de leur résistance, les
Brigades Rouges n’auraient peut-être pas fait une analyse de la situation concrète
de l’Italie tant sur le plan politique qu’économique, national
qu’international, pour réussir à affirmer un parcours politico-militaire qui a,
pour le moins, attiré l’attention de tous les communistes ? Les Brigades Rouges ne seraient
peut-être pas arrivées à l’unité du politique et du militaire à travers une
analyse de la situation concrète de ces années ? La définition même du S.I.M. ( Stato
Imperialista dei Multinazionali,
État Impérialiste des Multinationales ) n’aurait pas été le fruit d’une analyse, erronée ou non,
de la situation concrète ?
Approfondissons l’analyse de l’expérience italienne
qui démontre exactement le contraire de ce qu’affirment les camarades de Voie
Prolétarienne. Son succès, son affirmation advinrent justement parce qu’elle su
s’insérer dans les contradictions principales d’une situation précise.
En résumé : l’expérience italienne su se placer au point le plus élevé
des luttes de masse, où on commençait à vérifier pratiquement l’illusion / impossibilité d’une croissance
infinie des luttes et des instances revendicatives dans le cadre de la société
capitaliste, où on vérifiait le grand mensonge de la possibilité d’un « capitalisme à visage humain », et du projet révisionniste de
transition pacifique au socialisme.
Au début de la grande crise capitaliste, en attaquant
le rôle de récupération et de contrôle des luttes révisionnistes, l’initiative
combattante mit ainsi en lumière leur fonction historique ( et spécifique dans ce cas ) de conciliation de classe ( donc de subordination de classe ).
Dans de nombreux cas, ce rôle se révéla crûment à la
fois par la contention / répression de luttes particulières
et par un alignement au secours de l’État bourgeois contre l’initiative
combattante.
Ce passage politique concret et spécifique ( et en même temps
chargé d’une portée générale et historique ) ne fut possible que grâce à
l’initiative combattante.
Dans ce passage politique précis et déterminé, elle
joua ( et
même bien au-delà de la conscience qu’elle-même en avait ) un rôle politique qui amena
l’instance prolétarienne sur la scène de la lutte politique. Il n’aurait pas pu
en être autrement : la preuve en fut
simultanément le naufrage parlementaire de l’ex-gauche extraparlementaire et sa
réabsorption définitive dans l’orbite révisionniste / réformiste.
Le fait de s’insérer dans une situation spécifique
est démontré dans la mesure où des résultats tangibles se déterminent, qui
influencent la lutte politique, qui interagissent avec les autres forces en
jeu. Cela fut bien visible et tangible en Italie.
En attaquant « le cœur de l’État », les diverses structures de l’État bourgeois et ses
soutiens réformistes / révisionnistes, l’initiative
combattante indiquait concrètement la direction de développement de la lutte
prolétarienne pour pouvoir affirmer ses propres revendications. Parce que,
franchi un certain seuil, il n’existe pas d’autre possibilité de développement
que l’attaque contre le régime bourgeois, en somme l’ouverture d’un processus
révolutionnaire.
L’initiative combattante contraignit les forces
ennemies à réagir et à répondre sur ce terrain politique : le prolétariat prenait ainsi
l’initiative, débarrassait le terrain des bassesses de la politique-spectacle
bourgeoise et plaçait au centre les véritables questions. L’idée selon laquelle
le progrès social, la transformation sociale, passait par le rapport de force
entre classes antagonistes et inconciliables était au centre de la lutte
politique. Ou bien on passait par le renversement des rapports de production
capitalistes ( donc
en attaquant l’ensemble de l’appareil de pouvoir qui les soutient, comme
premiers pas de la révolution politique ) ou bien on refluait inévitablement dans la tendance à la
baisse sous la pression de la crise capitaliste et de la contre-offensive
bourgeoise.
Les Organisations Communistes Combattantes se
positionnèrent ainsi durant ces années comme les représentantes conséquentes
des luttes et revendications prolétariennes, de leurs contenus et aspirations,
tandis que les révisionnistes parlaient de plus en plus de « compatibilité », d’« économie nationale », de « compromis historique », etc. Cela se produisait,
répétons-le, de la manière la plus élevée, générale et politique possible.
L’indication ainsi donnée par une Organisation Combattante présente et
enracinée au niveau national dans les pôles de la lutte de classe avait une
efficacité et une autorité politiques qu’aucune dénonciation de la presse
révolutionnaire, même très distribuée, n’aurait pu avoir, et qu’aucune lutte de
masse n’aurait pu faire sortir des limites de ses revendications partielles.
Si tout cela ne signifie pas avoir adapté un discours
général historiquement valable à la situation particulière et spécifique, alors
nous nous inclinons devant la sagesse universelle des camarades de Voie
Prolétarienne.
Donnons seulement deux ou trois exemples concernant
d’autres positions représentées par des Organisations qui pratiquent ou ont pratiqué
la lutte armée. La RAF en Allemagne ne fondait peut-être pas ses thèses sur la
fonction de la guérilla en Europe justement par une analyse de la situation
dans son pays ? N’était-ce pas justement
une analyse de la situation qui la conduisait à estimer que la révolution en
Allemagne n’était pas possible, que le prolétariat allemand n’était plus une
classe révolutionnaire mais une aristocratie ouvrière corrompue par le système,
et donc que la guérilla devait être le couteau dans le dos de l’impérialisme,
ouvrant un front interne, permettant le développement de la révolution à la
périphérie du système, à savoir le tiers-monde ?
La décision même de la RAF d’abandonner la lutte
armée n’est peut-être pas consécutive à une analyse de la situation ?
Que tout cela soit largement critiquable, nous le
nierons d’autant moins que nous avons toujours considéré indispensable la critique
du subjectivisme et du tiers-mondisme. Mais on ne peut certainement pas dire
que l’on avait affaire là à des déterminations politiques intemporelles.
Quand le Parti Communiste d’Espagne ( reconstitué ) ou les GRAPO en Espagne nous
martèlent leurs analyses sur le système espagnol et par assimilation européen,
en racontant que le fascisme est en vigueur et donc que Felipe Gonzales est l’autre face de Franco, et que par conséquent
les GRAPO sont l’embryon de l’armée populaire antifasciste en continuité historique
avec la guerre civile espagnole, pouvons-nous dire qu’ils ne font pas d’analyse
de la situation actuelle ?
Non ! Nous pouvons certes dire
que cette analyse est erronée, mais nous ne pouvons pas dire qu’elle n’existe
pas.
Et encore, l’analyse de la situation actuelle tant
nationale qu’internationale n’est-elle pas continuellement présente dans chaque
numéro de notre revue Pour le Parti ?
Les camarades de Voie Prolétarienne trouvent
cependant que « le courant combattant » ne se situe pas dans le temps. En
somme, ils ne voient pas ou font mine de ne pas voir. Nous nous
demandons : pourquoi ?
Pourquoi Voie Prolétarienne présente-t-elle tous ceux
qui se réclament de la lutte armée révolutionnaire en Europe comme s’ils
étaient des êtres qui flottent dans un état intemporel et peut-être aussi sans
poids ?
Parce qu’elle ne connaîtrait pas tout le débat
politique de ces vingt-cinq dernières années ? Nous ne le pensons pas. Les
camarades de Voie Prolétarienne démontrent dans leurs textes mêmes avoir
largement connaissance de tout le débat politique passé et présent. Alors
pourquoi ?
Nous pensons que le problème est fondamentalement
unique, ils ne peuvent admettre la temporalité de la lutte armée aujourd’hui
dans nos pays, admettre en outre que la lutte armée communiste dans les pays
impérialistes est fille de notre époque, dans le sens qu’elle surgit justement
à un stade déterminé du développement capitaliste pour des raisons précises.
La lutte armée naît de la faillite et de la
démonstration d’impuissance des groupes révolutionnaires nés à la fin des
années soixante, condamnés au néant faute de pouvoir assumer les instruments
politiques aptes à l’affirmation de la politique communiste révolutionnaire,
face à l’impossibilité d’exploiter d’autres instruments politiques ( légaux ceux-ci ) comme la présence parlementaire ( et nous croyons que là-dessus les
camarades de Voie Prolétarienne sont d’accord avec nous ).
Admettre cela signifierait admettre sa propre
impuissance. Non ?
Mais revenons au discours que nous avons commencé, en
passant cette fois aux caractères généraux de validité de l’expérience
combattante.
Cette expérience a constitué la relance d’un centre politique prolétarien de lutte
pour le pouvoir. Elle a recueilli et développé positivement les éléments du
blocage du mouvement communiste international dans les pays impérialistes. Ces
éléments de blocage consistent en particulier en la difficulté à conjuguer la
perspective programmatique communiste avec une stratégie politique cohérente et
correspondante à cette perspective. On a constaté cette difficulté très souvent
dans l’histoire du mouvement communiste international ( et du Komintern
en particulier ), soit dans le sens d’un
éclectisme idéologique / programmatique, même combiné à
l’adoption d’une stratégie politique efficace, soit dans celui d’une incapacité
à poursuivre la mise en route programmatique correcte par une stratégie
politique adéquate.
Nous pensons surtout aux déficiences de la ligne
insurrectionnelle : dans le cas du Parti
Communiste d’Italie, l’excès de sectarisme mena à l’isolement des expériences
combattantes de masse contre le fascisme et, ensuite, à l’appréhension correcte
du problème militaire ( la
Résistance ) mais au service d’une
ligne de relative compromission. Les mêmes contradictions ont été constatées
dans de nombreux cas européens et internationaux.
La ligne d’accumulation des forces prévalut ensuite,
toujours en fonction d’une échéance insurrectionnelle petit à petit repoussée
dans le temps.
Le problème de
fond n’est pas seulement la mise en route programmatique ( qui reste l’élément central ) mais aussi les moyens et
la stratégie politique. S’ils ne concrétisent pas l’horizon de la lutte pour le
pouvoir, s’ils n’ont pas une certaine correspondance à cette perspective ( pour si lointaine
qu’elle puisse être ),
on tombera inévitablement sur d’autres terrains « tactiques » et l’utilisation de moyens
pacifiques finira par mener au pacifisme tout
court ( cela a été largement
démontré dans l’histoire du mouvement communiste international d’ailleurs ).
Que ce soit clair, nous parlons de « correspondance » entre mise en route
programmatique, théorie et principes d’une part, stratégie politique, ligne de
masse et moyens de l’autre. Nous n’entendons donc pas surévaluer l’importance
des moyens, mais souligner qu’il doit y avoir une homogénéité, une
correspondance entre les divers niveaux de l’agir du Parti, de la politique
d’un Parti Communiste.
L’unité du politique et du militaire a démontré
qu’elle est le terrain adéquat pour comprendre et développer en syntonie ces
différents niveaux. C’est le terrain qui a consacré « l’attaque au cœur de l’État » comme stratégie de lutte
politique, qui signifie recomposer l’intérêt général de classe, prolétarien, en
relation dialectique avec l’attaque qui se porte dans le camp ennemi,
bourgeois. Nous le répétons : il ne peut exister de défense sans attaque, il ne peut y
avoir d’affirmation de revendications prolétariennes sans attaquer et faire
reculer le projet politique dominant de la bourgeoisie dans une phase et dans
une situation déterminée.
Nous insistons sur ce concept central : la lutte politique est
l’application du matérialisme dialectique et historique dans les rapports entre
les classes et ceux-ci se définissent et se redéfinissent continuellement dans
un équilibre, dans une unité sociale globale, évidemment presque toujours
dominée par la fraction bourgeoise la plus puissante, la bourgeoisie
impérialiste. Mais cette unité sociale existe toujours entre deux éléments
fondamentaux antagonistes et, par conséquent, l’espace de l’un se fait toujours
aux dépens de l’autre :
ce que nous appelons le rapport de force entre les classes comme base
essentielle pour expliquer et comprendre les divers phénomènes sociaux et
politiques.
Il ne peut donc exister une politique
révolutionnaire, une représentation politique du prolétariat qui ne s’appuie
sur le terrain du rapport de force, qui ne soit en mesure d’attaquer dans le
camp ennemi : cela se présente surtout
sur le plan programmatique mais conjointement à une stratégie et à une
politique qui sachent concrétiser ce terrain programmatique contre la
bourgeoisie et son équilibre de pouvoir concret et spécifique. « L’attaque au cœur de l’État » a été avant tout cette capacité
politique et a ainsi correspondu à la période d’affirmation et de développement
de la lutte armée communiste.
Il faut par contre clarifier ( spécialement vis-à-vis des
positions des camarades belges ) que la conception de « l’attaque au cœur de l’État » est une conception politique
révolutionnaire, non de guerre
révolutionnaire. Il s’agit d’une discriminante fondamentale qui s’est précisée
au cours du temps et des expériences vécues par le mouvement révolutionnaire,
et qui a affiné une diversité stratégique très importante.
Les exigences de rupture au début des années 1970
exaltèrent l’aspect militaire / combattant,
favorisant également la transposition de modèles « guérilléristes » — de guerre populaire prolongée et
de « foquisme » — suivis par le mouvement
révolutionnaire des pays périphériques durant la grande vague de luttes de
libération nationale anti-coloniale ( transposition motivée par une série de raisons également
valables, parmi lesquelles surtout l’exigence de rupture avec la « théologie de l’insurrection » devenue un alibi pour la dérive
révisionniste ).
Cette transposition s’est révélée pleine d’erreurs,
en substance parce que :
· La guerre
populaire prolongée correspond programmatiquement à
une étape politique — celle des alliances entre le prolétariat, les paysans et,
parfois, la bourgeoisie nationale — et à l’objectif correspondant de la « Nouvelle Démocratie », absolument dépassés dans les pays
impérialistes où il n’y a plus aucune possibilité d’alliance, tous les
caractères progressistes de la bourgeoisie étant épuisés depuis longtemps et
les classes moyennes ( paysans
et petite bourgeoisie )
étant drastiquement réduites. Dans les pays impérialistes, la tendance à un
prolétariat largement majoritaire dans la société est d’actualité et le vrai
problème est désormais celui de l’hégémonie de son noyau central — la classe
ouvrière — seul en mesure d’en recomposer la grande masse fragmentée et
divisée. Dans les pays impérialistes, la révolution prolétarienne et la
transition socialiste sont à l’ordre du jour et non une quelconque étape intermédiaire.
· Cette
transposition comportait une orientation stratégique basée sur la libération
progressive de bases rouges — et leur administration —, chose par ailleurs
impossible aujourd’hui dans les pays impérialistes, et parallèlement un
développement du processus révolutionnaire qui se concevait immédiatement comme
un processus de guerre de guérilla, où l’usage de la lutte armée correspondait
d’emblée à une logique de guerre ( même de faible intensité ). Ces « dérives mécanistes » eurent une place importante dans
les expériences révolutionnaires des années 1970, parallèlement à d’autres
aspects correspondant bien davantage à l’émergence possible du nouveau
mouvement communiste. Ces influences, répétons-le, furent en majorité pleines
d’erreurs, jusqu’à l’affirmation erronée d’une stratégie de guerre civile
ouverte qui mena à une escalade militaire inconsidérée et perdante.
Par rapport à ces considérations, la position des
camarades belges nous semble encore pour ainsi dire éclectique. Elle voudrait
perpétuer la stratégie de la guerre populaire prolongée ( même épurée et adaptée ) en la combinant avec certains
aspects de la stratégie de « l’attaque au cœur de l’État ».
Il convient d’être plus clair à ce propos : les exigences de la bataille politico-idéologique au sein du prolétariat à propos de sa
constitution en sujet politique indépendant, contre la bourgeoisie et son État,
se déterminent toutes encore aujourd’hui sur le terrain politique, et l’unité
du politique et du militaire doit précisément être entendue comme moyen de la
politique du parti prolétarien. Toute logique de guerre est immature,
aventuriste et perdante aujourd’hui dans les pays impérialistes.
L’expérience combattante des Brigades Rouges a marqué
une rupture décisive dans l’histoire politique italienne ( et d’autres pays ) ; elle est considérée comme la
révolution, comme l’unique phénomène sérieux auquel les prolétaires purent
reporter leurs espérances de transformation sociale ( et cela même en présence de tant
d’héritages, de freins et de doutes ; par exemple, une partie très significative des électeurs
du PCI sympathisait en même temps avec les Brigades Rouges ).
D’amples secteurs prolétariens comprirent, sur base
de leur propre expérience particulière et historique, que l’unique alternative
sérieuse était les Brigades Rouges en tant qu’expression révolutionnaire
authentique ( une compréhension qui,
au-delà d’une adhésion immédiate impossible — ce n’était certes pas une phase
révolutionnaire — se concrétisa en une forte relation dialectique ) et cela eut lieu non seulement
grâce à la mise en route programmatique ( commune à d’autres groupes révolutionnaires ), mais aussi et surtout grâce à une
stratégie agissant sur la réalité politique au moyen de la lutte armée.
Qu’ensuite le parcours politique fut aussi tissé
d’erreurs et de contradictions jusqu’à sa défaite tactique ( due en partie au fait de vouloir
pousser les masses sur le terrain d’une guerre civile ouverte, rien moins que
mûre ) n’enlève rien à sa valeur,
parce qu’en tout cas un parcours
révolutionnaire réel ne peut
s’éterniser, en butte au flux / reflux
de la lutte des classes et à une attaque répressive de grande envergure menée
par l’État bourgeois.
Le développement ne sera jamais linéaire, il y aura
encore de lourds reculs, mais cela n’est pas irrémédiable si l’on reste sur le
terrain de la lutte révolutionnaire. On ne peut pas juger l’histoire politique
des organisations révolutionnaires à l’étalon des partis bourgeois normaux.
L’expérience des Brigades Rouges a démontré que si les
révolutionnaires agissent réellement sur un projet qui concrétise la
perspective révolutionnaire ( conjuguant
donc finalité programmatique et moyens de lutte et d’organisation ), ils font apparaître les
potentialités révolutionnaires que porte le prolétariat et qui sont seulement à
l’état latent et égarées sur le terrain parlementaire, et ce surtout parce que cette présence
révolutionnaire fait défaut.
Cela signifie avoir influé sur la lutte politique
comme elle se présente concrètement dans un pays, dans une certaine période ; cela signifie avoir eu une
capacité d’initiative politique et donc avoir placé le débat et l’affrontement
sur les questions centrales de l’antagonisme de classe.
Un autre argument fort réside dans la régression
autoritaire, militariste de l’impérialisme. La démocratie formelle se développe
de plus en plus comme une coquille vide, dans laquelle agit le noyau dur de
l’État bourgeois. C’est un phénomène toujours plus ancré tant dans les pays
périphériques, souvent gouvernés par des dictatures militaires, que dans les
pays impérialistes ( démocratiques ) : le recours aux coups de force dans
les moments critiques, la suspension de la légalité bourgeoise, l’utilisation
de nombreux moyens de pression et de chantage contre les mouvements de masse,
l’utilisation d’appareils clandestins jusqu’à l’agression violente et frontale,
sont une constante. La différence dans leur utilisation, par rapport aux
régimes fascistes, est leur limitation dans le temps, leur alternance avec
l’habituelle farce parlementaire et le niveau élevé de mystification avec
laquelle ils sont gérés.
Mais le résultat est le même, et surtout maintenant
dans une phase tellement persistante de crise générale du mode de production
capitaliste qui ne promet rien d’autre que la dégradation des conditions de vie
du prolétariat et de ses perspectives futures.
Longue est la liste des organisations prolétariennes
qui, dans des périodes « pacifiques », ont voulu contenir leur action
dans le cadre de la légalité bourgeoise et n’ont pas su ensuite faire face aux
agressions bourgeoises et encore moins passer à l’attaque.
En Italie, cela est apparu clairement avec les
massacres planifiés, les projets putschistes et l’utilisation systématique des
agressions fascistes et de la mafia.
Le mouvement ouvrier italien a pu comprendre par là
que la bourgeoisie ne respecte pas les pactes et que la démocratie n’est pas
aussi réelle et stable que les révisionnistes voudraient le faire croire.
Un autre
résultat fut de voir dans l’organisation combattante la réponse prolétarienne : l’État bourgeois ne
respecte même pas sa légalité, pourquoi le prolétariat devrait-il se lier les
mains et se contenter d’un affrontement politique pacifique ?
Ce résultat a seulement pu être atteint grâce à
quelques groupes de révolutionnaires qui se sont chargés de responsabilités
précises et ont lancé un parcours politique précis. À défaut, et comme cela
arrive encore trop souvent, face à la violence bourgeoise il ne serait resté
qu’un mouvement ouvrier désarmé, incapable de riposter et embrouillé par le
lamentable chœur réformiste / révisionniste
des invocations à la démocratie, et ce mouvement aurait ainsi été violemment
tiré en arrière sur un terrain conservateur et contre-révolutionnaire.
Aux affirmations des camarades de Voie Prolétarienne
du genre : « (…) pour ce qui concerne les
Brigades Rouges, il n’est pas correct de mettre d’un côté les succès ( impact,
tremblement de terre politique et social ) et de l’autre les échecs ( effondrement idéologique et
politique ). C’est une même
orientation qui a dominé ce courant, dont le caractère principal était le
militarisme lié au spontanéisme face au mouvement ouvrier. », nous
pouvons répondre sans trop de problèmes, toujours en faisant référence à
l’expérience italienne, que jusqu’à la moitié des années 1970 les groupes
extraparlementaires ( dont
plusieurs quasi identiques à Voie Prolétarienne ) ne réussissaient pas à dépasser le
niveau « économiste », donc de soutien et de
radicalisation des luttes économiques du prolétariat. Lesquelles
bien que riches et chargées de valeur politique implicite, restent des
luttes « économistes » et, de ce fait, facilement
assimilables par la politique réformiste. Les groupes extraparlementaires
furent souvent définis comme étant « les mécontents », ceux qui haussent toujours plus les revendications en
restant en fin de compte des éléments de garniture d’un système.
Les Brigades Rouges marquèrent au contraire une
rupture nette : il était manifeste pour
tous que se mouvoir avec une telle force et une telle détermination signifiait
autre chose, que les objectifs devaient être bien autres. Il devint rapidement
clair pour le prolétariat que l’attaque contre des patrons d’usines de mort,
des dirigeants industriels et des cadres intermédiaires, des politiciens, des
magistrats, des fascistes et des représentants politiques de l’État bourgeois,
voulait dire viser à la révolution !
Même confusément, on ne pouvait manquer de percevoir
que l’attaque systématique contre le système de pouvoir qui régit les rapports
sociaux, signifie que l’on veut un autre système de pouvoir et de rapports
sociaux. Cela établissait une différence claire et nette par rapport à tous les
autres partis ou groupes !
En somme, le terrain politique se rétablissait
concrètement pour le prolétariat, plutôt que d’être réduit en permanence à la
manœuvre économiste et électorale.
Ceci a placé encore plus le dos au mur le
révisionnisme qui, contraint à la mobilisation contre l’initiative
révolutionnaire, même quand elle produisait le meilleur effet de propagande
politique au niveau de masse ( comme
ce fut le cas avec des exécutions comme celles des dirigeants industriels des
usines de Seveso et de Porto Marghera ), révélait aux yeux du prolétariat
sa profonde appartenance au système capitaliste.
Plus tard, durant les années 1980, quand la présence
communiste combattante avait été drastiquement réduite, l’État et ses
révisionnistes attaquèrent de nombreux mouvements de lutte en les accusant de
faire le jeu du « terrorisme » par l’irresponsabilité de leurs
revendications. Parallèlement, il y eut une certaine extension de l’utilisation
des persécutions judiciaires, sur base des articles du code pour « bande armée » et « association subversive », contre des avant-gardes et des
cercles de lutte qui n’avaient rien à voir avec la lutte armée, démontrant que
tout ce qui sortait des marges de compatibilité avec le système était
objectivement et/ou subjectivement subversif.
Enfin, c’est un point acquis qu’en Italie et dans
d’autres pays impérialistes, malgré de lourdes défaites tactiques, le mouvement
révolutionnaire se reproduit en prenant en considération ces expériences, les
ayant assumées de leurs propres traits constitutifs. Aujourd’hui, dans une
partie importante du mouvement, on raisonne, on se mobilise et on s’organise en
tenant compte de ces résultats et des modèles organisationnels conséquents.
Malgré la longue période de reflux et une très dure sélection, une nouvelle
levée de révolutionnaires s’est formée. Les nombreuses contradictions et
limites réelles ont poussé la majorité des ex-militants à la reddition, à
l’abandon, mais elles ont d’autre part consolidé une couche de révolutionnaires
qui ont poursuivi, au prix de durs sacrifices, justement parce qu’ils ont su
sauvegarder les résultats acquis et trouver des réponses aux contradictions.
Aujourd’hui il faut faire un
pas de plus, donner vie au pôle communiste capable de conduire à la fondation
du Parti, en redonnant vie à une politique révolutionnaire. La clarté et la
confrontation des positions en sont une base essentielle.
Cellule
pour la constitution du Parti Communiste Combattant
Octobre 1994